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Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

Page 13

by Charles Baudelaire


  Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres ?

  Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ?

  Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,

  Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment

  De lire la secrète horreur du dévoûment

  Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides ?

  Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides ?

  Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,

  David mourant aurait demandé la santé

  Aux émanations de ton corps enchanté ;

  Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,

  Ange plein de bonheur, de joie et de lumières !

  XLVI. CONFESSION

  Une fois, une seule, aimable et douce femme,

  À mon bras votre bras poli

  S’appuya (sur le fond ténébreux de mon âme

  Ce souvenir n’est point pâli) ;

  Il était tard ; ainsi qu’une médaille neuve

  La pleine lune s’étalait,

  Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,

  Sur Paris dormant ruisselait.

  Et le long des maisons, sous les portes cochères,

  Des chats passaient furtivement,

  L’oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,

  Nous accompagnaient lentement.

  Tout à coup, au milieu de l’intimité libre

  Éclose à la pâle clarté,

  De vous, riche et sonore instrument où ne vibre

  Que la radieuse gaîté,

  De vous, claire et joyeuse ainsi qu’une fanfare

  Dans le matin étincelant,

  Une note plaintive, une note bizarre

  S’échappa, tout en chancelant

  Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde

  Dont sa famille rougirait,

  Et qu’elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,

  Dans un caveau mise au secret !

  Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde :

  « Que rien ici-bas n’est certain,

  Et que toujours, avec quelque soin qu’il se farde,

  Se trahit l’égoïsme humain ;

  Que c’est un dur métier que d’être belle femme,

  Et que c’est le travail banal

  De la danseuse folle et froide qui se pâme

  Dans un sourire machinal ;

  Que bâtir sur les cœurs est une chose sotte ;

  Que tout craque, amour et beauté,

  Jusqu’à ce que l’Oubli les jette dans sa hotte

  Pour les rendre à l’Éternité ! »

  J’ai souvent évoqué cette lune enchantée,

  Ce silence et cette langueur,

  Et cette confidence horrible chuchotée

  Au confessionnal du cœur.

  XLVII. L’AUBE SPIRITUELLE

  Quand chez les débauchés l’aube blanche et vermeille

  Entre en société de l’Idéal rongeur,

  Par l’opération d’un mystère vengeur

  Dans la brute assoupie un Ange se réveille.

  Des Cieux Spirituels l’inaccessible azur,

  Pour l’homme terrassé qui rêve encore et souffre,

  S’ouvre et s’enfonce avec l’attirance du gouffre.

  Ainsi, chère Déesse, Être lucide et pur,

  Sur les débris fumeux des stupides orgies

  Ton souvenir plus clair, plus rose, plus charmant,

  À mes yeux agrandis voltige incessamment.

  Le soleil a noirci la flamme des bougies ;

  Ainsi, toujours vainqueur, ton fantôme est pareil,

  me resplendissante, à l’immortel Soleil !

  XLVIII. HARMONIE DU SOIR

  Voici venir les temps où vibrant sur sa tige

  Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

  Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;

  Valse mélancolique et langoureux vertige !

  Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

  Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;

  Valse mélancolique et langoureux vertige !

  Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

  Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,

  Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !

  Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;

  Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…

  Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

  Du passé lumineux recueille tout vestige !

  Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…

  Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !

  XLIX. LE FLACON

  Il est de forts parfums pour qui toute matière

  Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.

  En ouvrant un coffret venu de l’orient

  Dont la serrure grince et rechigne en criant,

  Ou dans une maison déserte quelque armoire

  Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

  Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

  D’où jaillit toute vive une âme qui revient.

  Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

  Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

  Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

  Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.

  Voilà le souvenir enivrant qui voltige

  Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige

  Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains

  Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;

  Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

  Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

  Se meut dans son réveil le cadavre spectral

  D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

  Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

  Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire

  Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,

  Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

  Je serai ton cercueil, aimable pestilence !

  Le témoin de ta force et de ta virulence,

  Cher poison préparé par les anges ! liqueur

  Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !

  L. LE POISON

  Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

  D’un luxe miraculeux,

  Et fait surgir plus d’un portique fabuleux

  Dans l’or de sa vapeur rouge,

  Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

  L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,

  Allonge l’illimité,

  Approfondit le temps, creuse la volupté,

  Et de plaisirs noirs et mornes

  Remplit l’âme au delà de sa capacité.

  Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

  De tes yeux, de tes yeux verts,

  Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…

  Mes songes viennent en foule

  Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

  Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

  De ta salive qui mord,

  Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,

  Et, charriant le vertige,

  La roule défaillante aux rives de la mort !

  LI. CIEL BROUILLÉ

  On dirait ton regard d’une vapeur couvert ;

  Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert ?)

  Alternativement tendre, rêveur, cruel

  Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.

  Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,

  Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés,

  Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord,

  Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort.
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br />   Tu ressembles parfois à ces beaux horizons

  Qu’allument les soleils des brumeuses saisons…

  Comme tu resplendis, paysage mouillé

  Qu’enflamment les rayons tombant d’un ciel brouillé !

  Ô femme dangereuse, ô séduisants climats !

  Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,

  Et saurai-je tirer de l’implacable hiver

  Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ?

  LII. LE CHAT

  I

  Dans ma cervelle se promène,

  Ainsi qu’en son appartement,

  Un beau chat, fort, doux et charmant.

  Quand il miaule, on l’entend à peine,

  Tant son timbre est tendre et discret ;

  Mais que sa voix s’apaise ou gronde,

  Elle est toujours riche et profonde.

  C’est là son charme et son secret.

  Cette voix, qui perle et qui filtre

  Dans mon fond le plus ténébreux,

  Me remplit comme un vers nombreux

  Et me réjouit comme un philtre.

  Elle endort les plus cruels maux

  Et contient toutes les extases ;

  Pour dire les plus longues phrases,

  Elle n’a pas besoin de mots.

  Non, il n’est pas d’archet qui morde

  Sur mon cœur, parfait instrument,

  Et fasse plus royalement

  Chanter sa plus vibrante corde,

  Que ta voix, chat mystérieux,

  Chat séraphique, chat étrange,

  En qui tout est, comme en un ange,

  Aussi subtil qu’harmonieux !

  II

  De sa fourrure blonde et brune

  Sort un parfum si doux, qu’un soir

  J’en fus embaumé, pour l’avoir

  Caressée une fois, rien qu’une.

  C’est l’esprit familier du lieu ;

  Il juge, il préside, il inspire

  Toutes choses dans son empire ;

  Peut-être est-il fée, est-il dieu.

  Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime

  Tirés comme par un aimant,

  Se retournent docilement

  Et que je regarde en moi-même,

  Je vois avec étonnement

  Le feu de ses prunelles pâles,

  Clairs fanaux, vivantes opales,

  Qui me contemplent fixement.

  LIII. LE BEAU NAVIRE

  Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !

  Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;

  Je veux te peindre ta beauté,

  Où l’enfance s’allie à la maturité.

  Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

  Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

  Chargé de toile, et va roulant

  Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.

  Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

  Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ;

  D’un air placide et triomphant

  Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

  Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !

  Les diverses beautés qui parent ta jeunesse ;

  Je veux te peindre ta beauté,

  Où l’enfance s’allie à la maturité.

  Ta gorge qui s’avance et qui pousse la moire,

  Ta gorge triomphante est une belle armoire

  Dont les panneaux bombés et clairs

  Comme les boucliers accrochent des éclairs ;

  Boucliers provoquants, armés de pointes roses !

  Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses,

  De vins, de parfums, de liqueurs

  Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs !

  Quand tu vas balayant l’air de ta jupe large,

  Tu fais l’effet d’un beau vaisseau qui prend le large,

  Chargé de toile, et va roulant

  Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.

  Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent,

  Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,

  Comme deux sorcières qui font

  Tourner un philtre noir dans un vase profond.

  Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules,

  Sont des boas luisants les solides émules,

  Faits pour serrer obstinément,

  Comme pour l’imprimer dans ton cœur, ton amant.

  Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses,

  Ta tête se pavane avec d’étranges grâces ;

  D’un air placide et triomphant

  Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.

  LIV. L’INVITATION AU VOYAGE

  Mon enfant, ma sœur,

  Songe à la douceur

  D’aller là-bas vivre ensemble !

  Aimer à loisir,

  Aimer et mourir

  Au pays qui te ressemble !

  Les soleils mouillés

  De ces ciels brouillés

  Pour mon esprit ont les charmes

  Si mystérieux

  De tes traîtres yeux,

  Brillant à travers leurs larmes.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  Des meubles luisants,

  Polis par les ans,

  Décoreraient notre chambre ;

  Les plus rares fleurs

  Mêlant leurs odeurs

  Aux vagues senteurs de l’ambre,

  Les riches plafonds,

  Les miroirs profonds,

  La splendeur orientale,

  Tout y parlerait

  À l’âme en secret

  Sa douce langue natale.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  Vois sur ces canaux

  Dormir ces vaisseaux

  Dont l’humeur est vagabonde ;

  C’est pour assouvir

  Ton moindre désir

  Qu’ils viennent du bout du monde.

  — Les soleils couchants

  Revêtent les champs,

  Les canaux, la ville entière,

  D’hyacinthe et d’or ;

  Le monde s’endort

  Dans une chaude lumière.

  Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

  Luxe, calme et volupté.

  LV. L’IRRÉPARABLE

  I

  Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,

  Qui vit, s’agite et se tortille,

  Et se nourrit de nous comme le ver des morts,

  Comme du chêne la chenille ?

  Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords ?

  Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,

  Noierons-nous ce vieil ennemi,

  Destructeur et gourmand comme la courtisane,

  Patient comme la fourmi ?

  Dans quel philtre ? — dans quel vin ? — dans quelle tisane ?

  Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,

  À cet esprit comblé d’angoisse

  Et pareil au mourant qu’écrasent les blessés,

  Que le sabot du cheval froisse,

  Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,

  À cet agonisant que le loup déjà flaire

  Et que surveille le corbeau,

  À ce soldat brisé ! s’il faut qu’il désespère

  D’avoir sa croix et son tombeau ;

  Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire !

  Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?

  Peut-on déchirer des ténèbres

  Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,

  Sans astres, sans éclairs funèbres ?

  Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?

  L’Espérance qui brille aux carreaux de l’Auberge

  Est soufflée, est morte à jamais !

  Sans lune et sans rayons, trouver où l’on héberge<
br />
  Les martyrs d’un chemin mauvais !

  Le Diable a tout éteint aux carreaux de l’Auberge !

  Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ?

  Dis, connais-tu l’irrémissible ?

  Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,

  À qui notre cœur sert de cible ?

  Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ?

  L’Irréparable ronge avec sa dent maudite

  Notre âme, piteux monument,

  Et souvent il attaque, ainsi que le termite,

  Par la base le bâtiment.

  L’Irréparable ronge avec sa dent maudite !

  II

  J’ai vu parfois, au fond d’un théâtre banal

  Qu’enflammait l’orchestre sonore,

  Une fée allumer dans un ciel infernal

  Une miraculeuse aurore ;

  J’ai vu parfois au fond d’un théâtre banal

  Un être, qui n’était que lumière, or et gaze,

  Terrasser l’énorme Satan ;

  Mais mon cœur, que jamais ne visite l’extase,

  Est un théâtre où l’on attend

  Toujours, toujours en vain, l’Être aux ailes de gaze !

  LVI. CAUSERIE

  Vous êtes un beau ciel d’automne, clair et rose !

  Mais la tristesse en moi monte comme la mer,

  Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose

  Le souvenir cuisant de son limon amer.

  — Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;

  Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé

  Par la griffe et la dent féroce de la femme.

  Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l’ont mangé.

  Mon cœur est un palais flétri par la cohue ;

  On s’y soûle, on s’y tue, on s’y prend aux cheveux !

  — Un parfum nage autour de votre gorge nue !…

  Ô Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux !

  Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,

  Calcine ces lambeaux qu’ont épargnés les bêtes !

  LVII. CHANT D’AUTOMNE

  I

  Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;

  Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

  J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

  Le bois retentissant sur le pavé des cours.

 

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