Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

Home > Other > Collected Poetical Works of Charles Baudelaire > Page 16
Collected Poetical Works of Charles Baudelaire Page 16

by Charles Baudelaire


  Se dit, rêveur, devant ces lèvres déjà blanches :

  « Nous avons au grenier un nombre suffisant,

  Ce me semble, de vieilles planches ? »

  Célimène roucoule et dit : « Mon cœur est bon,

  Et naturellement, Dieu m’a faite très-belle. »

  — Son cœur ! cœur racorni, fumé comme un jambon,

  Recuit à la flamme éternelle !

  Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau,

  Dit au pauvre, qu’il a noyé dans les ténèbres :

  « Où donc l’aperçois-tu, ce créateur du Beau,

  Ce Redresseur que tu célèbres ? »

  Mieux que tous, je connais certain voluptueux

  Qui bâille nuit et jour, et se lamente et pleure,

  Répétant, l’impuissant et le fat : « Oui, je veux

  Être vertueux, dans une heure ! »

  L’Horloge à son tour, dit à voix basse : « Il est mûr,

  Le damné ! J’avertis en vain la chair infecte.

  L’homme est aveugle, sourd, fragile comme un mur

  Qu’habite et que ronge un insecte ! »

  Et puis, quelqu’un paraît, que tous avaient nié,

  Et qui leur dit, railleur et fier : « Dans mon ciboire,

  Vous avez, que je crois, assez communié,

  À la joyeuse Messe noire ?

  Chacun de vous m’a fait un temple dans son cœur ;

  Vous avez, en secret, baisé ma fesse immonde !

  Reconnaissez Satan à son rire vainqueur,

  Énorme et laid comme le monde !

  Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,

  Qu’on se moque du maître, et qu’avec lui l’on triche,

  Et qu’il soit naturel de recevoir deux prix,

  D’aller au Ciel et d’être riche ?

  Il faut que le gibier paye le vieux chasseur

  Qui se morfond longtemps à l’affût de la proie.

  Je vais vous emporter à travers l’épaisseur,

  Compagnons de ma triste joie,

  À travers l’épaisseur de la terre et du roc,

  À travers les amas confus de votre cendre,

  Dans un palais aussi grand que moi, d’un seul bloc,

  Et qui n’est pas de pierre tendre ;

  Car il est fait avec l’universel Péché,

  Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire ! »

  — Cependant, tout en haut de l’univers juché,

  Un Ange sonne la victoire

  De ceux dont le cœur dit : « Que béni soit ton fouet,

  Seigneur ! que la douleur, ô Père, soit bénie !

  Mon âme dans tes mains n’est pas un vain jouet,

  Et ta prudence est infinie. »

  Le son de la trompette est si délicieux,

  Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,

  Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux

  Dont elle chante les louanges.

  LXXXIX. L’EXAMEN DE MINUIT

  La pendule, sonnant minuit,

  Ironiquement nous engage

  À nous rappeler quel usage

  Nous fîmes du jour qui s’enfuit :

  — Aujourd’hui, date fatidique,

  Vendredi, treize, nous avons,

  Malgré tout ce que nous savons,

  Mené le train d’un hérétique.

  Nous avons blasphémé Jésus,

  Des Dieux le plus incontestable !

  Comme un parasite à la table

  De quelque monstrueux Crésus,

  Nous avons, pour plaire à la brute,

  Digne vassale des Démons,

  Insulté ce que nous aimons,

  Et flatté ce qui nous rebute ;

  Contristé, servile bourreau,

  Le faible qu’à tort on méprise ;

  Salué l’énorme Bêtise,

  La Bêtise au front de taureau ;

  Baisé la stupide Matière

  Avec grande dévotion,

  Et de la putréfaction

  Béni la blafarde lumière.

  Enfin, nous avons, pour noyer

  Le vertige dans le délire,

  Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,

  Dont la gloire est de déployer

  L’ivresse des choses funèbres,

  Bu sans soif et mangé sans faim !…

  — Vite soufflons la lampe, afin

  De nous cacher dans les ténèbres !

  XC. MADRIGAL TRISTE

  I

  Que m’importe que tu sois sage ?

  Sois belle ! et sois triste ! Les pleurs

  Ajoutent un charme au visage,

  Comme le fleuve au paysage ;

  L’orage rajeunit les fleurs.

  Je t’aime surtout quand la joie

  S’enfuit de ton front terrassé ;

  Quand ton cœur dans l’horreur se noie ;

  Quand sur ton présent se déploie

  Le nuage affreux du passé.

  Je t’aime quand ton grand œil verse

  Une eau chaude comme le sang ;

  Quand, malgré ma main qui te berce,

  Ton angoisse, trop lourde, perce

  Comme un râle d’agonisant.

  J’aspire, volupté divine !

  Hymne profond, délicieux !

  Tous les sanglots de ta poitrine,

  Et crois que ton cœur s’illumine

  Des perles que versent tes yeux !

  II

  Je sais que ton cœur, qui regorge

  De vieux amours déracinés,

  Flamboie encor comme une forge,

  Et que tu couves sous ta gorge

  Un peu de l’orgueil des damnés ;

  Mais tant, ma chère, que tes rêves

  N’auront pas reflété l’Enfer,

  Et qu’en un cauchemar sans trêves,

  Songeant de poisons et de glaives,

  Éprise de poudre et de fer,

  N’ouvrant à chacun qu’avec crainte,

  Déchiffrant le malheur partout,

  Te convulsant quand l’heure tinte,

  Tu n’auras pas senti l’étreinte

  De l’irrésistible Dégoût,

  Tu ne pourras, esclave reine

  Qui ne m’aimes qu’avec effroi,

  Dans l’horreur de la nuit malsaine

  Me dire, l’âme de cris pleine :

  « Je suis ton égale, ô mon Roi ! »

  CXI. L’AVERTISSEUR

  Tout homme digne de ce nom

  A dans le cœur un Serpent jaune,

  Installé comme sur un trône,

  Qui, s’il dit : « Je veux ! » répond : « Non ! »

  Plonge tes yeux dans les yeux fixes

  Des Satyresses ou des Nixes,

  La Dent dit : « Pense à ton devoir ! »

  Fais des enfants, plante des arbres,

  Polis des vers, sculpte des marbres,

  La Dent dit : « Vivras-tu ce soir ? »

  Quoi qu’il ébauche ou qu’il espère,

  L’homme ne vit pas un moment

  Sans subir l’avertissement

  De l’insupportable Vipère.

  XCII. À UNE MALABRAISE

  Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche

  Est large à faire envie à la plus belle blanche ;

  À l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;

  Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.

  Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,

  Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,

  De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,

  De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,

  Et, dès que le matin fait chanter les platanes,

  D’acheter au bazar ananas et bananes.

  Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus,

  Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;

  Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,

  Tu poses doucement ton
corps sur une natte,

  Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,

  Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.

  Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,

  Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,

  Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,

  Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?

  Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,

  Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,

  Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,

  Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,

  Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges

  Et vendre le parfum de tes charmes étranges,

  L’œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,

  Des cocotiers absents les fantômes épars !

  XCIII. LA VOIX

  Mon berceau s’adossait à la bibliothèque,

  Babel sombre, où roman, science, fabliau,

  Tout, la cendre latine et la poussière grecque,

  Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio.

  Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme,

  Disait : « La Terre est un gâteau plein de douceur ;

  Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !)

  Te faire un appétit d’une égale grosseur. »

  Et l’autre : « Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves,

  Au delà du possible, au delà du connu ! »

  Et celle-là chantait comme le vent des grèves,

  Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu,

  Qui caresse l’oreille et cependant l’effraie.

  Je te répondis : « Oui ! douce voix ! » C’est d’alors

  Que date ce qu’on peut, hélas ! nommer ma plaie

  Et ma fatalité. Derrière les décors

  De l’existence immense, au plus noir de l’abîme,

  Je vois distinctement des mondes singuliers,

  Et, de ma clairvoyance extatique victime,

  Je traîne des serpents qui mordent mes souliers.

  Et c’est depuis ce temps que, pareil aux prophètes,

  J’aime si tendrement le désert et la mer ;

  Que je ris dans les deuils et pleure dans les fêtes,

  Et trouve un goût suave au vin le plus amer ;

  Que je prends très-souvent les faits pour des mensonges,

  Et que, les yeux au ciel, je tombe dans des trous.

  Mais la Voix me console et dit : « Garde tes songes ;

  Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous ! »

  XCIV. HYMNE

  À la très-chère, à la très-belle

  Qui remplit mon cœur de clarté,

  À l’ange, à l’idole immortelle,

  Salut en immortalité !

  Elle se répand dans ma vie

  Comme un air imprégné de sel,

  Et dans mon âme inassouvie

  Verse le goût de l’éternel.

  Sachet toujours frais qui parfume

  L’atmosphère d’un cher réduit,

  Encensoir oublié qui fume

  En secret à travers la nuit,

  Comment, amour incorruptible,

  T’exprimer avec vérité ?

  Grain de musc qui gis, invisible,

  Au fond de mon éternité !

  À la très-bonne, à la très-belle

  Qui fait ma joie et ma santé,

  À l’ange, à l’idole immortelle,

  Salut en immortalité !

  XCV. LE REBELLE

  Un Ange furieux fond du ciel comme un aigle,

  Du mécréant saisit à plein poing les cheveux,

  Et dit, le secouant : « Tu connaîtras la règle !

  (Car je suis ton bon Ange, entends-tu ?) Je le veux !

  Sache qu’il faut aimer, sans faire la grimace,

  Le pauvre, le méchant, le tortu, l’hébété,

  Pour que tu puisse faire à Jésus, quand il passe,

  Un tapis triomphal avec ta charité.

  Tel est l’Amour ! Avant que ton cœur ne se blase,

  À la gloire de Dieu rallume ton extase ;

  C’est la Volupté vraie aux durables appas ! »

  Et l’Ange, châtiant autant, ma foi ! qu’il aime,

  De ses poings de géant torture l’anathème ;

  Mais le damné répond toujours : « Je ne veux pas ! »

  XCVI. LES YEUX DE BERTHE

  Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres,

  Beaux yeux de mon enfant, par où filtre et s’enfuit

  Je ne sais quoi de bon, de doux comme la Nuit !

  Beaux yeux, versez sur moi vos charmantes ténèbres !

  Grands yeux de mon enfant, arcanes adorés,

  Vous ressemblez beaucoup à ces grottes magiques

  Où, derrière l’amas des ombres léthargiques,

  Scintillent vaguement des trésors ignorés !

  Mon enfant a des yeux obscurs, profonds et vastes,

  Comme toi, Nuit immense, éclairés comme toi !

  Leurs feux sont ces pensers d’Amour, mêlés de Foi,

  Qui petillent au fond, voluptueux ou chastes.

  XCVII. LE JET D’EAU

  Tes beaux yeux sont las, pauvre amante !

  Reste longtemps sans les rouvrir,

  Dans cette pose nonchalante

  Où t’a surprise le plaisir.

  Dans la cour le jet d’eau qui jase

  Et ne se tait ni nuit ni jour,

  Entretient doucement l’extase

  Où ce soir m’a plongé l’amour.

  La gerbe épanouie

  En mille fleurs,

  Où Phœbé réjouie

  Met ses couleurs,

  Tombe comme une pluie

  De larges pleurs.

  Ainsi ton âme qu’incendie

  L’éclair brûlant des voluptés

  S’élance, rapide et hardie,

  Vers les vastes cieux enchantés.

  Puis, elle s’épanche, mourante,

  En un flot de triste langueur,

  Qui par une invisible pente

  Descend jusqu’au fond de mon cœur.

  La gerbe épanouie

  En mille fleurs,

  Où Phœbé réjouie

  Met ses couleurs,

  Tombe comme une pluie

  De larges pleurs.

  Ô toi, que la nuit rend si belle,

  Qu’il m’est doux, penché vers tes seins,

  D’écouter la plainte éternelle

  Qui sanglote dans les bassins !

  Lune, eau sonore, nuit bénie,

  Arbres qui frissonnez autour,

  Votre pure mélancolie

  Est le miroir de mon amour.

  La gerbe épanouie

  En mille fleurs,

  Où Phœbé réjouie

  Met ses couleurs,

  Tombe comme une pluie

  De larges pleurs.

  XCVIII. LA RANÇON

  L’homme a, pour payer sa rançon,

  Deux champs au tuf profond et riche,

  Qu’il faut qu’il remue et défriche

  Avec le fer de la raison ;

  Pour obtenir la moindre rose,

  Pour extorquer quelques épis,

  Des pleurs salés de son front gris

  Sans cesse il faut qu’il les arrose.

  L’un est l’Art, et l’autre l’Amour.

  — Pour rendre le juge propice,

  Lorsque de la stricte justice

  Paraîtra le terrible jour,

  Il faudra lui montrer des granges

  Pleines de moissons, et des fleurs

  Dont les formes et les couleurs

  Gagnent le suffrage des Anges.

  XCIX. BIEN LOIN D’ICI

  C’est ici la case sacrée

  Où cette fille très-parée,

  Tranquille et toujours préparée,

  D’une main éventant ses seins,

  Et son coude dans
les coussins,

  Écoute pleurer les bassins :

  C’est la chambre de Dorothée.

  — La brise et l’eau chantent au loin

  Leur chanson de sanglots heurtée

  Pour bercer cette enfant gâtée.

  Du haut en bas, avec grand soin,

  Sa peau délicate est frottée

  D’huile odorante et de benjoin.

  — Des fleurs se pâment dans un coin.

  C. LE COUCHER DU SOLEIL ROMANTIQUE

  Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,

  Comme une explosion nous lançant son bonjour !

  — Bienheureux celui-là qui peut avec amour

  Saluer son coucher plus glorieux qu’un rêve !

  Je me souviens !… J’ai vu tout, fleur, source, sillon,

  Se pâmer sous son œil comme un cœur qui palpite…

  — Courons vers l’horizon, il est tard, courons vite,

  Pour attraper au moins un oblique rayon !

  Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ;

  L’irrésistible Nuit établit son empire,

  Noire, humide, funeste et pleine de frissons ;

  Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage,

  Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage,

  Des crapauds imprévus et de froids limaçons.

  CI. SUR LE TASSE EN PRISON D’EUGÈNE DELACROIX

  Le poëte au cachot, débraillé, maladif,

  Roulant un manuscrit sous son pied convulsif,

  Mesure d’un regard que la terreur enflamme

  L’escalier de vertige où s’abîme son âme.

  Les rires enivrants dont s’emplit la prison

  Vers l’étrange et l’absurde invitent sa raison ;

  Le Doute l’environne, et la Peur ridicule,

  Hideuse et multiforme, autour de lui circule.

  Ce génie enfermé dans un taudis malsain,

  Ces grimaces, ces cris, ces spectres dont l’essaim

  Tourbillonne, ameuté derrière son oreille,

  Ce rêveur que l’horreur de son logis réveille,

  Voilà bien ton emblème, me aux songes obscurs,

  Que le Réel étouffe entre ses quatre murs !

  CII. LE GOUFFRE

  Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant.

  — Hélas ! tout est abîme, — action, désir, rêve,

 

‹ Prev