Surrealist, Lover, Resistant

Home > Other > Surrealist, Lover, Resistant > Page 36
Surrealist, Lover, Resistant Page 36

by Robert Desnos


  Ouvre un chemin retentissant de cris lointains.

  Le feu de la Saint-Jean dans le vallon s’éteint.

  La nuit, la courte nuit, déjà s’est égarée.

  Jeune fille aux beaux seins, au regard sans lumière,

  J’ai déjà vu tes sœurs. Tu n’es pas la première

  À te perdre en courant les jardins et les champs.

  Quand, à travers la haie, tu te fis un passage

  La ronce t’a griffé la cuisse et le visage

  Et le ciel a pâli au bruit de nouveaux chants.

  THE SUMMER NIGHT

  Roses go rambling up. Your dress is torn,

  Snagging the bush with scraps of misty morn.

  Perfumes from other days, another clime,

  Blend, as you walk, with lilac and with thyme.

  You move towards the wood, whose boundaries

  Open a path that’s loud with distant cries.

  Fires of midsummer in the vale die back;

  The night, so short, has soon strayed off the track.

  Fine-bosomed girl, no light shines in your gaze.

  I’ve seen your sisters. You are not the first

  To run through fields and gardens and be lost.

  You scrambled through the hedge and, as you passed,

  The bramble-bushes scratched your thigh and face;

  New songs were heard; the sky turned pale at last.

  LA PESTE

  Dans la rue un pas retentit. La cloche n’a qu’un seul

  battant. Où va-t-il le promeneur qui se rapproche

  lentement et s’arrête par instant? Le voici devant

  la maison. J’entends son souffle derrière la porte.

  Je vois le ciel à travers la vitre. Je vois le ciel où les

  astres roulent sur l’arête des toits. C’est la grande

  Ourse ou Bételgeuse, c’est Vénus au ventre blanc, c’est

  Diane qui dégrafe sa tunique près d’une fontaine de lumière.

  Jamais lunes ni soleils ne roulèrent si loin de la

  terre, jamais l’air de nuit ne fut si opaque et si

  lourd. Je pèse sur ma porte qui résiste…

  Elle s’ouvre enfin, son battant claque contre le

  mur. Et tandis que le pas s’éloigne je déchiffre

  sur une affiche jaune les lettres noires du mot «Peste».

  THE PLAGUE

  In the road a footstep echoes. The bell has only one

  clapper. Where’s he going, the walker, coming

  slowly nearer and briefly stopping? Now he’s outside

  the house. I hear him breathing behind the door.

  I see the sky through the glass. I see the sky where the

  stars run on the rooftops. It’s the great

  Bear or Betelgeuse, it’s Venus the white-bellied, it’s

  Diana unfastening her tunic near a fountain of light.

  Never did moons or suns run so far from the

  earth, never was the night air so dense and so

  heavy. I lean on my door which resists…

  It opens at last, it swings and knocks against the

  wall. And while the footstep moves away I decipher

  on a yellow poster the word in black letters, “Plague”.

  LA NYMPHE ALCESTE

  Tu es née, à minuit, du baiser de deux sources,

  Alceste, et l’univers ne t’offre que reflets,

  Lueurs, lampe allumée au lointain, feux follets

  Et dans le ciel les sept flambeaux de la Grande Ourse.

  Il fait noir et, partant au signal de la course,

  Tu ne soupçonnes pas que la nuit se soumet

  Et se dissout quand le soleil, sur les sommets,

  Par le chant des oiseaux répand l’or de sa bourse.

  Je sais que reviendront l’aurore et le matin.

  Je les ai vus, tu les verras, j’en suis certain.

  Déjà mon cœur se gonfle au rythme de leur danse.

  Mais saurai-je à ta sœur qui doit naître en plein jour,

  Nymphe Alceste, annoncer, dès midi, le retour

  Du crépuscule, de la nuit et du silence?

  THE NYMPH ALCESTIS

  Two streamlets kiss, and on the midnight hour

  You’re born, Alcestis. Here’s your cosmic dower:

  Reflections, fireflies, distant lights, the seven

  Torches of Ursa Major, up in heaven.

  It’s dark; the starting signal bids you run;

  You don’t suspect that night must soon disperse,

  Give way, when birds are singing, and the sun

  Spreads gold along the peaks with open purse.

  I know that dawn and morning will resume.

  I’ve seen them, you will see them, I know well:

  Their rhythmic dance excites my heart to swell.

  But, nymph, your sister’s born in noonday light:

  How shall I tell her of the coming gloom,

  Return of dusk, of silence, and of night?

  LA VOIX

  Une voix, une voix qui vient de si loin

  Qu’elle ne fait plus tinter les oreilles,

  Une voix, comme un tambour, voilée

  Parvient pourtant, distinctement, jusqu’à nous.

  Bien qu’elle semble sortir d’un tombeau

  Elle ne parle que d’été et de printemps,

  Elle emplit le corps de joie,

  Elle allume aux lèvres le sourire.

  Je l’écoute. Ce n’est qu’une voix humaine

  Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,

  L’écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.

  Et vous? ne l’entendez-vous pas?

  Elle dit «La peine sera de peu de durée»

  Elle dit «La belle saison est proche».

  Ne l’entendez-vous pas?

  THE VOICE

  A voice, a voice coming from so far away

  That it no longer rings in the ears,

  A voice, like a drumbeat, muffled

  Reaches us even so, distinctly.

  Though it seems to issue from a tomb

  It speaks only of summer and spring,

  It fills the body with joy,

  It kindles a smile on the lips.

  I’m listening. It’s only a human voice

  Coming across the din of life and of battles,

  The crash of thunder and the babble of talk.

  What about you? Don’t you hear it?

  It says “The pain will be short-lived”

  It says “The beautiful season is near”.

  Don’t you hear it?

  LA VENDANGE

  Les fauves sont partis, soumis au vendangeur

  Tandis qu’en la cité, construite à son de flûte,

  Au cirque, le laurier se fane après la lutte,

  Que le nom des champions s’efface au mur d’honneur.

  Le cortège s’éloigne. Il passe les hauteurs,

  Des tas de soldats tués pourrissent sous les buttes,

  La terre, ivre de sang, transpire, écume, jute

  Et d’un fumier puissant submerge les vainqueurs.

  Toi seul restes toi-même, ô Vin, dans tes barriques,

  Tu teindras notre bouche à tes couleurs magiques,

  Puis nous irons rejoindre en terre les palais

  Dont la cloche rythmant la chanson des cigales,

  Se tait, comme autrefois la flûte et les cymbales.

  Le vent même s’est tu. Le tonnerre se tait.

  THE VINTAGE

  The fallow deer are gone, culled in the fall,

  While in the city that the flute-song made

  The game
s are finished and the laurels fade,

  And names of champions rub off the wall.

  The escort climbs the street of sepulture.

  Below the bluffs, the soldiers rot in heaps;

  The earth, blood-sodden, sweats and froths and weeps,

  Drowning the victors in a rich manure.

  Wine, in your casks, unscathed! Your colours will

  Transmute our lips until we lie at last

  Beneath the earth, at one with palace bells

  That chimed with the cicada’s canticles,

  Stilled now, like flutes and cymbals long since past.

  Today the thunder and the wind are still.

  L’ÉQUINOXE

  Un coq à d’autres coqs répond. Le temps est gris,

  L’équinoxe roulant ses tonneaux à grand-peine

  Depuis la mer du Nord jusqu’aux bords de la Seine

  À travers les odeurs, les éclairs et les cris.

  Le corps décapité de l’évêque Denis

  Saigne avec les raisins d’Argenteuil et Suresnes.

  On enchaîne à des chars des héros et des reines.

  Les temples, un à un, croulent sur les parvis

  Mais, tout à l’heure encore, un arc-en-ciel de nuit

  Enjambait la vallée et la lune vers lui

  Roulait. Le jour parut et tout ne fut que brume.

  Mérite-t-il vraiment le nom de jour, ce jour

  Dont s’encrasse la ville et la vie et l’amour?

  Oui, car la flamme enfin, dans le brouillard s’allume.

  THE EQUINOX

  Cocks crow repeatedly. Beneath grey skies

  The equinox rolls out its barrel-train

  And trundles from the North Sea to the Seine

  Through all the smells, the lightning and the cries.

  The martyred corpse of Bishop Denis lies

  Bleeding with grapes of Argenteuil, Suresnes.

  Chariots haul queens and heroes on a chain.

  Each temple crumbles to its roots and dies,

  And yet just now a midnight rainbow shone,

  Spanning the valley, to entice the moon.

  Day broke; thick vapours hid the world away.

  Can it be truly called a day, this day

  That drags love, life and Paris in the mire?

  Yes: in the fog, a spark flares into fire.

  LA PLAGE

  Sur la plage où blanchit la mer dans les ténèbres,

  Où le figuier frémit sous le poids des oiseaux,

  Un homme, à demi-voix, n’a prononcé qu’un mot:

  Celui qui l’a reçu s’éloigne sous les cèdres.

  Il est l’heure. Bacchus entreprend sa conquête.

  Un rendez-vous l’accable et, comme un ruisseau sourd,

  L’espace le pénètre. Il fit nuit. Fait-il jour?

  Qu’importe, dispersez les foyers de la fête.

  Dans un pays de bois et de fraîches rivières

  Un homme sent couler, dans ses veines, son sang.

  Il connaît ce pays, ces hommes, leur accent.

  Déjà l’odeur du sol lui était familière.

  Sur la plage celui qui livra le secret

  Gît avec un poignard entre les deux épaules,

  Mais sa voix flotte encor sur l’eau, le long du môle

  Et répète le mot d’où naquit son regret.

  Sans cesse elle redit ces syllabes: Corinthe,

  Et la terre gémit de langueur et de crainte.

  THE BEACH

  On the beach, the sea whitens in the shadows.

  A fig-tree quivers with the weight of birds.

  A certain man has breathed one word of words;

  His hearer moves away among the cedars.

  It’s time to go and conquer. Bacchus girds

  for the grim tryst; the void, like muffled waters,

  Creeps into him. Night’s over. Is it day?

  Put out the party bonfires, anyway.

  A country of fresh streams and trackless wood

  Lets a man feel his veins, his coursing blood.

  He knows this land and people, knows their sound,

  Well-versed in the aromas of the ground.

  On the beach, he who gave the secret sign

  Lies with a dagger sticking in his spine.

  Along the mole his voice, still waterborne,

  Repeats the word from which his grief was born.

  That word is Corinth, copiously said,

  And the earth groans with lassitude and dread.

  L’ASILE

  Celui-là que trahit les rages de son ventre

  Et que tel pâle éclair de ses nuits a, souvent,

  Humilié, s’humilie. Il se soumet, il entre

  À l’asile de fous comme on entre au couvent.

  Puissé-je rester libre et garder ma raison

  Comme un sextant précis à travers les tempêtes,

  Lieux d’asile mon cœur, ma tête et ma maison

  Et le droit de fixer en face hommes et bêtes.

  Vertu tu n’es qu’un mot, mais le seul mot de passe

  Qui m’ouvre l’horizon, déchire le décor

  Et soumet à mes vœux l’espéré Val-de-Grâce

  Où le sage s’éveille, où le héros s’endort.

  Que le rêve de l’un et la réalité

  De l’autre soient présents bientôt dans la cité.

  THE ASYLUM

  The one whom his own belly’s rage betrays,

  Many times humbled when his nights glow pale,

  Humbles himself, submits, and joins the strays

  In the asylum, as one takes the veil.

  May I stay free and healthy in my thinking

  Like an unfailing sextant in a storm,

  Take refuge in my heart, my head, my home,

  And gaze on man and beast with eye unblinking.

  Virtue, mere word, you’ve set me free to pass:

  You’ve opened up the view, torn down the drapes,

  Bent to my prayers the hoped-for Val-de-Grâce,

  Where the sage wakens and the hero sleeps.

  Grant that the city soon enjoys their presence:

  The wise man’s dream, the warrior’s vital essence.

  LE RÉVEIL

  Entendez-vous le bruit des roues sur le pavé?

  Il est tard. Levez-vous. Midi à son de trompe

  Réclame le passage à l’écluse et, rêvé,

  Le monde enfin s’incarne et déroule ses pompes.

  Il est tard. Levez-vous. L’eau coule en la baignoire.

  Il faut laver ce corps que la nuit a souillé.

  Il faut nourrir ce corps affamé de victoire.

  Il faut vêtir ce corps après l’avoir mouillé.

  Après avoir frotté les mains que tachait l’encre,

  Après avoir brossé les dents où pourrissaient

  Tant de mots retenus comme bateaux à l’ancre,

  Tant de chansons, de vérités et de secrets.

  Il est tard. Levez-vous. Dans la rue un refrain

  Vous appelle et vous dit «Voici la vie réelle».

  On a mis le couvert. Mangez à votre faim

  Puis remettez le mors au cheval qu’on attelle.

  Pourtant pensez à ceux qui sont muets et sourds

  Car ils sont morts, assassinés, au petit jour.

  THE AWAKENING

  Listen: the noise of wheels on cobbled streets.

  It’s late. Get up. Noon blasts its foghorn trump,

  Keen to go through the lock-gates. Sleep recedes:

  The world of dreams takes flesh and flaunts its pomp.

  It’s late. Get up. The bath-tap’s on, and splashing.
r />   This body that the night has soiled needs washing.

  This body, starved of victory, needs feeding.

  This body needs a thorough soak, then clothing.

 

‹ Prev