A Season in Hell & Illuminations

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A Season in Hell & Illuminations Page 12

by Arthur Rimbaud


  DÉPART

  Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs.

  Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.

  Assez connu. Les arrêts de la vie.—Ô Rumeurs et Visions!

  Départ dans l’affection et le bruit neufs!

  ROYAUTÉ

  Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. «Mes amis, je veux qu’elle soit reine!» «Je veux être reine!» Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre.

  En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et toute l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes.

  À UNE RAISON

  Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

  Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

  Ta tête se détourne: le nouvel amour! Ta tête se retourne,—le nouvel amour!

  «Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps», te chantent ces enfants. «Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux» on t’en prie,

  Arrivée de toujours, qui t’en iras partout.

  MATINÉE D’IVRESSE

  Ô mon Bien! Ô mon Beau! Fanfare atroce où je ne trébuche point! Chevalet féerique! Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l’ancienne inharmonie. Ô maintenant nous si digne de ces tortures! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés: cette promesse, cette démence! L’élégance, la science, la violence! On nous a promis d’enterrer dans l’ombre l’arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit,—ne pouvant nous saisir sur[-]le[-]champ de cette éternité,—cela finit par une débandade de parfums.

  Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d’ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.

  Petite veille d’ivresse, sainte! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous a[s] gratifié. Nous t’affirmons, méthode! Nous n’oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.

  Voici le temps des Assassins.

  PHRASES

  Quand le monde sera réduit en un seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés,—en une plage pour deux enfants fidèles—en une maison musicale pour notre claire sympathie,—je vous trouverai.

  Qu’il n’y ait ici[-]bas qu’un vieillard seul, calme et beau, entouré d’un «luxe inouï»,—et je suis à vos genoux.

  Que j’aie réalisé tous vos souvenirs,—que je sois celle qui sait vous garrotter,—je vous étoufferai.

  Quand nous sommes très forts,—qui recule? très gais, qui tombe de ridicule? Quand nous sommes très méchants, que ferait-on de nous.

  Parez-vous, dansez, riez.—Je ne pourrai jamais envoyer l’Amour par la fenêtre.

  —Ma camarade, mendiante, enfant monstre! comme ça t’est égal, ces malheureuses et ces manœuvres, et mes embarras. Attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix! unique flatteur de ce vil désespoir.

  FRAGMENTS SANS TITRE

  Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l’air;—une odeur de bois suant dans l’âtre,—les fleurs rouies—le saccage des promenades—la bruine des canaux par les champs,—pourquoi pas déjà les joujoux et l’encens?

  J’ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.

  Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc? Quelles violettes frondaisons vont descendre?

  Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.

  Avivant un agréable goût d’encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée.—Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l’ombre je vous vois, mes filles! mes reines!

  OUVRIERS

  Ô cette chaude matinée de février. Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs d’indigents absurdes, notre jeune misère.

  Henrika avait une jupe de coton à carreau blanc et brun, qui a dû être portée au siècle dernier, un bonnet à rubans et un foulard de soie. C’était bien plus triste qu’un deuil. Nous faisions un tour dans la banlieue. Le temps était couvert et ce vent du Sud excitait toutes les vilaines odeurs des jardins ravagés et des prés desséchés.

  Cela ne devait pas fatiguer ma femme au même point que moi. Dans une flache laissée par l’inondation du mois précédent à un sentier assez haut elle me fit remarquer de très petits poissons.

  La ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous suivait très loin dans les chemins. Ô l’autre monde, l’habitation bénie par le ciel et les ombrages! Le sud me rappelait les misérables incidents de mon enfance, mes désespoirs d’été, l’horrible quantité de force et de science que le sort a toujours éloignée de moi. Non! Nous ne passerons pas l’été dans cet avare pays où nous ne serons jamais que des orphelins fiancés. Je veux que ce bras durci ne traîne plus une chère image.

  LES PONTS

  Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d’autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes[,] s’abaissent et s’amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D’autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d’autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d’hymnes publics? L’eau est grise et bleue, large comme un bras de mer.—Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.

  VILLE

  Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d’une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l’extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d’aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin! Ces millions de gens qui n’ont pas besoin de se connaître amènent si pareillement l’éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu’une statistique folle trouve pour les peuples du continent. Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l’épaisse et éternelle fumée de charbon,—notre ombre des bois, notre nuit d’été!—des Érynnies nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci,—la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, et un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.

  ORNIÈRES

  À droite l’aube d’été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. Défilé de féeries. En effet: des chars chargés d’animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants et les hommes sur leurs bêtes les plus étonnantes;—vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d’enfants a
ttifés pour une pastorale suburbaine;—Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d’ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noirs.

  VILLES [I]

  Ce sont des villes! C’est un peuple pour qui se sont montés ces Al-leghanys et ces Libans de rêve! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges. Des corporations de chanteurs géants accourent dans des vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière des cimes. Sur les plate[s-]formes au milieu des gouffres les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de l’abîme et les toits des auberges l’ardeur du ciel pavoise les mâts. L’écroulement des apothéoses rejoint les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques évoluent parmi les avalanches. Au[-]dessus du niveau des plus hautes crêtes une mer troublée par la naissance éternelle de Vénus, chargée de flottes orphéoniques et de la rumeur des perles et des conques précieuses,—la mer s’assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur les versants des moissons de fleurs grandes comme nos armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges de Mabs en robes rousses, opalines, montent des ravines. Là[-]haut, les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs tettent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois chantent les idées des peuples. Des châteaux bâtis en os sort la musique inconnue. Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. Le paradis des orages s’effondre. Les sauvages dansent sans cesse la fête de la nuit. Et une heure je suis descendu dans le mouvement d’un boulevard de Bagdad où des compagnies ont chanté la joie du travail nouveau, sous une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les fabuleux fantômes des monts où l’on a dû se retrouver.

  Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette région d’où viennent mes sommeils et mes moindres mouvements?

  VAGABONDS

  Pitoyable frère! Que d’atroces veillées je lui dus! «Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise. Je m’étais joué de son infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en esclavage.» Il me supposait un guignon et une innocence très-bizarres, et il ajoutait des raisons inquiétantes.

  Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par delà la campagne traversée par des bandes de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.

  Après cette distraction vaguement hygiénique, je m’étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit, aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés,—tel qu’il se rêvait!—et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.

  J’avais en effet, en toute sincérité d’esprit, pris l’engagement de le rendre à son état primitif de fils du soleil,—et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule.

  VILLES[II]

  L’acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d’exprimer le jour mat produit par ce ciel immuablement gris, l’éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d’énormité singulier toutes les merveilles classiques de l’architecture. J’assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu’Hampton-Court. Quelle peinture! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères; les subalternes que j’ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brahmas et j’ai tremblé à l’aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on [a] évincé les cochers. Les parcs représentent la nature primitive travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables: un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candélabres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d’acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.

  Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates-formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j’ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville. C’est le prodige dont je n’ai pu me rendre compte: quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l’acropole? Pour l’étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus d’un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la chaussée est écrasée; quelques nababs aussi rares que les promeneurs d’un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge: on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cent[s] à huit mille roupies. À l’idée de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez-sombres. Je pense qu’il y a une police; mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d’ici.

  Le faubourg aussi élégant qu’une belle rue de Paris est favorisé d’un air de lumière. L’élément démocratique compte quelques cents âmes. Là encore les maisons ne se suivent pas; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le «Comté» qui remplit l’occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu’on a créée.

  VEILLÉES

  I

  C’est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.

  C’est l’ami ni ardent ni faible. L’ami.

  C’est l’aimée ni tourmentante ni tourmentée. L’aimée.

  L’air et le monde point cherchés. La vie.

  —Était-ce donc ceci?

  —Et le rêve fraîchit.

  II

  L’éclairage revient à l’arbre de bâtisse. Des deux extrémités de la salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes atmosphériques et d’accidences géologiques.—Rêve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences.

  III

  Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.

  La mer de la veillée, telle que les seins d’Amélie.

  Les tapisseries, jusqu’à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d’émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.

  · · · · · · · ·

  La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves: ah! puits des magies; seule vue d’aurore, cette fois.

  MYSTIQUE

  Sur la pente du talus les anges tournent leurs robes de laine dans les herbages d’acier et d’émeraude.

  Des prés de flammes bondissent jusqu’au sommet du mamelon. À gauche le terreau de l’arête est piétiné par tous les homicides et toutes les batailles, et tous les bruits désastreux filent leur courbe. Derrière l’arête de droite la ligne des orients, des progrès.

  Et tandis que la bande en haut du tableau est formée de la rumeur tournante et bondissante des conques des mers et des nuits humaines,

  La douceur fleurie des étoiles et du ciel et du reste descend en face du talus, comme un panier,—contre notre face, et fait l’abîme fleurant et bleu là-dessous.

  AUBE

  J’ai embrassé l’aube d’été.

  Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

  La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, un
e fleur qui me dit son nom.

  Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins: à la cime argentée je reconnus la déesse.

  Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

  En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

  Au réveil il était midi.

  FLEURS

  D’un gradin d’or,—parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil,—je vois la digitale s’ouvrir sur un tapis de filigranes d’argent, d’yeux et de chevelures.

  Des pièces d’or jaune semées sur l’agate, des piliers d’acajou supportant un dôme d’émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d’eau.

  Tels qu’un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

 

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