CHASSES À L'HOMME
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Le Taillan arriva sur ces entrefaites :
– J'ai tout vu, commissaire ! cria-t-il à Saint Hilaire.
Saint Hilaire profita de cette aide pour porter secours à Wuenheim. Allongé au bord de la pelouse, les deux mains couvrant la plaie béante, il n'arrivait pas à retenir l'hémorragie. Un râle de souffrance sortit de sa gorge. Ses yeux embrumés fixaient le ciel bleu. Saint Hilaire se porta à sa hauteur. L'homme vivait ses derniers instants. Aucune aide ne pouvait le sauver d'une fin inéluctable.
– Je l'aimais ! arriva-t-il à prononcer. Je l'aimais.
Ses yeux se révulsèrent. Une grimace vint déformer sa bouche. Il était mort.
Saint Hilaire ferma délicatement les paupières de Wuenheim. A quelques pas, Sarras se contorsionnait de douleur. Le commissaire abandonna le corps de son collègue et vint s'agenouiller près de l'autre mourant. Sarras crachait du sang par la bouche. Il se savait condamné. Un sourire crispé paralysait ses lèvres.
– Où est Eve ? hurla Saint Hilaire.
– Je te l'ai dit ! répondit Sarras en crachant de la bile.
Il toussa à plusieurs reprises avant d'émettre un nouveau son.
– Elle a... elle a rejoint sa mère !
Ses muscles se contractèrent, soulevant son corps de quelques centimètres. Il émit un dernier râle. Sa respiration s'arrêta.
– Non ! Non ! gémit le commissaire.
Des larmes coulaient sur son visage. Il tapa de ses deux poings fermés sur le corps du gardien de la paix. Cette folle course n'avait servi à rien. Il arrivait trop tard. Sarras avait gagné. Il s'était vengé de tous ceux qui s'étaient mis en travers de sa route. Il avait fait le vide autour de Saint Hilaire. Il avait détruit sa vie, sa famille.
Des sirènes hurlantes arrivaient de toutes parts. Henri Pupillin débarqua pour constater les dégâts de cette folle enquête. Des ambulances investissaient le boulevard dans une cohue de cris et de sirènes.
Soudain, le commissaire redressa la tête. Comme illuminé par un éclair de génie, il se releva et partit en courant. Le Taillan, enclin à croire en l'instinct de Saint Hilaire, lui emboîta le pas. Le commissaire rejoignit le parc à vive allure en longeant le bâtiment. Il poussa la porte d'entrée de l'Institut médico-légal avec vigueur. Il dévala les escaliers menant au sous-sol. Où allait-il ? Le Taillan avait déjà visité le bâtiment de fond en comble. Eve ne s'y trouvait pas. Saint Hilaire en sueur courait à perdre haleine à l'étage inférieur. Il voulait vérifier ! Il voulait en être sûr. Il ouvrit une première porte. Il se trompait ! Ce n'était pas la salle qu'il recherchait. Enfin, il entra dans la bonne pièce. Sa respiration était rapide et sonore. Le mur des chambres froides lui faisait face. Il commença méthodiquement à regarder les étiquettes de chaque compartiment. Il cherchait désespérément le nom de sa veuve. Son cœur battait rapidement. Un nœud lui serra le ventre lorsqu'il lut : Marthe Saint Hilaire. Ses mains tremblaient. Il n'avait pas vu le corps de sa femme depuis son retour d'Italie. Il ne savait pas à quoi s'attendre ! Il aspira une bouffée d'oxygène puis tira la poignée du tiroir. Le bac métallique sortit. Sur le corps de Marthe enveloppé dans un sac gisait, congelée, sa fille Eve. Sans perdre un instant, il la prit dans ses bras. Le Taillan rejoignit le commissaire et l'aida à la déposer sur la table d'autopsie. Il enleva sa veste et la tendit à Saint Hilaire. Ce dernier hurlait le prénom de sa fille en giflant les joues blafardes de la jeune femme.
– Eve ! Eve ! Réponds-moi !
Ses mains frottaient ses membres glacés. Le Taillan pensa qu'il était trop tard ! Le corps était en hypothermie depuis trop longtemps. Pourtant, le frémissement d'une main fit sursauter le commissaire.
– Aidez-moi ! ordonna-t-il à Le Taillan qui déjà se mettait à frotter vigoureusement les mollets d'Eve.
Bientôt, elle ouvrit les yeux. Saint Hilaire ne savait plus s'il devait rire ou pleurer. Elle était vivante ! Sa fille était vivante !
– Papa ? murmura-t-elle, grelottante. J'ai... froid ! parvint-elle à prononcer.
– C'est fini ! Ne t'inquiète pas ! lui répondit son père tout en continuant de la réchauffer.
Parler était au-dessus de ses forces. Mais ses yeux exprimaient tous ses regrets. Pourquoi s'était-elle fâchée avec son père ? Comment s'était-elle laissée berner par Sarras ? Son regard lançait des messages d'amour et des mots d'excuses.
Saint Hilaire avait porté à hauteur de sa bouche les deux mains de sa fille. Il mêlait souffle chaud et baisers pour réchauffer ses doigts. La vie allait reprendre. Ils s'épauleraient tous les deux. Ils tourneraient cette page dramatique pour reconstruire les liens qui les unissaient dans le passé. Maintenant que la vérité éclairait les zones d'ombre, ils pourraient regarder l'avenir ensemble. Les lèvres d'Eve tremblaient de froid mais elles purent esquisser un léger sourire. Une toux rauque secoua son corps et effaça toute expression de son visage. La vie semblait ne tenir qu'à un fil. Ses yeux se fermèrent.
Chapitre Vingt-Quatre
Une pancarte blanche, accrochée à la poignée de la porte d'entrée indiquait : Fermeture définitive. A travers la vitrine, Saint Hilaire distingua une pièce vidée de son contenu. Un carton abandonné restait sur la moquette d'un bleu délavé. Elles étaient parties. Leur rencontre avec la police les avait échaudées. Elles avaient préféré jeter l'éponge. Le commissaire avait bien tenté de téléphoner avec le portable de Rebecca à sa sœur Monica, mais en vain. La tonalité sonnait dans le vide. Les menaces de Wuenheim avaient dû les effrayer. Une nouvelle fois, Saint Hilaire voyait disparaître la femme qu'il aimait. Il devait le reconnaître, il n'était pas resté insensible au charme du jeune mannequin. Sa beauté, son caractère bien trempé, et ces événements qui les avaient poussés dans les bras l'un de l'autre avaient eu raison de ses sentiments. Mais il était arrivé trop tard ! Trop tard pour lui expliquer qu'elle ne risquait plus rien. Que toutes les plaintes avaient été retirées, une fois la vérité connue. Devait-il se mettre à chercher cette femme comme il s'était mis en chasse de Marthe ? Il n'en avait plus le courage. La chance avait mis Rebecca sur sa route. Il comptait maintenant sur le hasard ou le destin pour la croiser à nouveau. Peut-être demain ? Peut-être jamais ? Que lui réservait son avenir ?
La joie de savoir sa fille vivante lui suffisait amplement pour le moment. Elle se remettait lentement de son agression. Sarras lui avait apposé sur le visage un coton imbibé d'éther. Une fois évanouie, il l'avait allongée sur le corps de sa mère puis enfermée dans un compartiment de la chambre froide de la morgue. Les médecins avaient mis plus de deux heures avant de réussir à la réanimer. Elle aurait besoin de temps pour surmonter ce qu'elle avait dû endurer. Elle devait se reconstruire. Même si ses sentiments pour Wuenheim étaient confus, la nouvelle de sa mort la plongea dans un grand désarroi. Il n'avait cherché qu'à la préserver. Il aurait donné sa vie pour la protéger. Lorsque Saint Hilaire lui rapporta ses dernières paroles, elle fondit en larmes. La malheureuse allait devoir endurer une succession d'enterrements. Mais Saint Hilaire se jurait d'être présent pour elle. Il ne la négligerait pas comme il avait négligé sa mère. Il allait lever le pied. Il n'avait plus qu'elle dans sa vie, et il comptait bien lui manifester tout son amour.
La veille, ils avaient enterré Marthe dans la plus stricte intimité. Henri et Irène Pupillin avaient accompagné le cercueil au funérarium avec eux. Irène avait beaucoup pleuré. Eve avait contenu ses émotions. Mais son père avait senti son infinie tristesse. Enfin, ensemble, ils avaient rejoint le cimetière du Père Lachaise pour y déposer l'urne dans le caveau familial. Eve tenait le réceptacle contenant les cendres de sa mère entre les mains. Le soleil éblouissant faisait briller les pavés des allées. Le chant des oiseaux dans les branches donnait un avant-goût du printemps. Bientôt la nature reprendrait ses droits. La vie allait jaillir de toutes parts. Saint Hilaire avait tout pardonné à son épouse. Savoir qu'elle avait cherché à connaître ses sentiments lui prouvait qu'elle l'aimait encore. Peut-être auraient-ils pu tout reconstruire ! Avec la disparition de Marthe, il mesura
it le temps perdu à courir après les bandits, les assassins et autres malfrats. Comment avait-il pu tout sacrifier pour ce métier ? La police l'avait éloigné de l'essentiel, de sa famille. Elle l'avait aveuglé, et lui avait dissimulé les priorités. Une véritable révolution se produisait dans l'esprit du commissaire.
Dans l'allée en pierres qui les ramenait vers la sortie du cimetière, Saint Hilaire prit Henri Pupillin par le bras. Ils devancèrent Irène et Eve qui évoquaient déjà le souvenir de Marthe. Délicatement et sans que les deux femmes s'en aperçoivent, il tira son porte-cartes en cuir de sa veste et le donna à son supérieur. Henri n'eut pas besoin de l'ouvrir pour comprendre ce qu'il contenait. Saint Hilaire jetait les armes. Il rendait sa carte professionnelle et sa plaque de police. Le commissaire Pupillin ne tenta pas de le dissuader. Ce n'était pas le moment. Saint Hilaire tirait un trait sur une existence qui lui semblait maintenant bien futile et dérisoire. D'autres priorités le guidaient. Une vie nouvelle l'attendait.
Un autre homme était né.
Remerciements
A Christelle Guillaumot, ma femme, pour les corrections et critiques opportunes et attentionnées qu'elle a toujours su apporter à mes écrits. A Jacques Mazel, pour son investissement et pour son enthousiasme à faire de ce manuscrit un livre.
PRIX DU QUAI DES ORFÈVRES
Le Prix du Quai des Orfèvres, fondé en 1946 par Jacques Catineau, est destiné à couronner chaque année le meilleur manuscrit d'un roman policier inédit, œuvre présentée par un écrivain de langue française.
• Le montant du prix est de 777 euros, remis à l'auteur le jour de la proclamation du résultat par M. le Préfet de police. Le manuscrit retenu est publié, dans l'année, par la Librairie Arthème Fayard, le contrat d'auteur garantissant un tirage minimal de 50 000 exemplaires.
• Le jury du Prix du Quai des Orfèvres, placé sous la présidence effective du Directeur de la Police judiciaire, est composé de personnalités remplissant des fonctions ou ayant eu une activité leur permettant de porter un jugement sur les œuvres soumises à leur appréciation.
• Toute personne désirant participer au Prix du Quai des Orfèvres peut en demander le règlement à :
M. Éric de Saint Périer
secrétaire général du Prix du Quai des Orfèvres
18, route de Normandie
28260 BERCHÈRES-SUR-VESGRE
Téléphone : 02 37 65 90 33
E-mail : p.q.o@wanadoo.fr
La date de réception des manuscrits est fixée au 15 avril de chaque année.