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Mon fiancé, sa mère et moi

Page 24

by Brenda Janowitz


  — Puis-je me permettre de vous apporter un café ? demande mon assistante dans l’Interphone.

  Ouf, sauvée par le gong! Enfin, en l’occurrence, par ma secrétaire.

  — J’aurais dû vous le proposer plus tôt, excusez-moi, minaude-t-elle.

  — Avec plaisir, merci, chérie, répond Jay, un café noir, s’il vous plaît.

  Chérie ?

  Dois-je vous préciser que si un avocat appelle « chéri » ou « chérie » son assistant(e), son cabinet et lui se retrouvent immédiatement condamnés à payer un demi-million de dollars d’amende pour harcèlement sexuel ? Nous suivons sans arrêt des stages et des séminaires sur le sujet, je sais donc de quoi je parle. Mais, en l’occurrence, l’emploi d’un terme aussi politiquement incorrect réjouit mon assistante, qui frétille aussitôt.

  — Brooke, désirez-vous quelque chose ? demande-t-elle.

  — Un verre d’eau fraîche, s’il vous plaît.

  Et une cigarette.

  Bon, je sais que je ne fume pas mais, puisque c’est ce qu’on propose aux condamnés avant leur exécution, il me semble que c’est le moment propice pour commencer.

  — Parlons de ce contrat, dit Jay.

  Sur votre vie…

  — Ecoutez, voici ce que je vous propose, je vais vous régler le montant total, je vous enverrai un chèque demain, et on n’en parle plus ?

  « Non », fait-il silencieusement en secouant la tête.

  — Un chèque de banque ?

  « Non. »

  — Un chèque certifié ?

  « Non », fait sa tête alors que le cure-dent passe en cadence de l’un à l’autre côté de sa bouche.

  — Du liquide alors, vous préférez du liquide ?

  J’apprendrai plus tard que mon père l’a déjà entièrement payé en totalité. En liquide.

  — Ce n’est pas du tout une question d’argent, le préjudice dépasse largement le montant du contrat, dit-il.

  Encore ce mot « contrat ».

  Sur ma vie…

  — Vraiment?

  Je suis terrifiée d’en apprendre davantage sur son fameux préjudice, mais je ne peux plus tourner autour du pot. Plus tôt je saurai, plus vite il sortira de mon bureau.

  Ou plus vite je sortirai les pieds devant de mon bureau…

  — Il y a un moyen de tout arranger.

  — Vraiment?

  — Je veux l’exclusivité des informations sur Monique et son imbécile de mari, Jean-Luc, dit-il en s’enfonçant dans son fauteuil.

  Les sièges des visiteurs ne sont pas inclinables comme le mien. Et voici ce qui me vient à l’esprit en le voyant faire : si la chaise casse et s’il tombe en arrière, cours, Brooke, cours !

  — Jean-Luc n’est pas un imbécile !

  — Je me fiche de savoir s’il l’est ou non, tout ce qui m’intéresse, c’est l’exclusivité sur tout ce que vous apprendrez sur leur couple, genre ragots, rumeurs, révélations. Vous voyez sûrement ce que je veux dire?

  Mon assistante entre avec le café et le verre d’eau. Nous la remercions en cœur, et elle glousse de nouveau avant de sortir.

  — Il n’y a aucun ragot ni aucune révélation, et du reste, je croyais que vous n’étiez pas un paparazzi…

  — Je n’en suis pas un, ces types me dégoûtent. Moi, je suis un artiste. Mais il faut bien manger, ma petite dame. Alors si mes photos et mon histoire intéressent un canard au point qu’il les publie, et que je touche un bon paquet pour ça, je ne cracherai pas dessus. Mais je ne suis pas un paparazzi, ces mecs, c’est de la racaille, si vous voulez mon avis.

  Il est vrai que prendre des photos en se cachant, dévoiler des scoops sur des célébrités et se faire payer pour ça n’en fait pas un paparazzi.

  Pas du tout.

  Bien sûr.

  — Je n’ai rien à vous apprendre.

  — Je pourrais vous équiper d’une petite caméra invisible. Je suis sûr que ça vous plairait. Si je me souviens bien, vous appréciez beaucoup les techniques de surveillance ?

  — Primo, je refuse d’être équipée d’une caméra et, secundo, il ne s’agissait pas de surveiller mon fiancé mais de faire quelques clichés de lui dans son cadre professionnel.

  — Peu importe, chérie. On pourrait même la placer dans vos boucles d’oreilles. Vous aimez les boucles d’oreilles, n’est-ce pas ? Réfléchissez-y.

  — Il n’y a pas à réfléchir, parce qu’il n’y a rien à révéler. Les photos ne montreraient rien de plus excitant que ce qu’il y a dans n’importe quel atelier de création de robes de mariée. De la soie, de la mousseline et de la dentelle, plus un ou deux magazines de mode. Un point, c’est tout.

  — Vous avez déjà rencontré Jean-Luc?

  — Non. Il n’y a pas de raison que je le croise. Je vais là-bas pour essayer ma robe de mariée, je ne fais que des essayages. Il n’est jamais là.

  — Jamais là ? demande-t-il en se penchant vers moi.

  — Ce n’est pas ce que je veux dire, il n’est pas à l’atelier.

  — Je vois.

  — Il n’y a rien à voir !

  Je bois une gorgée d’eau.

  — Si vous voyez quelque chose d’intéressant, pensez à moi. Moi, je ne vous oublierai pas.

  Je sais que je devrais me lever et sortir de mon bureau pour montrer que notre entretien est terminé. Je ne dois absolument pas poursuivre cette conversation ni avoir peur, ses derniers mots n’ont aucune importance. Mon objectif est qu’il sorte d’ici en croyant que tout est réglé. Alors pourquoi cette question sort inexplicablement de mes lèvres ?

  — Pourquoi dites-vous que vous ne m’oublierez pas?

  — Parce que vous me devez quelque chose. Je pourrais vous prendre sous contrat, le dernier avocat que j’ai employé m’a posé quelques problèmes dernièrement.

  — Euh, non, merci, inutile.

  Devenir avocat de la mafia ? Lorsque mes parents m’ont envoyée en fac de droit, je suis sûre qu’ils ne pensaient pas que leur fille aurait un jour une telle opportunité de carrière. Est-ce que, par hasard, Jay aurait reçu une promotion au sein de la mafia? Mais, dans ce cas, mon père le saurait. Existe-t-il un genre de Facebook du crime où je pourrais me renseigner?

  — Pourquoi refusez-vous de devenir mon avocate? Je pourrais vous présenter à quelques amis, cela boosterait pas mal votre carrière !

  Je vois déjà l’article dans la newsletter des anciens étudiants de ma fac :

  Félicitations à Brooke Miller, promue consigliere de la famille du crime à New York City. Pour l’année prochaine, elle vise le poste d’assistante du parrain local. Nous croisons les doigts pour elle et lui souhaitons bonne chance !

  — Non, merci, vraiment, je n’y tiens pas.

  — Et je serai aussi votre photographe sous contrat. C’est d’accord?

  Visions de ma famille et moi posant pour de magnifiques photos à la Kennedy, pour le reste de ma vie…

  — Non, pas d’accord.

  — Très bien. Je ne vous perds pas de vue, on reste en contact, tous les deux.

  — Non, pas question, je n’ai pas besoin de photos ni de films, et je n’ai rien à dire ni aucune révélation à faire sur Monique et Jean-Luc.

  — Vous n’avez qu’à ouvrir vos oreilles toutes grandes, dit-il en se levant. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans la vie. Tout peut changer en un instant. Vous savez qui m’a appris cela?

  — Non.

  — M. John Gotti.

  Le célèbre parrain ? Pourquoi ai-je posé la question ?

  27

  — Alors, Maîtres, sommes-nous prêts à régler cette affaire ? demande le juge Martin.

  — Mon client ne souhaite pas une transaction, Votre Honneur, dis-je.

  Jack répond la même chose que moi.

  Nous sommes dans le cabinet du juge Martin pour la réunion finale avant l’audience – c’est, en effet, la dernière étape avant un éventuel procès – et je rassemble toutes mes forces pour ne pas regarder Jack. Miranda Foxley n’est pas là pour détourner mon attention n
i dissiper la tension palpable entre nous. Après avoir été découverte dans un tête-à-tête compromettant avec le chef du département faillites, on l’a envoyée sans cérémonie de l’autre côté du pont George-Washington, pour une longue et fastidieuse étude des archives d’un énorme entrepôt commercial. D’après Vanessa, avant même que la moindre rumeur n’ait atteint le département immobilier au dix-septième étage, le cabinet Gilson, Hecht et Trattner, qui redoute le scandale par-dessus tout, a éloigné Miranda la pécheresse, qui est non seulement dans la paperasse jusqu’au cou, mais qui travaille désormais pour le client le moins glamour qui soit, la société Papier Toilette. Ils n’ont pas voulu la virer car, pour un cabinet d’avocats, un procès pour harcèlement sexuel aurait été encore pire qu’un scandale. Voilà pourquoi ils l’ont envoyée dans le seul endroit où les journalistes ne daignent pas aller : le New Jersey.

  — Vous n’ignorez pas que ce genre d’affaire donne rarement lieu à un procès ? Alors que faisons-nous ? demande le juge Martin en passant sa main sur son crâne chauve.

  — Ma cliente avait mal évalué la façon dont son mari se comporterait dans cette affaire. Elle pensait au départ qu’ils seraient capables de parvenir à un accord amiable.

  — Mon client n’aurait jamais cru qu’une simple incompréhension de la part de sa femme prendrait de telles proportions, répond Jack en me regardant.

  Je refuse obstinément de me tourner et de lui faire face. Un seul regard de ses yeux bleus me chamboulerait et il faut que je reste forte.

  — Ma cliente est quelqu’un de très sérieux, Votre Honneur, elle ne plaisante pas avec son travail.

  — C’est de plus en plus clair pour moi, euh, je veux dire pour mon client, dit Jack.

  — Ma cliente ne voulait pas en arriver là, mais elle a découvert un certain nombre de choses qu’elle ignorait sur son époux.

  — Comme par exemple? demande le juge Martin.

  — Il ne l’a pas soutenue quand elle en avait besoin, je veux dire quand sa société en avait besoin, bien sûr. Elle estime donc qu’il vaut mieux qu’ils se séparent avant que les choses n’empirent entre eux. Enfin, je veux dire, avant que les actionnaires n’en pâtissent, évidemment.

  — Il me semble que nous pourrions malgré tout parvenir à un accord. Ne pourraient-ils pas faire un compromis ?

  — Je suis désolée, Votre Honneur, dis-je en secouant la tête, je crains que cela ne soit trop tard.

  — Je suis vraiment navré d’entendre cela, ma chère, répond le juge en me regardant comme si j’étais sa propre fille.

  — Moi aussi, Brooke, intervient Jack.

  Du coin de l’œil, je vois sa main se tendre vers moi. Ne sachant que faire pour l’éviter, je plonge dans mon porte-documents posé à mes pieds à la recherche de mon agenda.

  — Très bien, alors fixons une date, dit le juge Martin en regardant Jack.

  Fixer une date.

  Bien sûr, il s’agit de la date d’un procès, mais il y a quelques mois seulement, pour Jack et moi, ces quelques mots voulaient dire tant d’autres choses. La dernière fois que nous avons « fixé une date », nous commencions à vivre ensemble et nous parlions mariage. Aujourd’hui, c’est de la fin de notre histoire qu’il s’agit. Jack reste muet, il se contente de regarder fixement le juge Martin.

  — Bien, je vais donc fixer un jour. Il me semble qu’une seule journée devrait suffire, qu’en pensez-vous?

  — Oui, répondons-nous à l’unisson.

  — Un jour suffira amplement, dis-je.

  Le juge Martin ouvre son agenda, le gros livre en cuir à couverture rouge posé devant lui, et se met à le feuilleter d’un air pensif.

  — La semaine prochaine, ce n’est pas possible, elle est déjà très chargée et je vois que nous avons en outre le déjeuner du Conseil du barreau fédéral, dit-il en levant les yeux, c’est en l’honneur du juge Solomon, je présume que vous y serez tous les deux ?

  Jack acquiesce – bien sûr qu’il assistera à ce déjeuner donné en l’honneur de son père. Pour ma part, je n’ai pas l’intention d’y aller mais je ne veux pas faire de scandale, alors je me contente de hocher la tête d’un air vague.

  — Ce sera donc le mardi de la semaine suivante. Je n’aime pas démarrer un procès un lundi.

  — Très bien.

  — Merci, dit Jack.

  Nous nous levons pour lui serrer la main et nous quittons le cabinet du juge ensemble. Cela me bouleverse de voir qu’il me tient la porte. Je le remercie poliment et calmement, alors que mon cœur bat la chamade, et je me dirige tout droit vers l’ascenseur.

  — Alors, il n’y a plus d’espoir de régler ce différend? demande Jack.

  — Non, Jackie, je regrette.

  — Il faut que nous réglions ça ! dit-il en me prenant doucement le bras.

  L’ascenseur arrive, les portes s’ouvrent devant nous avec un chuintement. Je me dégage et j’avance à l’intérieur. Une fois dedans, je fais comme les autres personnes présentes, je me tourne face à la porte.

  — Tu n’as pas répondu à mes coups de fil et tu n’es jamais là quand je viens te voir, dit Jack.

  — Je suis occupée.

  — Il faut que l’on parle, murmure-t-il.

  — Il n’y a rien à dire.

  — Si.

  — Si tu avais des choses à me dire, il fallait le faire dans le cabinet du juge.

  Les portes s’ouvrent, je me précipite dehors, Jack accélère le pas pour me rattraper.

  — Ce n’est pas à propos de l’affaire, Brooke, c’est à propos de nous.

  — Il n’y a rien à ajouter, dis-je en stoppant brutalement et en me tournant vers lui.

  — J’ai fait des erreurs, mais tu en as fait avant moi, et je t’ai toujours pardonnée.

  — Il ne s’agit pas d’une erreur, Jack. Nous ne savons pas qui nous sommes. Je ne te reconnais plus. Je ne peux pas épouser un homme que je ne connais pas.

  — Mais qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que tu sais qui je suis ! Nous nous connaissons depuis six ans, comment peux-tu dire une chose pareille ?

  — Non, Jack, la façon dont tu m’as assignée depuis le début de cette affaire, la façon dont tu as laissé ta famille traiter la mienne… Je ne te savais pas comme ça.

  — Mais si, dit-il en prenant ma main, laisse-moi te reconduire à ton bureau, nous pourrons parler.

  — Une voiture m’attend dehors pour me ramener, dis-je en retirant ma main. Il y a quelque chose que je voulais te donner, quelque chose que tu veux certainement récupérer.

  Je plonge la main dans mon sac et j’en retire la bague de fiançailles de sa grand-mère que je lui tends sans le regarder. Puis, toujours les yeux baissés, je me précipite vers la voiture qui m’attend garée devant le palais de justice.

  Rubrique des potins

  DANS LE DISTRICT SUD DE NEW YORK, LE TRAVAIL

  DÉTEINT PARFOIS SUR LA VIE PRIVÉE.

  Par Shawn Morgan (AP)

  Les documents juridiques relatifs à l’affaire ont beau avoir été placés sous scellés par la justice dans un souci de discrétion, d’après nos sources, l’ancien mannequin, Monique de Vouvray a demandé le divorce à son mari le businessman Jean-Luc Renault, après trente-trois ans de mariage. Une décision qui a fait boule de neige puisque, pendant qu’ils réglaient les différentes étapes de la dissolution de l’affaire commerciale de leurs clients, les deux avocats de Manhattan, Brooke Miller et Jack Solomon, représentant respectivement Monique de Vouvray et Jean-Luc Renault, ont rompu leurs fiançailles et annulé leur mariage, qui devait être célébré dans quelques semaines à l’hôtel Pierre, à Manhattan.

  Jack Solomon est le fils du juge Edward Solomon, juge fédéral du district est de la Pennsylvanie, et de Joan Solomon, résidente de la société des amis du Metropolitan Museum, présidente du Comité des soirées estivales et membre du conseil d’administration du gala de printemps de l’Association américaine contre le cancer.

  Brooke Miller est la fille de Marty Miller, boucher casher, et de Miri
am Miller, dite « Mimi », présidente de l’Association de la coupe de la paix, du temple Beth.

  28

  — Noah veut vous voir dans son bureau, annonce mon assistante.

  Mes mains se figent sur mon clavier. Je sais exactement ce qu’il va se passer. D’habitude, lorsque Noah veut vous voir, il vous passe un simple coup de fil. Mais lorsqu’il vous convoque par le biais de votre assistante, vous pouvez être sûre que l’heure est grave.

  — Que savez-vous à propos de ce vidéaste qui est venu l’autre jour ? me demande-t-elle alors que je passe devant elle pour me rendre dans le bureau de Noah.

  — Rien, dis-je en fronçant les sourcils à l’évocation du sinistre personnage. Vous devriez être prudente et vous tenir éloignée de lui.

  — Il est célibataire ? insiste-t-elle en enroulant pensivement une mèche de cheveux autour de son doigt.

  J’envisage de lui dire la vérité – je ne sais pas du tout s’il est célibataire ou non –, mais j’ai en face de moi une gamine de vingt-deux ans, et lui conseiller de se tenir à l’écart d’un type qui lui a tapé dans l’œil est un peu court, alors, pour protéger sa vie, qui est en jeu sans qu’elle le sache, je lui dis que Jay est marié. J’espère que cela sera suffisant pour le lui faire oublier, à moins qu’elle ne soit comme Miranda Foxley et qu’elle ait un faible pour les hommes mariés.

  Avant de me rendre dans le bureau de Noah, je m’arrête un instant dans les toilettes pour vérifier ma tenue. Plantée devant le miroir, tout en défroissant ma jupe puis en faisant gonfler mes cheveux, je ne peux pas m’empêcher de repenser à quel point j’étais nerveuse et stressée lors de ma première semaine chez SGR. Je prenais conscience que je n’avais jamais travaillé ailleurs qu’au sein de l’énorme cabinet Gilson, Hecht et Trattner et ses dix-sept étages de bureaux situé au 425 Park Avenue. C’est pourquoi, en arrivant chez SGR, qui n’occupait qu’un seul étage de bureaux, j’avais l’impression de découvrir un nouveau monde. J’ai mis un peu de temps avant de situer le bureau du courrier, les archives et, bien sûr, les toilettes. Je me souviens de ce jour, c’était un mardi, où, me rendant aux toilettes, je suis tombée sur Manny, le responsable des archives.

 

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