slaves
le périple ligote emporte tous les chemins
seule la brume garde ses bras ramène la ville au port en palanquin
et toi c’est une vague qui à mes pieds t’apporte
ce bateau-là au fait dans le demi-jour d’un demi-sommeil
toujours je le connus
tiens-moi bien fort aux épaules aux reins
esclaves
the spume is its warm whinnying
the water of muddy inlets and this pain then nothing
where we two in the flank of the gluey night today
as in the past
slaves stowed with heavy hearts
all the same my dear all the same we’re under full sail
scarcely less nauseated by the pitching
c’est son hennissement tiède l’écume
l’eau des criques boueuses et cette douleur puis rien
où nous deux dans le flanc de la nuit gluante aujourd’hui
comme jadis
esclaves arrimés de cœurs lourds
tout de même ma chère tout de même nous cinglons
à peine un peu moins écœurés aux tangages
Counting-Out Rhyme
Comptine
It is this fine film on the swirl of the wine
ill deposited by the sea
it is this great rearing of the horses of the earth
halted at the last second by a gasp of the gulf
it is this black sand that churns up at the hiccup of the abyss
it is this stubborn serpent’s crawling out the shipwreck
this mouthful of stars revomited into a cake of fireflies
this stone on the ocean dislodging with its drool
a trembling hand for migratory birds
here Sun and Moon
C’est cette mince pellicule sur le remous du vin
mal déposé de la mer
c’est ce grand cabrement des chevaux de la terre
arrêtés à la dernière seconde sur un sursaut du gouffre
c’est ce sable noir qui se saboule au hoquet de l’abîme
c’est du serpent têtu ce rampement hors naufrage
cette gorgée d’astres revomie en gâteau de lucioles
cette pierre sur l’océan élochant de sa bave
une main tremblante pour oiseaux de passage
ici Soleil et Lune
form the two cleverly engaged cogwheels
of a Time ferocious in grinding us
it is this wretchedness
this dung
this sob of coral reefs
it is swooping from the memorable sky
down onto the lure of our hearts red at dawn
this beak of prey breaking the unwelcoming chest
font les deux roues dentées savamment engrenées
d’un Temps à nous moudre féroce
c’est ce mal être
cette fiente
ce sanglot de coraux
c’est fondant du ciel mémorable
jusqu’au leurre de nos cœurs rouges à l’aube
ce bec de proie rompant la poitrine inhospitalière
cage
and
quagmire
it is this hovering kestrel that blazons the noon sky of our black hearts
this ravishing
this sacking
this scraping
this earth
cage
et
marécage
C’est cet émouchet qui blasonne le ciel de midi de nos noirs cœurs planant
ce rapt
ce sac
ce vrac
cette terre
Seism
Séisme
So many grand walls of dream
so many parts of intimate homelands
collapsed
fallen empty and the soiled sonorous slipstream of the idea
and the two of us? what about us?
Roughly the story of the family surviving disaster:
“in the old grass snake smell of our blood we were fleeing
the valley, the village pursued us with at our heels roaring stone lions.”
tant de grands pans de rêve
de parties d’intimes patries
effondrées
tombées vides et le sillage sali sonore de l’idée
et nous deux ? quoi nous deux ?
À peu près l’histoire de la famille rescapée du désastre :
« dans l’odeur de vieille couleuvre de nos sangs nous fuyions
la vallée, le village nous poursuivait avec sur nos talons des lions de pierre rugissant. »
Sleep, sick sleep, sick awakening of the heart
yours on mine chipped crockery piled up in the pitching trough
of meridians.
To try words? Rubbing them to conjure up the unformed
like nocturnal insects their demential elytrons?
Caught caught caught outside lies caught
caught caught caught
Sommeil, mauvais sommeil, mauvais réveil du cœur
le tien sur le mien vaisselle ébréchée empilée dans le creux tanguant
des méridiens.
Essayer des mots ? Leur frottement pour conjurer l’informe
comme les insectes de nuit leurs élytres de démence ?
Pris pris pris hors mensonges pris
forbeten hastily scribbled
about nothing
except for the poorly read abrupt persistence
of our true names, our miraculous names
until now lying in the reserve of
oblivion.
pris pris pris
rôlés précipités
selon rien
sinon l’abrupte persistance mal lue
de nos vrais noms, nos noms miraculeux
jusqu’ici dans la réserve d’un oubli
gîtant.
Spirals
Spirales
we ascend
braids of men hanged from the cassias
(the hangman must have overlooked their final grooming)
we ascend
beautiful hands hanging from ferns and waving farewells that no one hears
we ascend
the balisiers* tear open their hearts at the precise moment
when the phoenix is reborn from its highest consuming flame
we ascend
we descend
nous montons
nattes de pendus des canéfices
(le bourreau aura oublié de faire leur dernière toilette)
nous montons
belles mains qui pendent des fougères et agitent des adieux que nul n’entend
nous montons
les balisiers se déchirent le cœur sur le moment précis
où le phénix renaît de la plus haute flamme qui le consume
nous montons
nous descendons
the cecropias* hide their faces
and their dreams in the skeletons of their phosphorescent hands
the circles of the funnel now close faster and faster
it is the end of hell
we crawl we float
we coil tighter and tighter the chasms of the earth
the grudges of mankind
the rancor of races
and the abyssal undertows carry us back
in a tangle of lianas
of stars and of shudders
les cécropies cachent leur visage
et leurs songes dans le squelette de leurs mains phosphorescentes
les cercles de l’entonnoir se referment de plus en plus vite
c’est le bout de l’enfer
nous rampons nous flottons
nous enroulons de plus en plus serré les gouffres de la terre
les rancunes des hommes
la rancœur des races
et les ressacs abyssaux nous ramènent
dans un paquet de lianes
d’étoiles et de frissons
Hail t
o Guinea
Salut à la Guinée
Dalaba Pita Labé Mali Timbé
mighty cliffs
Tinkisso Tinkisso
beautiful waters
and may the future already display there the fullest possible chevelure
Guinea oh
may your gait protect you
refusing
Dalaba Pita Labé Mali Timbé
puissantes falaises
Tinkisso Tinkisso
eaux belles
et que le futur déjà y déploie toute la possible chevelure
Guinée oh
te garde ton allure
déclinant
even to the shadow of the cloud
the gag of ashes over your primordial fire
Volcano blaze your muzzle attentive
to the fierce vigil over this most rare treasure
You gulf
with your tongue with your breath with your rutting
caress the new form nursing it
with the first milk and rock
oh rock
with a maternal meander
this sand
this rolling
of fragile liberty
jusqu’à l’ombre du nuage
le bâillon de cendre sur ton primordial feu
Volcan flambe ton mufle attentif
à la garde farouche de ce plus rare trésor
Toi golfe
de ta langue de ton souffle de ton rut
caresse et l’allaitant du lait premier
la forme nouvelle et berce
oh berce
d’un maternel méandre
ce sable
ce roulis
de liberté fragile
Realm
Royaume
this knife stab of a vomit of broken teeth in the belly of the wind
this sterile guano being sown nevertheless
on the run the solar crane carried it
as far as the wild pissing of a roaring ravine
(angel hiccup chipped bowl
placed so high the water of puddles
the water of fevers breaks down before our eyes)
ce coup de couteau d’un vomi de chicots dans le ventre du vent
ce semis de guanos stérile au demeurant
au pas de course la grue solaire s’en chargea
jusqu’au pissat sauvage d’un ravin rugissant
(hoquet des anges bol ébréché
si haut placée dans l’eau des flaques
l’eau des fièvres se déconcerte aux yeux)
the tide rising to our feet already incrusting them with a sanies of harsh seashells
to rot
respite granted him by certain title as his realm
this crime not mistakenly subpoenaed by all the fires of the Levant.
la marée montante aux pieds déjà l’incrustant d’une sanie de coquillages sévères
pourrir
le répit lui consentit de titre certain en royaume
ce crime assigné non à tort de tous les feux du Levant.
Monsoon-Mansion
Maison-mousson
my very worn coin face suddenly rediscovered in your diggings
your strange face of a water beast supremely elegant
one against the other by blowholes and disaster
blowing Space against your too low ceiling
a memorable insult from the depths of time
ma face de monnaie très usée brusquement redécouverte dans tes fouilles
ta face brusquée de bête des eaux suprêmement élégante
l’une contre l’autre par évents et désastre
soufflant Espace à ton plafond trop bas
du fond du temps une insulte mémorable
Monsoon Mansion
sinuous swimmer with ancient eyes of filled-in abysses
marabou and snake knotted
scar of horizons wagered
according to the power of the deceitful night in which we ascend
as water snakes of sybilline climates
who with their heads disarmed
by the solemn swelter of continents born
spendidly for us form a roof
Maison Mousson
onduleuse nageuse aux yeux anciens d’abîmes comblés
marabout et serpent noués
cicatrice d’horizons joués
selon la force de la fausse nuit où nous montons
en serpents d’eau de climats sibyllins
qui de leurs têtes désarmées
par la solennelle touffeur de continents nés
splendide nous font un toit
For Ina
Pour Ina
and the musky morning in the mangrove warmed a handful of sun
and noon perched high an unbearable eagle
night was falling perpendicularly
but now nevertheless between two waters
a turmoil of earth still full of the music of irreducible insects
et le matin de musc tiédissait dans la mangle une main de soleil
et midi juchait haut un aigle insoutenable
la nuit tombait à pic
mais maintenait quand même entre deux eaux
un trouble de terre plein de musiques encore d’insectes irréductibles
and once again daylight blazing green-blue in the veined depth of corollas
a gem-bird drunkenness in a havoc of blood
and the evenings were returning brocading chimerical
tulles and the seasons were passing over the hunched ochres and browns
of the madras-covered grandmothers musing
in the rain
et de nouveau le jour incendiant vert-bleu au profond veiné des corolles
une ivresse d’oiseau-gemme dans un saccage de sang
et les soirs revenaient brochant de chimériques
tulles et les saisons passaient sur les ocres et les bruns penchés
des madras des grand-mères songeuses
à la pluie
when the lenten seasons were pursuing through the mornes
the strange herd of splendid russets
quand les carêmes pourchassaient par les mornes
l’étrange troupeau des rousseurs splendides
Birds
Oiseaux
thus goes exile into the manger of the stars
bearing clumsy seeds to the birds born of time
which never ever fall asleep
in the fertile spaces of stirred-up childhoods
l’exil s’en va ainsi dans la mangeoire des astres
portant de malhabiles grains aux oiseaux nés du temps
qui jamais ne s’endorment jamais
aux espaces fertiles des enfances remuées
Nocturne of a Nostalgia
Nocturne d’une nostalgie
prowler
oh prowler
with little steps like a poorly healed scar
with little pauses like a worried bird
on a zebu’s back
rôdeuse
oh rodeuse
à petits pas de cicatrice mal fermée
à petites pauses d’oiseau inquiet
sur un dos de zébu
night plunder and undertow
with little dhow glides
with little pirogue starts
with little steps of a drop of milk under my black traction
plunder cellar robber
undertow child snatcher
nuit sac et ressac
à petits glissements de boutre
à petites saccades de pirogue
sous ma noire traction à petits pas d’une goutte de lait
sac voleur de cave
ressac voleur d’enfant
with a little marsh lamp
thus all night long all night long
from the shores of Assinie from the shores of Assinie
summary returns the current
always
and very violent
&nb
sp; à petite lampe de marais
ainsi toute nuit toute nuit
des côtes d’Assinie des côtes d’Assinie
le courant ramène sommaire
toujours
et très violent
To Know Ourselves. . .
Nous savoir…
Reflect then
to know ourselves
in the rain in the ashes in the ford
in the spate
to know us who dreamt
Songe donc
nous savoir
dans la pluie dans les cendres dans le gué
dans la crue
nous savoir qui rêvâmes
there
without numbers or rune
flung through hills and vales
in ourselves to know this heavy heart
huge rock tumbled hollowed from within
by some ineffable music held prisoner
of a melody nevertheless to be saved from Disaster
là
sans chiffres ni rune
rué par monts et vaux
nous savoir ce cœur lourd
grand rocher éboulé infléchi du dedans
The Complete Poetry of Aimé Césaire Page 45