Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

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Collected Poetical Works of Charles Baudelaire Page 17

by Charles Baudelaire


  Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève

  Mainte fois de la Peur je sens passer le vent.

  En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,

  Le silence, l’espace affreux et captivant…

  Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant

  Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve.

  J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,

  Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ;

  Je ne vois qu’infini par toutes les fenêtres,

  Et mon esprit, toujours du vertige hanté,

  Jalouse du néant l’insensibilité.

  — Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Êtres !

  CIII. LES PLAINTES D’UN ICARE

  Les amants des prostituées

  Sont heureux, dispos et repus ;

  Quant à moi, mes bras sont rompus

  Pour avoir étreint des nuées.

  C’est grâce aux astres nonpareils,

  Qui tout au fond du ciel flamboient,

  Que mes yeux consumés ne voient

  Que des souvenirs de soleils.

  En vain j’ai voulu de l’espace

  Trouver la fin et le milieu ;

  Sous je ne sais quel œil de feu

  Je sens mon aile qui se casse ;

  Et brûlé par l’amour du beau,

  Je n’aurai pas l’honneur sublime

  De donner mon nom à l’abîme

  Qui me servira de tombeau.

  CIV. RECUEILLEMENT

  Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

  Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :

  Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

  Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

  Pendant que des mortels la multitude vile,

  Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

  Va cueillir des remords dans la fête servile,

  Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

  Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,

  Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;

  Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

  Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,

  Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,

  Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

  CV. L’HÉAUTONTIMOROUMÉNOS

  À J. G. F.

  Je te frapperai sans colère

  Et sans haine, comme un boucher,

  Comme Moïse le rocher !

  Et je ferai de ta paupière,

  Pour abreuver mon Sahara,

  Jaillir les eaux de la souffrance.

  Mon désir gonflé d’espérance

  Sur tes pleurs salés nagera

  Comme un vaisseau qui prend le large,

  Et dans mon cœur qu’ils soûleront

  Tes chers sanglots retentiront

  Comme un tambour qui bat la charge !

  Ne suis-je pas un faux accord

  Dans la divine symphonie,

  Grâce à la vorace Ironie

  Qui me secoue et qui me mord ?

  Elle est dans ma voix, la criarde !

  C’est tout mon sang, ce poison noir !

  Je suis le sinistre miroir

  Où la mégère se regarde !

  Je suis la plaie et le couteau !

  Je suis le soufflet et la joue !

  Je suis les membres et la roue,

  Et la victime et le bourreau !

  Je suis de mon cœur le vampire,

  — Un de ces grands abandonnés

  Au rire éternel condamnés,

  Et qui ne peuvent plus sourire !

  CVI. L’IRREMÉDIABLE

  I

  Une Idée, une Forme, un Être

  Parti de l’azur et tombé

  Dans un Styx bourbeux et plombé

  Où nul œil du Ciel ne pénètre ;

  Un Ange, imprudent voyageur

  Qu’a tenté l’amour du difforme,

  Au fond d’un cauchemar énorme

  Se débattant comme un nageur,

  Et luttant, angoisses funèbres !

  Contre un gigantesque remous

  Qui va chantant comme les fous

  Et pirouettant dans les ténèbres ;

  Un malheureux ensorcelé

  Dans ses tâtonnements futiles,

  Pour fuir d’un lieu plein de reptiles,

  Cherchant la lumière et la clé ;

  Un damné descendant sans lampe,

  Au bord d’un gouffre dont l’odeur

  Trahit l’humide profondeur,

  D’éternels escaliers sans rampe,

  Où veillent des monstres visqueux

  Dont les larges yeux de phosphore

  Font une nuit plus noire encore

  Et ne rendent visible qu’eux ;

  Un navire pris dans le pôle,

  Comme en un piége de cristal,

  Cherchant par quel détroit fatal

  Il est tombé dans cette geôle ;

  — Emblèmes nets, tableau parfait

  D’une fortune irremédiable,

  Qui donne à penser que le Diable

  Fait toujours bien tout ce qu’il fait !

  II

  Tête-à-tête sombre et limpide

  Qu’un cœur devenu son miroir !

  Puits de Vérité, clair et noir,

  Où tremble une étoile livide,

  Un phare ironique, infernal,

  Flambeau des grâces sataniques,

  Soulagement et gloire uniques,

  — La conscience dans le Mal !

  CVII. L’HORLOGE

  Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,

  Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !

  Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi

  Se planteront bientôt comme dans une cible ;

  Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon

  Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;

  Chaque instant te dévore un morceau du délice

  À chaque homme accordé pour toute sa saison.

  Trois mille six cents fois par heure, la Seconde

  Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix

  D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,

  Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

  Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor !

  (Mon gosier de métal parle toutes les langues.)

  Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues

  Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

  Souviens-toi que le Temps est un joueur avide

  Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.

  Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !

  Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

  Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,

  Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

  Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),

  Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

  TABLEAUX PARISIENS

  CVIII. PAYSAGE

  Je veux, pour composer chastement mes églogues,

  Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,

  Et, voisin des clochers, écouter en rêvant

  Leurs hymnes solennels emportés par le vent.

  Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,

  Je verrai l’atelier qui chante et qui bavarde ;

  Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,

  Et les grands ciels qui font rêver d’éternité.

  Il est doux, à travers les brumes, de voir naître

  L’étoile dans l’azur, la lampe à la fenêtre,

  Les fleuves de charbon monter au firmament

  Et la lune verser son pâle enchantement.

  Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;<
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  Et quand viendra l’hiver aux neiges monotones,

  Je fermerai partout portières et volets

  Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.

  Alors je rêverai des horizons bleuâtres,

  Des jardins, des jets d’eau pleurant dans les albâtres,

  Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,

  Et tout ce que l’Idylle a de plus enfantin.

  L’Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,

  Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;

  Car je serai plongé dans cette volupté

  D’évoquer le Printemps avec ma volonté,

  De tirer un soleil de mon cœur, et de faire

  De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

  CIX. LE SOLEIL

  Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures

  Les persiennes, abri des secrètes luxures,

  Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés

  Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,

  Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,

  Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,

  Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,

  Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

  Ce père nourricier, ennemi des chloroses,

  Éveille dans les champs les vers comme les roses ;

  Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,

  Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.

  C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles

  Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,

  Et commande aux moissons de croître et de mûrir

  Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

  Quand, ainsi qu’un poëte, il descend dans les villes,

  Il ennoblit le sort des choses les plus viles,

  Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,

  Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

  CX. LOLA DE VALENCE

  INSCRIPTION POUR LE TABLEAU D’ÉDOUARD MANET.

  Entre tant de beautés que partout on peut voir,

  Je comprends bien, amis, que le désir balance ;

  Mais on voit scintiller en Lola de Valence

  Le charme inattendu d’un bijou rose et noir.

  CXI. LA LUNE OFFENSÉE

  Ô Lune qu’adoraient discrètement nos pères,

  Du haut des pays bleus où, radieux sérail,

  Les astres vont se suivre en pimpant attirail,

  Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires,

  Vois-tu les amoureux sur leurs grabats prospères,

  De leur bouche en dormant montrer le frais émail ?

  Le poëte buter du front sur son travail ?

  Ou sous les gazons secs s’accoupler les vipères ?

  Sous ton domino jaune, et d’un pied clandestin,

  Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu’au matin,

  Baiser d’Endymion les grâces surannées ?

  « — Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri,

  Qui vers son miroir penche un lourd amas d’années,

  Et plâtre artistement le sein qui t’a nourri ! »

  CXII. À UNE MENDIANTE ROUSSE

  Blanche fille aux cheveux roux,

  Dont la robe par ses trous

  Laisse voir la pauvreté

  Et la beauté,

  Pour moi, poëte chétif,

  Ton jeune corps maladif,

  Plein de taches de rousseur,

  A sa douceur.

  Tu portes plus galamment

  Qu’une reine de roman

  Ses cothurnes de velours

  Tes sabots lourds.

  Au lieu d’un haillon trop court,

  Qu’un superbe habit de cour

  Traîne à plis bruyants et longs

  Sur tes talons ;

  En place de bas troués,

  Que pour les yeux des roués

  Sur ta jambe un poignard d’or

  Reluise encor ;

  Que des nœuds mal attachés

  Dévoilent pour nos péchés

  Tes deux beaux seins, radieux

  Comme des yeux ;

  Que pour te déshabiller

  Tes bras se fassent prier

  Et chassent à coups mutins

  Les doigts lutins,

  Perles de la plus belle eau,

  Sonnets de maître Belleau

  Par tes galants mis aux fers

  Sans cesse offerts,

  Valetaille de rimeurs

  Te dédiant leurs primeurs

  Et contemplant ton soulier

  Sous l’escalier,

  Maint page épris du hasard,

  Maint seigneur et maint Ronsard

  Épieraient pour le déduit

  Ton frais réduit !

  Tu compterais dans tes lits

  Plus de baisers que de lys

  Et rangerais sous tes lois

  Plus d’un Valois !

  — Cependant tu vas gueusant

  Quelque vieux débris gisant

  Au seuil de quelque Véfour

  De carrefour ;

  Tu vas lorgnant en dessous

  Des bijoux de vingt-neuf sous

  Dont je ne puis, oh ! pardon !

  Te faire don.

  Va donc, sans autre ornement,

  Parfum, perles, diamant,

  Que ta maigre nudité,

  Ô ma beauté !

  CXIII. LE CYGNE

  À VICTOR HUGO.

  I

  Andromaque, je pense à vous ! — Ce petit fleuve,

  Pauvre et triste miroir où jadis resplendit

  L’immense majesté de vos douleurs de veuve,

  Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

  A fécondé soudain ma mémoire fertile,

  Comme je traversais le nouveau Carrousel.

  — Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville

  Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ;

  Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques,

  Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts,

  Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques,

  Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

  Là s’étalait jadis une ménagerie ;

  Là je vis un matin, à l’heure où sous les cieux

  Clairs et froids le Travail s’éveille, où la voirie

  Pousse un sombre ouragan dans l’air silencieux,

  Un cygne qui s’était évadé de sa cage,

  Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,

  Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage.

  Près d’un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec

  Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,

  Et disait, le cœur plein de son beau lac natal :

  « Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? »

  Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

  Vers le ciel quelquefois, comme l’homme d’Ovide,

  Vers le ciel ironique et cruellement bleu,

  Sur son cou convulsif tendant sa tête avide,

  Comme s’il adressait des reproches à Dieu !

  II

  Paris change ! mais rien dans ma mélancolie

  N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,

  Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,

  Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

  Aussi devant ce Louvre une image m’opprime :

  Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous,

  Comme les exilés, ridicule et sublime,

  Et rongé d’un désir sans trêve ! et puis à vous,

  Andromaque, des bras d’un grand époux tombée,

  Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,

  Auprès d’un tombeau vide en extase courbée ;

  Veuve d’Hector, hélas ! et femme
d’Hélénus !

  Je pense à la négresse, amaigrie et phthisique,

  Piétinant dans la boue, et cherchant, l’œil hagard,

  Les cocotiers absents de la superbe Afrique

  Derrière la muraille immense du brouillard ;

  À quiconque a perdu ce qui ne se retrouve

  Jamais ! jamais ! à ceux qui s’abreuvent de pleurs

  Et tettent la Douleur comme une bonne louve !

  Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

  Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile

  Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor !

  Je pense aux matelots oubliés dans une île,

  Aux captifs, aux vaincus !… à bien d’autres encor !

  CXIV. LES SEPT VIEILLARDS

  À VICTOR HUGO.

  Fourmillante cité, cité pleine de rêves,

  Où le spectre en plein jour raccroche le passant !

  Les mystères partout coulent comme des sèves

  Dans les canaux étroits du colosse puissant.

  Un matin, cependant que dans la triste rue

  Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur,

  Simulaient les deux quais d’une rivière accrue,

  Et que, décor semblable à l’âme de l’acteur,

  Un brouillard sale et jaune inondait tout l’espace,

  Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros

  Et discutant avec mon âme déjà lasse,

  Le faubourg secoué par les lourds tombereaux.

  Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes

  Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux,

  Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,

  Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux,

  M’apparut. On eût dit sa prunelle trempée

  Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas,

  Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée,

  Se projetait, pareille à celle de Judas.

  Il n’était pas voûté, mais cassé, son échine

  Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,

  Si bien que son bâton, parachevant sa mine,

  Lui donnait la tournure et le pas maladroit

  D’un quadrupède infirme ou d’un juif à trois pattes.

  Dans la neige et la boue il allait s’empêtrant,

 

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