The Complete Poetry of Aimé Césaire

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The Complete Poetry of Aimé Césaire Page 7

by Césaire, Aimé; Eshleman, Clayton; Arnold, A. James


  And the shrewd fellow whose waistcoat displays a proud watch chain, palms off, instead of full udders, youthful mettle, genuine contours, either the systematic puffiness from obliging wasps, or obscene stings from ginger, or the helpful distribution of several gallons of sugared water.

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  À la Saint-Jean-Baptiste, dès que tombent les premières ombres sur le bourg du Gros-Morne, des centaines de maquignons se réunissent pour échanger leurs chevaux, dans la rue « DE PROFUNDIS » dont le nom a du moins la franchise d’avertir d’une ruée des bas-fonds de la Mort. Et c’est de la Mort véritablement, de ses mille mesquines formes locales (fringales inassouvies d’herbe de Para et rond asservissement des distilleries) que surgit vers la grand’vie déclose l’étonnante cavalerie des rosses impétueuses. Et quels galops ! quels hennissements ! quelles sincères urines ! quelles fientes mirobolantes ! « un beau cheval difficile au montoir ! » – « Une altière jument sensible à la molette ! » – « Un intrépide poulain vaillamment jointé ! »

  Et le malin compère dont le gilet se barre d’une fière chaîne de montre, refile au lieu de pleines mamelles, d’ardeurs juvéniles, de rotondités authentiques, ou les boursouflures régulières de guêpes complaisantes, ou les obscènes morsures du gingembre, ou la bienfaisante circulation d’un décalitre d’eau sucrée.

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  I refuse to pass off my puffiness for authentic glory.

  And I laugh at my former puerile fantasies.

  No, we’ve never been Amazons of the king of Dahomey,& nor princes of Ghana with eight hundred camels, nor wise men in Timbuktu under Askia the Great,& nor the architects of Djenne, & nor Mahdis, & nor warriors. We don’t feel under our armpit the itch of those who in the old days carried a lance. And since I have sworn to leave nothing out of our history (I who love nothing better than a sheep grazing his own afternoon shadow), I may as well confess that we were at all times pretty mediocre dishwashers, shoeblacks without ambition, at best conscientious sorcerers and the only unquestionable record that we broke was that of endurance under the chicote. . .&

  And this land screamed for centuries that we are bestial brutes; that the human pulse stops at the gates of the barracoon; that we are walking compost hideously promising tender cane and silky cotton and they would brand us with red-hot irons and we would sleep in our excrement and they would sell us on the town square and an ell of English cloth and salted meat from Ireland cost less than we did, and this land was calm, tranquil, repeating that the spirit of the Lord was in its acts.

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  Je refuse de me donner mes boursouflures comme d’authentiques gloires.

  Et je ris de mes anciennes imaginations puériles.

  Non, nous n’avons jamais été amazones du roi de Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cents chameaux, ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djéné, ni Madhis, ni guerriers. Nous ne nous sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire, (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte…

  Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.

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  The slave ship! proclaim my certain and darkest instincts, the sails of black clouds, the polymasting of somber forests and the Calebars’ harsh magnificence, a glaring memory of the whitening prow—this skeleton!

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  Le négrier ! proclame mon sûr et ténébreux instinct, les voiles de noires nuages, la polymâture de forêts sombres et des dures magnificences des Calebars, insigne souvenir à la proue blanchoyant – ce squelette !

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  I hear coming up from the hold enchained curses, the death gasps of the dying, the sound of someone thrown into the sea. . . the baying of a woman in labor. . . the scraping of fingernails searching for throats. . . the flouts of the whip. . . the seething of vermin amidst the weariness. . .

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  J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquètements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine… des râclements d’ongles cherchant des gorges… des ricanements de fouet… des farfouillis de vermines parmi des lassitudes…

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  Nothing could ever lift us toward a noble hopeless adventure.

  So be it. So be it.

  I am of no nationality recognized by the chancelleries

  I defy the craniometer.& Homo sum& etc. . .

  Let them serve and betray and die

  So be it. So be it. It was written in the shape of their pelvis.

  And I, and I,

  I who sang the hard fist

  You must know the extent of my cowardice.

  One evening on the streetcar facing me, a nigger.

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  Rien ne put nous insurger jamais vers quelque noble aventure désespérée.

  Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.

  Je ne suis d’aucune nationalité prévue par les chancelleries

  Je défie le craniomètre. Homo sum etc…

  Et qu’ils servent et trahissent et meurent

  Ainsi soit-il. Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin.

  Et moi, et moi,

  moi qui chantai le poing dur

  Il faut savoir jusqu’où je poussai la lâcheté.

  Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre.

  A nigger big as a pongo trying to make himself small on the streetcar bench. He was trying to leave behind on this grimy bench his gigantic legs and his trembling ravenous boxer hands. And everything had left him, was leaving him. His nose which looked like a drifting peninsula and even his negritude discolored as a result of tireless tawing. And the tawer was Poverty. A big unexpected long-eared bat whose claw marks in his face had scabbed over into crusty islands. Or rather, Poverty was, like a tireless worker, laboring over some hideous cartouche. One could easily see how that industrious and malevolent thumb had kneaded bumps into his brow, bored two parallel and troubling tunnels in his nose, over-exaggerated his lips, and in a masterpiece of caricature, planed, polished, and varnished the tiniest cutest little ear in all creation.

  C’était un nègre grand comme un pongo qui essayait de se faire tout petit sur un banc de tramway. Il essayait d’abandonner sur ce banc crasseux de tramway ses jambes gigantesques et ses mains tremblantes de boxeur affamé. Et tout l’avait laissé, le laissait. Son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l’action d’une inlassable mégie. Et le mégissier était la Misère. Un gros oreillard subit dont les coups de griffes sur ce visage s’étaient cicatrisés en îlots scabieux. Ou plutôt c’était un ouvrier infatigable, la Misère, travaillant à quelque cartouche hideux. On voyait très bien comment le pouce industrieux et malveillant avait modelé le front en bosse, percé le nez de deux tunnels parallèles et inquiétants, allongé la démesure de la lippe, et par un chef-d’œuvre caricatural, raboté, poli, verni la plus minuscule mignonne petite oreille de la création.

  He was a gangly nigger without rhythm or measure.

  A nigger with a voice fogged over by alcohol and poverty.

  A nigger whose eyes rolled a bloodshot weariness.

  A shameless nigger and his toes sneered in a rather stinking way a
t the bottom of the yawning lair of his shoes.

  Poverty, without any question, had knocked itself out to finish him off.

  It had dug the socket, had painted it with a rouge of dust mixed with rheum.

  It had stretched an empty space between the solid hinge of the jaw and the bones in an old tarnished cheek. Had planted over it the small shiny stakes of a two- or three-day beard. Had panicked his heart, bent his back.

  C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure.

  Un nègre à la voix embrumée d’alcool et de misère.

  Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolante.

  Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers.

  La Misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever.

  Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardée d’un fard de poussière et de chassie mêlées.

  Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le cœur, voûté le dos.

  And the whole thing added up perfectly to a hideous nigger, a grouchy nigger, a melancholy nigger, a slouched nigger, his hands joined in prayer on a knobby stick. A nigger shrouded in an old threadbare coat. A comical and ugly nigger, with some women behind me sneering at him.

  Me I turned, my eyes proclaiming that I had nothing in common with this monkey.

  Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant.

  Moi je me tournai, mes yeux proclamant que je n’avais rien de commun avec ce singe.

  He was COMICAL AND UGLY,&

  COMICAL AND UGLY for sure.

  I displayed a big complicitous smile. . .

  My cowardice rediscovered!

  Hail to the three centuries that uphold my civil rights and my minimized blood.

  My heroism, what a farce!

  This town fits me to a t.

  Il était COMIQUE ET LAID,

  COMIQUE ET LAID pour sûr.

  J’arborai un grand sourire complice…

  Ma lâcheté retrouvée !

  Je salue les trois siècles qui soutiennent mes droits civiques et mon sang minimisé.

  Mon héroïsme, quelle farce !

  Cette ville est à ma taille.

  And my soul is prostrate. Prostrate like this town in its refuse and mud.

  This town, my face of mud.

  The baptismal water dries on my forehead.

  For my face I demand the vivid homage of spit!...

  So, being what we are, ours the warrior thrust, the triumphant knee, the well-plowed plains of the future!

  Look, I’d rather admit to uninhibited ravings, my heart in my brain like a drunken knee.

  Et mon âme est couchée. Comme cette ville dans la crasse et dans la boue couchée.

  Cette ville, ma face de boue.

  L’eau du baptême sur mon front se sèche.

  Je réclame pour ma face la louange éclatante du crachat !…

  Alors, nous étant tels, à nous l’élan viril, le genou vainqueur, les plaines à grosses mottes de l’avenir !

  Tiens, je préfère avouer que j’ai généreusement déliré, mon cœur dans ma cervelle ainsi qu’un genou ivre.

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  My star now, the funereal menfenil.&

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  Mon étoile maintenant, le menfenil funèbre.

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  And on this former dream my cannibalistic cruelties.

  Bullets are in the mouth thick saliva

  our heart from daily lowness bursts

  the continents break the fragile bond of isthmuses

  lands explode in accordance with the fatal division of rivers

  and the morne which for centuries kept its scream within itself, draws and quarters the silence in its turn

  and this people an ever-rebounding valour!

  and our limbs vainly disjointed by the most refined tortures, and life even more impetuously springing up from this dunghill—unexpected as a soursop amidst the decomposition of breadfruit!

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  Et sur ce rêve ancien mes cruautés cannibales.

  Les balles sont dans la bouche salive épaisse

  notre cœur de quotidienne bassesse éclate

  les continents rompent la frêle attache des isthmes

  des terres sautent suivant la division fatale des fleuves

  et le morne qui depuis des siècles retient son cri au dedans de lui-même, c’est lui qui à son tour écartèle le

  silence

  et ce peuple vaillance rebondissante !

  et nos membres vainement disjoints par les plus raffinés supplices, et la vie plus impétueuse jaillissant de ce fumier – comme le corrossolier imprévu de la décomposition des fruits du jacquier !

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  On this dream so old in me my cannibalistic cruelties

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  Sur ce rêve vieux en moi mes cruautés cannibales

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  I was hiding behind a stupid vanity

  destiny called me I was hiding behind it

  and suddenly there was man on the ground! His feeble defenses scattered,

  his sacred maxims trampled underfoot, his pedantic rhetoric so much hot air through each wound.

  There was man on the ground

  and his soul appears naked

  and destiny triumphs in watching this soul which

  defied its metamorphosis in the ancestral quagmire.

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  Je me cachais derrière une vanité stupide

  le destin m’appelait j’étais caché derrière

  et voici l’homme par terre ! Sa très fragile défense dispersée,

  ses maximes sacrées foulées aux pieds, ses déclamations pédantesques rendant du vent par chaque blessure.

  Voici l’homme par terre

  et son âme est comme nue

  et le destin triomphe qui contemple se muer

  en l’ancestral bourbier cette âme qui le défiait.

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  I say that this is right.

  My back will victoriously exploit the chalaza of fibers.

  I will deck out my natural obsequiousness with gratitude

  And the silver-braided bullshit of the postillion& of Havana, lyric baboon pimp for the splendor of slavery, will be more than a match for my enthusiasm.

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  Je dis que cela est bien ainsi.

  Mon dos exploitera victorieusement la chalasie des fibres.

  Je pavoiserai de reconnaissance mon obséquiosité naturelle

  Et rendra des points à mon enthousiasme le boniment galonné d’argent du postillon de la Havane, lyrique babouin entremetteur des splendeurs de la servitude.

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  I say that this is right.

  I live for the flattest part of my soul.

  For the dullest part of my flesh!

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  Je dis que cela est bien ainsi.

  Je vis pour le plus plat de mon âme.

  Pour le plus terne de ma chair !

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  Tepid small hours of ancestral heat and fear

  I now tremble with the collective trembling

  that our docile blood sings in the madrepore.

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  Tiède petit matin de chaleur et de peur ancestrales

  je tremble maintenant du commun tremblement

  que notre sang docile chante dans le madrépore.

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  And these tadpoles hatched in me by my prodigious ancestry!

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  Et ces têtards en moi éclos de mon ascendance prodigieuse !

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  those who invented n
either powder nor compass

  those who could harness neither steam nor electricity

  those who explored neither the seas nor the sky

  but knew in its most minute corners the land of suffering

  those who have known voyages only through uprootings

  those who have been broken in by so much kneeling

  those whom they domesticated and Christianized

  those whom they inoculated with degeneracy

  tom-toms of empty hands

  inane tom-toms of resounding sores

  burlesque tom-toms of tabetic treason

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  ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole

  ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité

  ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel

  mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance

  ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements

  ceux qui se sont assouplis aux agenouillements

  ceux qu’on domestiqua et christianisa

  ceux qu’on inocula d’abâtardissement

  tam-tams de mains vides

  tam-tams inanes de plaies sonores

  tam-tams burlesques de trahison tabide

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  Tepid small hours of ancestral heat and fear

  overboard with my alien riches

  overboard with my genuine falseness

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  Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales

  par dessus bord mes richesses pérégrines

  par dessus bord mes faussetés authentiques

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  But what strange pride of a sudden illuminates me?

 

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