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HÉSITATION Page 19

by Stephenie Meyer


  — C’est si terrible que ça ? insistai-je.

  — Non, non… en vérité, tu es plutôt… sexy.

  — Ben tiens ! m’esclaffai-je.

  — Si, si, je t’assure.

  — Tu dis ça pour que j’accepte de mettre ce harnachement. Mais bon, d’accord. Tu as raison, c’est plus raisonnable.

  Il m’enlaça de nouveau et m’attira contre lui.

  — Tu es sotte, ça fait partie de ton charme. Bon, ce casque a ses inconvénients, je l’avoue.

  Sur ce, il me le retira afin de pouvoir m’embrasser.

  Un peu plus tard, alors qu’il me conduisait à La Push, je me rendis compte que cette scène sans précédent avait des airs de déjà-vu. Il me fallut un moment pour mettre le doigt sur le détail révélateur.

  — Tu sais ce que ça me rappelle ? lançai-je. Mon enfance, lorsque Renée passait le relais à Charlie pour l’été. J’ai l’impression d’avoir sept ans.

  Edward rit. Je me gardai de le mentionner, mais la grande différence entre les deux situations tenait à ce que mes parents avaient entretenu de meilleurs rapports que lui et Jake.

  À mi-chemin de la réserve, nous découvrîmes ce dernier au détour d’un virage, appuyé contre la Volkswagen qu’il s’était bricolée. Son expression neutre se transforma en sourire quand il me vit agiter le bras depuis le siège passager. Edward se gara à une trentaine de mètres.

  — Appelle-moi dès que tu seras prête à rentrer, et je viendrai te chercher.

  — Je ne resterai pas tard.

  Edward sortit la moto et mon équipement neuf du coffre — j’avais été surprise que tout tînt à l’intérieur. Jacob nous observa sans broncher, soudain grave et indéchiffrable. Je calai le casque sous mon bras, jetai le blouson en travers de la selle.

  — Tu n’as rien oublié ?

  — Non.

  En soupirant, Edward se pencha vers moi. Je tendis la joue pour un baiser amical, mais il me prit au dépourvu en me serrant fort contre lui et en m’embrassant avec autant de ferveur que dans le garage, au point que je ne tardai pas à manquer d’air. Riant doucement, il me relâcha.

  — Au revoir, me dit-il. J’adore ce blouson.

  Me détournant, j’eus le temps d’apercevoir dans ses prunelles une lueur que je n’étais pas censée distinguer. Je ne réussis pas à l’identifier. De l’inquiétude ? De la panique ? Bah ! Je me faisais des idées, sans doute, comme d’habitude. Je sentis son regard fixé dans mon dos tandis que je poussais la moto au-delà de l’invisible frontière qu’avait fixée le traité entre les deux communautés ennemies.

  — Qu’est-ce que c’est que tout ça ? s’enquit Jacob d’une voix prudente en contemplant la machine d’un air énigmatique.

  — Je tenais à la remettre à sa bonne place.

  Il médita ma réponse, puis se laissa aller à un vaste sourire. Je sus à quel moment précis j’étais entrée en territoire loup-garou, car il vint vers moi en trois enjambées de géant. Il m’arracha l’engin, le mit sur sa béquille et m’étouffa dans une étreinte d’ogre. Entendant le moteur de la Volvo, je me débattis afin de me retourner.

  — Ça suffit, Jake !

  Hilare, il me déposa à terre. Je virevoltai pour un ultime geste d’adieu — la voiture avait déjà disparu.

  — Bien joué, marmonnai-je, acide.

  — Ben quoi ? protesta Jacob, l’innocence incarnée.

  — Il a été sacrément sympa sur ce coup-là, alors ne force pas ta chance.

  Ma réflexion eut pour seul mérite de plonger Jake dans un accès de fou rire inextinguible. Il m’accompagna vers la Golf et m’ouvrit la portière. Je n’avais toujours pas compris ce qui était si amusant.

  — Bella, finit-il par hoqueter en refermant derrière moi, je ne peux pas pousser ce que je n’ai pas.

  11

  Légendes

  — Tu comptes manger ce hot-dog ? demanda Paul à Jacob, les yeux vrillés sur l’ultime vestige du repas gargantuesque qu’avaient englouti les loups-garous.

  Mon ami s’appuya contre mes genoux et joua avec le sandwich qu’il avait fait rôtir au bout d’un cintre métallique déplié. Les flammes du feu de camp léchèrent la peau boursouflée de la saucisse. En soupirant, il se tapota l’estomac. Ce dernier restait plat, bien que j’eusse perdu le compte de ce que Jake avait avalé après son dixième hot-dog. Sans parler de l’énorme sachet de chips et des deux litres de limonade.

  — Peut-être, répondit-il nonchalamment. Je me suis tellement gavé que je risque de vomir. Mais avec un petit effort… enfin, un effort quand même.

  Il poussa un soupir de tristesse feinte. Paul avait beau s’être goinfré tout autant, il rougit de rage et serra les poings.

  — Du calme, se moqua Jacob. Je rigole. Tiens !

  Il lança la broche bricolée par-dessus le foyer. Paul la rattrapa avec agilité, sans se brûler. À force de fréquenter des gens aussi adroits, j’allais finir par complexer.

  — Merci, vieux, dit le glouton, dont la colère était déjà oubliée.

  Le feu crépita sous l’effet d’une bourrasque. Des étincelles s’envolèrent, éclats orange dans le ciel nocturne. Bizarrement, je ne m’étais pas rendu compte que le soleil s’était couché. Pour la première fois depuis le début de la soirée, je me demandai s’il était tard. J’avais perdu la notion du temps. La compagnie de mes amis Quileute s’était révélée plus aisée que je ne l’avais craint. Jacob et moi avions garé la moto dans son garage — il avait d’ailleurs reconnu, de mauvaise grâce, que le casque était une bonne idée, avait regretté de ne pas y avoir pensé lui-même —, et j’avais commencé à m’inquiéter de l’accueil que me réserveraient les loups-garous. Me considéreraient-ils désormais comme une traîtresse ? Reprocheraient-ils à Jake de m’avoir invitée ? Gâcherais-je la fête ? Toutefois, lorsque Jake m’avait entraînée sur la falaise, lieu du rassemblement où le feu rugissait déjà, plus brillant que le soleil dissimulé par les nuages, tout s’était fort bien passé, et la décontraction avait été de mise.

  — Salut, vampirette ! m’avait bruyamment saluée Embry.

  Sautant sur ses pieds, Quil m’avait embrassée sur la joue tout en m’en tapant cinq. Emily m’avait serré la main quand nous nous étions assis sur le sol froid, près d’elle et de Sam.

  Hormis quelques plaintes moqueuses émanant surtout de Paul à propos de ma puanteur de buveuse de sang que j’étais priée de garder sous le vent, ils m’avaient traitée comme une des leurs.

  Il n’y avait pas que des jeunes. Billy était présent, son fauteuil roulant stationné à ce qui paraissait être la place d’honneur du cercle que nous formions. À côté de lui, sur une chaise longue, le grand-père cacochyme et chenu de Quil, le vieux Quil, d’apparence fragile. Sue Clearwater, veuve de Harry, l’ami de Charlie, était installée sur une chaise, de l’autre côté. Ses deux enfants, Leah et Seth, étaient également là, assis par terre comme nous autres. Leur présence m’avait d’abord surprise, mais tous les trois étaient visiblement dans le secret, à présent. Aux paroles qu’échangeaient Billy et le vieux Quil avec Sue, je compris qu’elle avait remplacé Harry au conseil. Cela faisait-il pour autant de ses rejetons des membres à part entière de la société la plus mystérieuse de La Push ?

  Il devait être atroce pour Leah de se retrouver en face de Sam et Emily. Son beau visage ne trahissait rien, il n’empêche qu’elle évitait de quitter des yeux les flammes. La perfection de ses traits m’amena forcément à les comparer à ceux, défigurés, d’Emily. Le petit Seth Clearwater avait grandi. Avec sa bonne humeur évidente et son long corps dégingandé, il me rappelait un Jacob plus jeune, ressemblance qui me fit sourire puis soupirer. Seth était-il condamné à ce que sa vie changeât de manière aussi radicale que le reste des garçons ? Ce futur expliquait-il que lui et les siens fussent autorisés à participer à cette soirée ?

  Car toute la meute était là. Sam et son Emily, Paul, Embry, Quil, Jared et Kim, la fille dont il s’était imprégné. Au premier abord, celle-ci me fit l’effet d’une a
dolescente sympa, un peu timide, fade. Son large visage était tout en pommettes, avec des yeux trop petits pour l’équilibrer. Son nez et sa bouche étaient trop larges pour qu’on pût la qualifier de beauté traditionnelle. Le vent qui semblait ne jamais cesser de souffler au sommet de la falaise ébouriffait ses cheveux noirs et fins. Au bout de quelques heures à observer la façon dont Jared la contemplait, je finis cependant par ne plus lui trouver rien de banal.

  Son amoureux la scrutait avec la passion d’un aveugle retrouvant le soleil pour la première fois, d’un collectionneur mettant la main sur un Vinci non répertorié, d’une mère admirant son nouveau-né. Ses prunelles émerveillées me donnèrent à découvrir de nouveaux aspects de Kim — son teint qui prenait des allures de soie rouille sous les reflets du feu, le contraste de ses dents, si blanches en comparaison, la longueur de ses cils qui caressaient sa joue lorsqu’elle baissait les yeux. Sa peau brunissait parfois quand elle rencontrait le regard énamouré de Jared, et elle se détournait, gênée, même si elle avait bien du mal à ne pas le fixer de son côté aussi. Face à ce spectacle, j’avais l’impression de mieux saisir ce que Jacob m’avait expliqué de l’imprégnation. « Il est dur de résister à un tel degré d’adoration et de dévouement », avait-il dit. À présent, Kim était allongé contre le torse de Jared qui l’enlaçait. Elle n’avait sûrement pas froid.

  — Il se fait tard, murmurai-je à Jake.

  — Ne commence pas ! protesta-t-il sur le même ton, bien que l’ensemble de ses frères eussent l’ouïe assez fine pour capter notre échange. Le meilleur reste à venir.

  — Et ça consiste en quoi ? Tu manges une vache entière ?

  — Non, rigola-t-il, ça, ce sera le bouquet final. Nous ne nous sommes pas réunis juste pour le plaisir d’engloutir l’équivalent d’une semaine de ravitaillement, figure-toi. C’est le premier conseil de Quil, et il ne connaît pas encore nos histoires. Enfin, il les a déjà entendues, sauf qu’il a désormais conscience qu’elles sont vraies. Il risque d’être plus attentif. Pour Kim, Seth et Leah, c’est également une initiation.

  — Quelles histoires ?

  Jacob s’approcha de la saillie rocheuse contre laquelle j’étais blottie. Passant son bras par-dessus mon épaule, il murmura à mon oreille.

  — Nos légendes. Les récits de notre origine. Elles débutent par le conte des esprits guerriers.

  Tout se passa comme si ce chuchotis inaugurait la suite, et l’atmosphère changea brutalement. Paul et Embry se redressèrent, Jared releva doucement Kim, Emily tira de sa poche un carnet à spirale et un stylo, réplique exacte de l’étudiante assistant à un cours magistral. À son côté, Sam se tortilla de façon à regarder dans la même direction que le vieux Quil, qui était près de lui. Je devinai alors que le conseil ne comptait plus trois membres mais quatre. Leah, le visage aussi immobile qu’un masque magnifique et dénué d’émotions, ferma les yeux, non pour exprimer sa lassitude mais pour mieux se concentrer. Son frère se pencha en avant, impatient.

  Le bois craqua derechef, expédiant une nouvelle gerbe d’étincelles qui scintillèrent dans la nuit. Billy se racla la gorge et, sans aucune introduction, se lança dans son récit, de sa voix grave aux riches intonations. Les mots lui venaient avec précision, comme s’il les connaissait par cœur, teintés cependant d’un rythme et d’une réelle musique, tel un poème déclamé par son auteur.

  — Les Quileute ont toujours été un petit peuple. Nous n’avons cependant jamais été éradiqués de la surface de la Terre, grâce à la magie qui coule dans nos veines depuis la nuit des temps, même si notre capacité à changer de forme n’est venue que plus tard. Car, au commencement, nous étions des esprits guerriers.

  Je découvrais une majesté chez Billy Black, reflet de l’autorité naturelle que je lui avais connue dès le début. Le stylo d’Emily dansait vivement sur le papier afin de ne rien perdre de ses précieuses paroles.

  — La tribu s’installa sur cette côte et se spécialisa dans la construction de bateaux et la pêche. Malheureusement, nous étions peu nombreux, l’endroit regorgeait de poissons. Des rivaux convoitaient nos terres, et nous n’étions pas assez puissants pour les défendre. Une tribu plus importante nous envahit, et nous fûmes contraints de fuir sur nos navires.

  « Kaheleha ne fut sans doute pas le premier esprit guerrier, mais nous avons oublié les légendes ayant précédé la sienne. Nous ne nous rappelons plus qui s’est aperçu de l’existence de notre pouvoir, ni comment il a été utilisé avant cette épreuve. Pour nous, Kaheleha inaugura la lignée des grands Chefs Esprits de notre peuple.

  « Le jour de l’attaque, lui et son armée quittèrent les embarcations. Par l’esprit seulement. Les femmes restèrent sur les flots pour surveiller leurs enveloppes charnelles, tandis que les hommes regagnaient la grève.

  « S’ils n’étaient pas en mesure d’atteindre physiquement leurs ennemis, ils disposaient d’autres moyens. Les récits nous apprennent qu’ils pouvaient déclencher de violentes bourrasques sur le camp adverse ; qu’ils étaient capables de faire hurler le vent pour terrifier leurs opposants. Les histoires nous disent aussi que les animaux les voyaient et les comprenaient, qu’ils leur obéissaient.

  « Kaheleha et ses hommes vainquirent les envahisseurs. Ces derniers avaient des meutes de gros chiens à la fourrure épaisse dont ils se servaient pour tirer leurs traîneaux sur les terres gelées du nord. Les Quileute retournèrent les bêtes contre leurs maîtres puis déclenchèrent une invasion de chauves-souris qui peuplaient les cavernes des falaises. Ils provoquèrent les cris du vent afin d’aider les chiens à semer la pagaille parmi les hommes. Les animaux l’emportèrent, et les survivants s’égaillèrent en jurant que notre côte était maudite. Les Quileute victorieux libérèrent les chiens qui retournèrent à la vie sauvage, tandis qu’eux-mêmes réintégraient leurs corps et retrouvaient leurs épouses.

  « Effrayées par notre magie, les tribus environnantes, les Hoh et les Makah, signèrent des traités de non-agression avec nos ancêtres. Si un ennemi se risquait quand même à nous affronter, les esprits guerriers le chassaient, et nous vécûmes en paix.

  « Les générations se succédèrent ainsi jusqu’à l’ultime grand Chef Esprit, Taha Aki, réputé pour sa sagesse et son pacifisme. Sous son règne, le peuple connut la joie. Il n’y avait qu’un mécontent, Utlapa.

  Un sifflement furieux retentit alors quelque part autour du feu, je ne fus pas assez rapide pour deviner de qui il émanait. L’ignorant, Billy enchaîna.

  — Utlapa était l’un des guerriers les plus forts de Taha Aki. Sa puissance n’avait d’égale que son avidité. Il estimait que la tribu aurait dû se servir de sa magie pour étendre son territoire et réduire les Hoh et les Makah en esclavage, afin d’établir un véritable empire.

  « Désormais, lorsque les soldats se transformaient en purs esprits, ils étaient capables de lire les pensées de leurs pairs. Taha Aki découvrit donc ce à quoi rêvait Utlapa et se fâcha. Il condamna l’ambitieux à l’exil et lui interdit de jamais se resservir de son esprit. Tout fort qu’il fût, Utlapa n’était pas en état de résister à une armée entière, et il fut contraint d’obéir. Rageur, il se cacha dans une forêt proche pour y guetter l’occasion qui lui permettrait de se venger de son supérieur.

  « Même en temps de paix, le Chef Esprit restait vigilant quand il s’agissait de la sécurité des siens. Souvent, il gagnait un endroit secret et sacré, perdu dans la montagne. Il y abandonnait son corps et survolait les bois et la côte pour s’assurer qu’aucun danger ne menaçait. Un jour, alors que Taha Aki remplissait son devoir, Utlapa le suivit. Son intention première avait été de le tuer, purement et simplement. Ce plan avait des inconvénients, cependant. Les guerriers chercheraient sans doute à détruire l’assassin, qu’ils rattraperaient sans aucune difficulté. Dissimulé derrière un rocher, Utlapa observa les préparatifs du chef et il eut une autre idée.

  « Taha Aki s’envola pour sa tournée d’inspection, Utlapa attendit qu’il se fût éloigné pour mettre son projet à exécution. Le chef
sut immédiatement que son rival l’avait rejoint dans le monde spirituel et devina ses intentions meurtrières. Il retourna aussitôt vers le lieu secret, mais les vents ne réussirent pas à le porter assez vite pour le sauver. Quand il arriva là-bas, son enveloppe charnelle avait disparu. Celle d’Utlapa gisait au sol, abandonnée. Hélas, le maudit avait tout prévu en tranchant sa propre gorge des mains même de Taha Aki, si bien que ce dernier était condamné à rester esprit.

  « Il suivit son corps dans la vallée, agonissant d’injures Utlapa, qui l’ignora comme une brise anodine. Désespéré, Taha Aki vit son ennemi prendre sa place au sein des Quileute. Durant quelques semaines, Utlapa garda profil bas, afin que chacun crût qu’il était Taha Aki. Puis les premiers changements intervinrent. Le traître commença par interdire aux guerriers d’entrer dans le monde spirituel. Il prétendit avoir eu la vision d’un danger, alors que, en réalité, il avait peur. Il était conscient que Taha Aki attendait une chance de raconter ce qui s’était passé. D’ailleurs, l’imposteur craignait lui aussi de se transformer en esprit, sachant pertinemment que Taha Aki exigerait la restitution de son corps. Ainsi, ses rêves de conquête tombèrent à l’eau, et il dut se contenter de diriger la tribu. Il oppressa celle-ci, réclamant des privilèges que l’ancien chef n’avait jamais demandés, refusant de travailler avec ses hommes, prenant une deuxième épouse, puis une troisième, alors que la femme de Taha Aki vivait encore, un événement extraordinaire pour les Quileute. Taha Aki assista à tout cela en proie à une rage impuissante.

  « Il finit par essayer d’assassiner son propre corps afin d’épargner à son peuple les excès d’Utlapa. Il convoqua un loup féroce de la montagne, mais l’imposteur se cacha derrière ses soldats et, quand un jeune homme fut tué en tentant de protéger celui qu’il prenait pour son chef, Taha Aki ressentit un chagrin épouvantable et ordonna à la bête de regagner son repaire.

  « Toutes les histoires insistent sur la difficulté d’être un esprit guerrier. Il était plus terrifiant qu’amusant de se libérer de son enveloppe charnelle, voilà pourquoi nos aïeux ne recouraient à leur magie qu’en cas de besoin. Les expéditions solitaires du chef étaient un fardeau, un sacrifice auquel il consentait pour le bien de la communauté. Être privé de corps était désorientant, inconfortable, très pénible. Taha Aki avait été éloigné du sien depuis si longtemps qu’il était à l’agonie. Il se croyait maudit, estimait qu’il n’atteindrait jamais la terre ultime où l’attendaient ses ancêtres, parce qu’il était à jamais voué à cette vacuité atroce.

 

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