Surrealist, Lover, Resistant

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Surrealist, Lover, Resistant Page 16

by Robert Desnos


  Adieu, je partirai comme on meurt un matin.

  Ce ne sont pas les lieues qui feront la distance

  Mais ces mots: Je l’aimais! murmurés au lointain.

  Adorable signe inscrit dans les eaux mortes

  Profondeurs boueuses

  Ô poissons qui rôdez autour des algues

  Où est la source que j’entends couler depuis si longtemps et que je n’ai jamais rencontrée

  Qui ferme sans cesse des portes lourdes et sonores?

  Eaux mortes Source invisible.

  Criminel attends-moi au détour du sentier parmi les grandes ciguës.

  Pareilles aux nuages les soirées sans raison naissent et meurent avec ce tatouage au-dessus du sein gauche: Demain

  L’eau s’écoule lentement par une fêlure de la bouteille où les plus fameux astrologues viennent boire l’élixir de vie

  Tandis que l’homme aux yeux clos ne sait que répéter: «Une cigogne de perdue deux de retrouvées»

  Et que les ciguës se fanent dans l’ombre du rendez-vous

  Et que demain ponctuel mais masqué en costume de prud’homme ouvre un grand parapluie rouge au milieu de la prairie où sèche le linge des fermières de l’aube.

  Blêmes effigies fantômes de marbre dressés dans les palais nocturnes

  Une lame de parquet craque

  Une épée tombe toute seule et se fiche dans le sol

  Et je marche sans arrêt à travers une succession

  De grandes salles vides dont les parquets cirés ont le reflet de l’eau.

  Il y a des mains dans cette nuit de marais

  Une main blanche et qui est comme un personnage vivant

  Et qui est la main sur laquelle je voudrais poser mes lèvres et où je n’ose pas les poser.

  Il y a les mains terribles

  Main noircie d’encre de l’écolier triste

  Main rouge sur le mur de la chambre du crime

  Main pâle de la morte

  Mains qui tiennent un couteau ou un revolver

  Mains ouvertes

  Mains fermées

  Mains abjectes qui tiennent un porte-plume

  Ô ma main toi aussi toi aussi

  Ma main avec tes lignes et pourtant c’est ainsi

  Pourquoi maculer tes lignes mystérieuses

  Pourquoi? plutôt les menottes plutôt te mutiler plutôt plutôt

  Écris écris car c’est une lettre que tu écris à elle et ce moyen impur est un moyen de la toucher

  Mains qui se tendent mains qui s’offrent

  Y a-t-il une main sincère parmi elles

  Ah je n’ose plus serrer les mains

  Mains menteuses mains lâches mains que je hais

  Mains qui avouent et qui tremblent quand je regarde les yeux

  Y a-t-il encore une main que je puisse serrer avec confiance

  Mains sur la bouche de l’amour

  Mains sur le cœur sans amour

  Mains au feu de l’amour

  Mains à couper du faux amour

  Mains basses sur l’amour

  Mains mortes à l’amour

  Mains forcées pour l’amour

  Mains levées sur l’amour

  Mains tenues sur l’amour

  Mains hautes sur l’amour

  Mains tendues vers l’amour

  Mains d’œuvres de l’amour

  Mains heureuses de l’amour

  Mains à la pâte hors l’amour horribles mains

  Mains liées par l’amour éternellement

  Mains lavées par l’amour par des flots implacables

  Mains à la main c’est l’amour qui rôde

  Mains liées par l’amour éternellement

  Mains pleines c’est encore l’amour

  Mains armées c’est le véritable amour

  Mains de maître mains de l’amour

  Main chaude d’amour

  Main offerte à l’amour

  Main de justice main d’amour

  Main forte à l’amour!

  Mains Mains toutes les mains

  Un homme se noie une main sort des flots

  Un homme s’en va une main s’agite

  Une main se crispe un cœur souffre

  Une main se ferme ô divine colère

  Une main encore une main

  Une main sur mon épaule

  Qui est-ce?

  Est-ce toi enfin?

  Il fait trop sombre! quelles ténèbres!

  Je ne sais plus à qui sont les mains

  Ce qu’elles veulent

  Ce qu’elles disent

  Les mains sont trompeuses

  Je me souviens encore de mains blanches dans l’obscurité étendues sur une table dans l’attente

  Je me souviens de mains dont l’étreinte m’était chère

  Et je ne sais plus

  Il y a trop de traîtres trop de menteurs

  Ah même ma main qui écrit

  Un couteau! une arme! un outil! Tout sauf écrire!

  Du sang du sang!

  Patience! Ce jour se lèvera.

  Églantines flétries parmi les herbiers

  Ô feuilles jaunes

  Tout craque dans cette chambre

  Comme dans l’allée nocturne les herbes sous le pied.

  De grandes ailes invisibles immobilisent mes bras et le retentissement d’une mer lointaine parvient jusqu’à moi.

  Le lit roule jusqu’à l’aube sa bordure d’écume et l’aube ne paraît pas

  Ne paraîtra jamais.

  Verre pile, boiseries pourries, rêves interminables, fleurs flétries,

  Une main se pose à travers les ténèbres toute blanche sur mon front,

  Et j’écouterai jusqu’au jour improbable

  Voler en se heurtant aux murailles et aux meubles l’oiseau de paradis, l’oiseau que j’ai enfermé par mégarde

  Rien qu’en fermant les yeux.

  Jamais l’aube a grands cris bleuissant les lavoirs,

  L’aube, savon trempé dans l’eau des fleuves noirs,

  L’aube ne moussera sur cette nuit livide

  Ni sur nos doigts tremblants ni sur nos verres vides.

  C’est la nuit sans frontière et fille des sapins

  Qui fait grincer au port la chaîne des grappins

  Nuit des nuits sans amour étrangleuse du rêve

  Nuit de sang nuit de feu nuit de guerre sans trêve

  Nuit de chemin perdu parmi les escaliers

  Et de pieds retombant trop lourds sur les paliers

  Nuit de luxure nuit de chute dans l’abîme

  Nuit de chaînes sonnant dans la salle du crime

  Nuit de fantômes nus se glissant dans les lits

  Nuit de réveil quand les dormeurs sont affaiblis.

  Sentant rouler du sang sur leur maigre poitrine

  Et monter à leurs dents la bave de l’angine

  Ils caressent dans l’ombre un vampire velu

  Et ne distinguent pas si le monstre goulu

  N’est pas leur cœur battant sous leurs côtes souillées.

  Nuit d’échos indistincts et de braises mouillées

  Nuit d’incendies étincelant sur les miroirs

  Nuit d’aveugle cherchant des sous dans les tiroirs

  Nuit des nuits sans amour, où les draps se dérobent,

  Où sur les boulevards sifflent les policiers

  Ô nuit! cruelle nuit où frissonnent des robes

  Où chuchotent des voix au chevet des malades,

  Nuit close pour jamais par des verrous d’acier

  Nuit ô nuit solitaire et sans astre et sans rade!

  Dans tes yeux, dans ton cœur et dans le ciel aussi

 
Vois s’étoiler soudain l’univers imprécis,

  La fissure grandir étroite et lumineuse

  Comme si quelque fauve aux griffes paresseuses

  Avait étreint la nuit et l’avait déchirée

  (Mais la lueur sera pâle et lente la marée)

  Des nervures courir dans le cristal fragile

  Des fêlures mimer des couleuvres agiles

  Qui rouleraient et se noueraient dans la lueur

  Pâle d’une aube étrange. Ainsi lorsque le joueur

  Fatigué de tourner les cartes symboliques

  Voit le matin cruel éclairer les portiques

  Maintes pensées et maints désirs presque oubliés

  Maints éventails flétris tombent sur les paliers.

  Tais-toi, pose la plume et ferme les oreilles

  Aux pas lents et pesants qui montent l’escalier.

  La nuit déjà pâlit mais cette aube est pareille

  À des papillons morts au pied des chandeliers.

  Une tempête de fantômes sacrifie

  Tes yeux qui les défient aux larmes du désir.

  Quant au ciel, plus fané qu’une photographie

  Usée par les regards, il n’est qu’un long loisir.

  Appelle la sirène et l’étoile à grands cris

  Si tu ne peux dormir bouche close et mains jointes

  Ainsi qu’un chevalier de pierre qui sourit

  À voir le ciel sans dieux et les enfers sans plainte.

  Ô Révolte!

  THE NIGHT OF LOVELESS NIGHTS

  Night of glaciation horrendous night putrescent

  Night of febrile phantom rotting greenery

  Night of white-hot well-shafts blazing incandescent

  Dark without the lightning, lies and trickery

  Who gazes on me in the rivers’ loud cascades?

  Corpses, sailors, fishermen? Burst yourselves, you tumours

  Malignant on the skin of transitory shades;

  Those eyes have watched me – shout aloud, you clamours! –

  They saw me in the city, that day, by setting sun:

  Chestnut-trees threw shadows where great edifices rise,

  Flags clack-clacked on towers, and summer nearly done

  Piled up its harvest-fruits for annual sacrifice.

  You who vomit serpents, you’ve come a weary way,

  A cold-blooded killer but of course a hero too.

  The lover goes out painlessly. You self-made fellow, say,

  Self-slayer, do you blush, that bliss entices you?

  Ghost, my mirror’s glassy-cold, where hearts are dripping blood!

  Night drags out its darkness by the frigid cerement:

  Love re-cooked, warmed over, like a dubious orange-hood,

  And a loving lady with a man who’s impotent.

  Yet I do not reckon you as one whom I despise.

  We shall hug in warm embrace, a handshake too we’ll share,

  Among love-letters, ribbons, and combs, and fripperies:

  Those knees of yours have never been besmirched by prayer.

  On the beach you searched below the rampant sea-cliffs there,

  Traced the creek where ocean stars go plummeting to ground.

  Night had fallen: points of fire careered through frozen air.

  Dreamer in the salt-pans, you saw them circle round,

  While the sky re-echoed, saw the frigate-birds in flight,

  Swooping to their splashdown, unbelievably:

  Nameless and tumultuous. Where’s that night tonight?

  Waves, reload your cannon! Targets crowd the sky.

  You were chained in servitude to female martinets,

  Women whose bewitching hair can charm the colibri,

  Women stony-breasted, a fateful hiding-place,

  Women of the downy necks, nests of mystery,

  Women swimming naked from a midnight shipwrecked hull,

  Women of the firestorm, women of the wild,

  Women aged before their time by loves unseasonal,

  Women who are liars, though their eyes are undefiled.

  Women ample-hearted, or poised on shapely limbs,

  Women of nefarious and subtly smiling lips,

  Women of sweet nature whose diamond never dims,

  Women promenading with undulating hips,

  Women with tight trousers clinging to their thighs,

  Women with white panties underneath a skirt

  Leaving free a little flesh, purposeful surprise,

  In between the garter and the frills that float and flirt,

  Women that you followed, in hope, or diffident,

  Women that you followed, not a glance was offered back:

  While the wilting posies they threw you as they went

  Led you on for ages, to follow in their track.

  You will follow doggedly till you or they are dead,

  Bleary-eyed from staring into harsh obscurities,

  Seeing how the dawn lights the heaven of their bed,

  Sheltering their shadow in the closing of your eyes.

  Roses between their teeth, doe-eyes of caresses,

  With cruel hands they shall attack without remorse,

  Torture your core, get your blood in bloody messes,

  Seemingly to punish you for fighting in their cause.

  Happy could it only be enough, to win their love,

  Not to weaken faced with peril’s mysteries,

  Keeping heart and soul with fortitude to prove,

  To discern the love-light in their flashing eyes,

  But the most audacious, never the sincerest,

  Plunder, gobble-mouthed, mouthing pledges to the air:

  Their smiles entice our thoughts, as prows pursue chimeras,

  Those bright resplendent smiles, that bobbing hair.

  For love and its pangs have a tyranny all their own:

  Uniquely possessed is a passion-driven soul.

  Many years of torture, that’s all that some have known,

  Some who by misfortune accepted love’s control.

  Others chase it, see how it metamorphoses:

  Baby-blue eyes that become a death-black pair,

  Glinting from a face full of wilting roses,

  Deeper than the heavens, and deeper than despair.

  Master of their sleeping and their sleepless reveries,

  Love has dragged the lot of them through countries by the score,

  Disembowelled oceans and epiphanies…

  High tide, the water’s up, the star is bright no more.

  Once a person told me that, lost among the floes,

  In a mountain cauldron where the ocean was remote,

  He was watching, smokeless and steady as she goes,

  Hung about with flags, an enormous packet-boat.

  High in the rigging the seabirds were screaming,

  Jack-tars in the shrouds shinned silent up and down.

  All along the stowage there were dancing-girls dreaming:

  Each wore a turban and an evening gown.

  At their throats were necklaces of icy brilliance,

  Wrists all bejewelled waving ostrich-feather fans

  Click-clacked to go ashore where masquerade cotillions

  Blushed red on portals and on barbicans.

  Male dancers, melancholy, broken and grieving,

  Likened their desires in their dreams to steel.

  High in the mountains, on a night of raving,

  The glaciers were guiding great clouds downhill.

  Down in a clearing, someone else discovered,

  Hemmed about by fir-trees, a rose-bush in flower.

  How many blood-r
ed roses had he gathered,

  Till he slept on mosses in the night’s last hour?

  That uncanny landscape on his eyes was leaving

  Imprints of a vision and his failing heartbeat chose

  This place to cease from its chicken-hearted heaving,

  Sequestered in the essences of wild thyme and rose.

  Since the days we sang, when our voices all resounded,

  Through these peculiar lands we’ve made our way.

  Loving women questioned us and echoes responded

  In words of simple meanings that we used every day.

  But, now that night has come crumbling down around us,

  In our hearts these words acquire an eerie resonance.

  Sometimes repetitive in memory they hound us,

  Then we disobey their imperious commands.

  Can you hear those voices that sing in the sierras,

  Sounds of battle-trumpet and of hunting-horn?

  Why is our only song the chain-gang’s chorus,

  While forever blaring the dismal sirens warn?

  Might it be Don Juan on the prowl in every alley

  Where the shadows mingle with love’s spectral revenants:

  Footfall that goes echoing through nights of melancholy,

  Did it stamp on human hearts a bruising dominance?

 

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