Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 334

by Gustave Flaubert


  Oh ! Tu ne sais pas des joies, des voluptés, des raffinements de plaisir ! Ton âme sera élargie et sera doublée, des mondes y entreront et tourneront en toi. Entends-tu la danse des femmes nues qui sourient, qui t’appellent ? Oh ! Si tu savais comme elles sont belles, comme leurs corps ont de l’amour ! Elles te prendront, te berceront sur leur poitrine haletante. Entends-tu le bruit des armées, et les chars d’airain qui roulent sur le marbre des villes ? Entends-tu la longue clameur des peuples civilisés ? Le sang ruisselle, viens donc à la guerre !

  Et ils t’élèveront sur un trône, c’est-à-dire que tu étais libre et tu seras roi ; tu verras sous toi, à tes pieds, des armées et des nations, et quand tu frapperas du pied tu broieras des hommes. Tu auras de larges festins, où l’ivresse s’étendra sur ton âme ; ce sera des nouveaux mets, des nouveaux vins, des frénésies inconnues.

  Allons donc ! Entends-tu les coupes d’or qui bondissent, et les dents qui claquent sur le cristal ? Entends-tu la volupté, la puissance, l’ambition, toutes les délices du corps et de l’âme qui te parlent, qui t’attendent, qui te pressent, qui t’entourent ? La nuit vient, les étoiles montent au ciel, le vent s’élève, les feuilles roulent sur l’herbe, marche ! Et tu iras en avant, toujours, jusqu’à ce que tu tombes à la porte d’un palais d’or.

  LE SAUVAGE.

  Adieu donc, adieu ! Je pars pour le désert, le vent me pousse avec le sable.

  Je vois déjà l’oasis, j’entends les chants du festin. Adieu Haïta, adieu mes enfants, adieu ma cavale, adieu les bois, adieu les torrents !

  Une voix m’a dit : marche ! Et il y avait en elle quelque chose qui m’attirait et me charmait, adieu ! Adieu ! p64

  Le Génie Du Sauvage.

  Arrête ! Arrête !

  Non ! Non ! Reste à te balancer dans le hamac de jonc, à courir sur ta jument, à dépouiller le léopard de sa robe ensanglantée. Eh quoi ! L’eau du lac est pure, les chênes sont hauts, et ta femme n’est-elle pas blanche ? Ne te rappelles-tu plus ces nuits de délices sur le gazon plein de fleurs, quand les arbres avaient des feuilles, que la lune éclairait le ruisseau, et que les vents de la nuit, pleins de parfums et de mystères, séchaient les sueurs de vos membres fatigués ? Eh quoi ! Vois donc le même soleil qui se couche dans l’horizon, il est plus rouge que de coutume, il y a du sang derrière, il y a du malheur dans l’avenir… comme la mousse est fraîche et verte, comme le torrent mugit, plein d’écume ! Te faut-il donc d’autres fleurs que celles des bois, d’autre musique que la cascade qui tombe, d’autre amour que les baisers d’Haïta, d’autre bonheur que ta vie ? Non ! Tu as en toi du plomb fondu qui te brûle, ton cœur est un incendie, prends garde ! Avant qu’il ne soit cendres ton corps tombera de pourriture et d’orgueil.

  D’autres comme toi sont partis, hélas ! Vers la cité des hommes. Un soir ils ont dit un éternel adieu à leur femme, à leur foyer ; ils ont quitté la vallée et la montagne, le rivage que la vague chaque jour venait baiser de sa lèvre écumeuse ; leurs femmes pleuraient, le foyer ne brûlait plus, le chien aboyait sur le seuil et regardait la lune, la cavale hennissait sur l’herbe.

  Et on ne les a plus revus ! Car un démon les a pris et les a perdus dans l’espoir qu’ils avaient, comme ces feux qui font tomber dans les fleuves. Ils sont allés longtemps. Mais qui pourra dire toute la terre qu’ils ont foulée ! Successivement ils ont passé à travers tout, et tout a passé derrière eux ; la route p65

  s’allongeait toujours, le désert s’étendait comme l’infini, le bonheur fuyait devant eux comme une ombre. En vain ils regardaient souvent derrière, mais ils ne voyaient que la poussière remuée par les ouragans, et ils arrivèrent ainsi dans une satiété pleine d’amertume, dans une agonie lente, dans une mort désespérée.

  Non ! Non ! Ne quitte ni les bois où bondit le tigre sous ta flèche acérée, ni le murmure du lac où les cerfs viennent boire la nuit et troublent avec leurs pieds les rayons d’argent de la lune, ni le torrent qui bondit sur les rocs, ni tes enfants qui dorment, ni ta femme qui te regarde les yeux pleins de larmes, le cœur gonflé d’angoisses. Mieux vaut la hutte de roseaux que leur palais de porphyre, ta liberté que leur pouvoir, ton innocence que leurs voluptés, car ils mentent, car leur bonheur est un rire, leur ivresse une grimace d’idiot, leur grandeur est orgueil et leur bonheur est mensonge.

  Le sauvage n’écouta point la voix de l’ange, il partit ; et Satan se mit à rire en voyant l’humanité suivre sa marche fatale et la civilisation s’étendre sur les prairies.

  — mais ce n’est pas tout, dit Yuk, entrons maintenant dans la ville, et ne nous amusons pas aux bagatelles de la porte.

  Il était nuit, aucun bruit ne sortait de la cité endormie, on n’entendait qu’un vague bourdonnement comme des chants qui finissent ; ils entrèrent. Les rues étaient désertes, les navires se remuaient et battaient du flanc les quais de pierre, la brise se jouait dans les cordages, les eaux coulaient sous les ponts, la lune brillait sur les dômes des palais, les étoiles scintillaient. Les carrefours, les rues, longues promenades, places ouvertes, tout était vide, et de blanches lueurs éclairaient tout cela et faisaient remuer des ombres. Pas un nuage. p66

  Yuk était avec eux.

  Il faisait chaud, l’air était emprisonné entre les maisons, et souvent des vents chauds semblaient s’élancer des dômes de plomb et courir dans l’air comme une cendre invisible. Des hommes étendus, ivres, dormaient par terre, d’autres étaient morts ou semblaient dormir aussi. Il y avait quelque chose de sombre et d’amer jusque dans le sommeil de la ville. Yuk marchait devant eux, il guidait Smarh dans ce dédale impur, et, chemin faisant, il tirait de sa poche une certaine poudre, il la lançait en l’air ; on la voyait s’allonger en spirale, puis tomber par les cheminées, et bientôt on voyait les murailles se disjoindre et de volumineuses cornes s’étendre, comme l’envergure d’une aile, pendant qu’une femme tournait le dos à un homme et donnait son devant à un autre. Quand Yuk ouvrait la bouche, c’étaient des calomnies, des mensonges, des poésies, des chimères, des religions, des parodies qui sortaient, partaient, s’allongeaient, s’amalgamaient, s’enchevêtraient, se frisaient, ruisselaient, finissant toujours par entrer dans quelque oreille, par se planter sur quelque terrain pour germer dans quelque cerveau, par bâtir quelque chose, par en détruire une autre, enfouir ou déterrer, élever ou abattre.

  Chacun des mouvements de sa figure était une grimace, grimace devant l’église, grimace devant le palais, grimace devant le cabaret, devant le bougre, devant le pauvre, devant le roi. S’il allongeait le pied, il faisait rouler une couronne, une croyance, une âme candide, une vertu, une conviction.

  Et il riait, après cela, d’un rire de damné, mais un rire long, homérique, inextinguible, un rire indestructible comme le temps, un rire cruel comme la mort, un rire large comme l’infini, long comme l’éternité, car c’était l’éternité elle-même. Et dans ce rire-là p67

  flottaient, par une nuit obscure sur un océan sans bornes, soulevés par une tempête éternelle, empires, peuples, mondes, âmes et corps, squelettes et cadavres vivants, ossements et chair, mensonge et vérité, grandeur et crapule, boue et or ; tout était là, oscillant dans la vague mobile et éternelle de l’infini. Il sembla alors à Smarh que le monde était dépouillé de son écorce et restait saignant et palpitant, sans vêtements et sans peau. Son œil plongea plus loin dans les ténèbres, il crut un moment y voir des astres, les ténèbres étaient encore là. — entrons ici, dit Yuk.

  Et la porte d’un palais s’ouvrit devant eux. Ils montèrent par un escalier de marbre, qui avait des taches de sang à chaque marche, le pied broyait des coupes d’or et des têtes humaines, et à chaque pas on sentait qu’on marchait sur de la chair, que quelque chose s’enfonçait sous vous et que des soupirs montaient.

  Ils se trouvèrent dans une salle où il y avait un trône. Au pied de ce trône, un homme pâle, maigre, dans un manteau de pourpre. Il avait des nuits sans sommeil, celui-là, sa vie était une angoisse, passée à tenir un misérable morceau de bois doré qu’il avait dans
les mains, et il marchait soucieux auprès de son trône, et, quand il le voyait prêt à pencher, il le soulevait et mettait dessous pour le soutenir de la corruption et de l’or, des têtes humaines qu’il allait chercher dans la foule.

  Et tous les vices se traînaient à genoux à ses pieds, toutes les vertus s’inclinaient à son passage, toutes les convictions se fondaient comme du plomb devant son sourire, et tous les péchés capitaux le harcelaient et le tiraient par son linceul de pourpre, dont ils arrachaient quelques lambeaux.

  Et l’ambition lui disait : “tiens, voilà des empires, voilà des hommes, des lauriers, de la gloire, de la poudre, des combats, des cités ; la poudre des combats p68

  tourbillonne déjà ; en route, à la guerre !” et il sautait sur un cheval nu et le frappait à deux mains, il courait sur les hommes, brûlait les villes, le pied de son coursier cassait des crânes et des couronnes, le sang de la guerre fumait devant lui, il avait des vêtements pleins de sang et des mains rouges, et il appelait cela de la gloire.

  Et la luxure lui disait : “tiens, voilà des femmes et des voluptés, tout est à toi, à toi, le roi. En est-il une qui résistera au maître ? Et si elle résistait tu pourrais l’étouffer dans tes bras et tu aurais son cadavre tout chaud et tout palpitant. N’as-tu pas des femmes qui s’épuisent en inventions pour te plaire ? N’as-tu pas des poètes qui cherchent pour toi les raffinements les plus inouïs ? Tiens, voilà des parfums qui fument, des femmes nues et étendues sur des roses, il est nuit, elles t’appellent de leurs voix douces comme des sons de la flûte. “ et il se ruait, comme une bête fauve, sur les gorges et sur les ventres des courtisanes et des dames de haut parage ; il rugissait de plaisir, il se traînait comme un porc dans sa fange ; avec toutes ses richesses il n’était qu’ignoble, avec toute sa gloire il était vil. Les nuits, les jours, les crépuscules et les aurores, tandis que les esclaves nues dansaient en chantant, que la fanfare retentissait sous les voûtes dorées, il était entouré d’une troupe de beautés ; toujours il avait quelque belle tête sur ses lèvres, de beaux bras blancs sur son cou ; et en foule venaient les pères, les époux, les frères, les fils, vendre leur fille, leurs femmes, leurs sœurs, leur mère. Des brunes, des blondes, andalouses à la peau cuivrée et aux cheveux noirs, femmes d’Asie aux mamelles pendantes, bondissantes et nues, filles de Grèce aux formes pures et aux yeux bleus, et celles du nord, blondes comme les soleils d’automne, blanches comme le lait des montagnes, toutes pour lui étaient là, prêtes, parées ou nues ; pour lui p69

  toutes les fleurs, tous les parfums, toutes les voluptés, toutes les amours.

  Il y nageait, il s’y plongeait, il en prenait tant que son cœur pouvait en contenir, il les jetait et en prenait d’autres. Il aimait la femme aux mots d’amour, et la bouche aux dents fraîches, et les épaules blanches, couvertes d’une onde de cheveux noirs, et, quand il sentait des genoux presser ses flancs et des bras le serrer sur des seins nus, il se pâmait, il se mourait. Il était fou, idiot, stupide ; il sentait avec un enivrement machinalement une sueur de femme couler sur son corps, il tombait en fermant les yeux et rêvant d’autres voluptés, d’autres fanges dans son sommeil.

  Et l’avarice lui disait : “de l’or ! De l’or !” et il était pris d’une cupidité insatiable. De l’or ! Il y avait dans ce mot-là une frénésie satanique, et il amassait, il en amassait jusqu’au ciel, il en tirait de tout, des hommes et des choses ; il pressait tout dans ses mains et ses mains suaient l’or, il avait des machines qui lui en faisaient, et il en avait de quoi combler des océans, il s’y roulait dessus et disait qu’il était riche. D’autres fois, il était jaloux, par caprice, d’un haillon et il le volait ; s’il voyait une parcelle de quelque chose, il avait une soif de l’avoir, il avait du poison dans les veines. L’orgueil lui disait : “vois donc ! Regarde tes flottes, tes océans, tes empires, tes peuples esclaves ; tout à toi, à toi !” et il se trouvait grand, fort, beau, il se faisait dresser des autels, il était plein d’orgueil, et son orgueil l’étouffait de plus en plus, comme s’il avait eu une tempête dans l’âme, qui se fût gonflée toujours.

  Il courait donc de ses trésors à ses maîtresses, de ses esclaves à ses maîtresses, esclave lui-même, captif de ses vices, esclave et gêné d’un pli de rose sous lui. Mais quelqu’un vint qu’on n’attendait pas, il frappa à la porte à grands coups de pieds et il l’enfonça. Tout p70

  tomba, les lumières s’éteignirent, le trône fut emporté par le vent, le palais fut fauché, le roi et ses empires, ses voluptés, ses crimes, tout cela dans son linceul, tout cela poussière et néant. Oh ! Yuk se mit à rire, à rire toujours et longtemps ; Satan dit que cela l’ennuyait et qu’il en avait vu assez.

  — de l’érotique, du burlesque, du pastoral, du sentimental, de l’élégiaque ! Voyons, Yuk, une littérature au lait pour un poitrinaire !

  YUK.

  Que voulez-vous que nous montrions au novice ? Des fiancés, des mariés ou des morts ? Un mensonge ou un serment ?

  SATAN.

  Oui.

  YUK.

  Ensemble, n’est-ce pas ? Car serment et mensonge sont synonymes, ainsi que mariés et cocus, ainsi que fiancés et morts.

  Petite comédie bourgeoise.

  Scène première.

  Un salon confortable, une maman qui tricote avec des mitaines, une lampe avec un abat-jour, un jeune homme et une jeune fille s’entreregardent.

  LE JEUNE HOMME.

  Eh bien ?

  LA JEUNE FILLE.

  Eh bien ?

  LE JEUNE HOMME.

  Mademoiselle ! p71

  LA JEUNE FILLE.

  Monsieur !

  LE JEUNE HOMME.

  Chère amie, je vous aime (ici un baiser), je vous aime de tout mon cœur ; si vous saviez…

  la jeune fille lève un regard, le jeune homme pousse un soupir, la maman les regarde avec complaisance. La conversation continue, on parle des projets de mariage, d’une tenue de maison ; la jeune fille fait grande parade d’économie, le jeune homme grand étalage de magnificence.

  On s’enhardit. Chaque matin le jeune homme arrive avec un gros bouquet, et en sortant de chez sa fiancée il va chez son médecin, qui finit de le purger d’une incommodité gênante un jour de noces et dangereuse pour l’épousée.

  C’était un bon garçon, il avait fait son droit et avait fort bien usé de ses trois ans d’étudiant ; il avait débauché un régiment de modistes et les avait toutes laissées en disant : “tant pis ! Des femmes comme ça !” il ne savait plus que faire, il lui avait pris envie de se ranger, de payer ses dettes, de s’établir et de se marier.

  Sa femme était gentille, une grande fille blonde de dix-huit ans, élevée sous l’aile d’une bonne mère, chaste, blanche, timide.

  Il l’aimait, il le croyait, il avait fini par se le persuader, il en était convaincu. S’il avait eu plus d’imagination, il se serait posé comme un amoureux de drame ; cela lui semblait drôle tout de même. Mais le jour des noces arriva, la mariée était jolie comme un ange, le jeune homme était beau comme un gendarme ; l’une rêvait à mille instincts confus, pauvre colombe enfermée dans la cage et qui n’avait p72

  entrevu, entre les barreaux de l’honnêteté et le voile obscur des convenances, qu’un coin de ce grand ciel qu’on appelle amour ; l’autre pensait en termes plus précis et en images plus distinctes à la nuit qui allait venir : “une vierge, se disait-il, une femme comme cela !” et il n’en revenait pas d’étonnement. Scène ii.

  Une église, des conviés, des mendiants ; les prêtres rayonnent, les pièces d’argent tombent goutte à goutte dans l’offerte, beaucoup de cierges. Les mariés sont à genoux, la jeune fille frémit, palpitante d’une joie pure ; le jeune homme est frisé et a des gants blancs, il a été une heure à se laver les mains avec différents savons d’or, il embaume.

  à l’hôtel de ville on prononce le “ oui “ d’une voix claire, tout est fini.

  Yuk alors se met à rire, à rire de ce fameux rire que vous savez ; il a raison, car il a devant lui au moins un demi-siècle
de ménage.

  Nous sommes trop moraux pour nous appesantir sur la nuit de noces et dire tout ce qui s’y fit, ce serait cependant curieux, mais la décence, cette maquerelle impuissante, nous en empêche. Passons à la scène iii.

  Lune de miel (voyez la physiologie du mariage, du sire De Balzac, pour les phases successives de la vie matrimoniale).

  La femme s’aperçoit que son mari est beaucoup plus bête qu’elle ne le croyait ; il lui avait paru si spirituel, quand il n’était encore qu’un fiancé (suivant l’expression poétique), un parti (suivant l’expression sociale), un bon ami (comme disent les cuisinières), et une p… dans l’horizon (suivant nous) !

  De plus elle aimait la poésie, les rêves, les pensées capricieuses, brumeuses et vagabondes ; et son mari p73

  commence par lui dire que Lamartine est incompréhensible, que les rêveurs sont des fous, qu’il n’y a de vrai que l’argent et la géométrie. Elle avait dans le cœur toute une couronne de fleurs parfumées, fleurs de poésie, fleurs d’amour, elle avait, plein son âme, une joie sereine, pure et religieuse ; et feuille à feuille, jour à jour, il marche sur ses illusions, sur ses pensées d’enfant, avec le gros rire brute de l’homme qui triomphe, de la raison écrasant la poésie. Il fallait dire adieu à toutes ces diaphanes rêveries, où son esprit se berçait si mollement dans un ciel sans limites, dans un océan de délices et d’extases sans bord, sans rivage ! Quitter ses auteurs favoris qu’elle lisait les jours d’été, assise à l’ombre des ormes, ses chers poètes aux vaporeuses poésies, traités d’imbéciles par un homme de beaucoup d’esprit, disait-on !

  Elle eut du dépit d’abord, puis elle finit par se persuader qu’elle avait tort, elle commença à aimer le monde, à vouloir aller au bal. Son mari y consentit, il était fier de faire briller sa femme et de montrer ses diamants ; il pouvait se dire, en regardant les hommes lui presser la taille demi-nue, en faisant le plus gracieux sourire qu’il leur était possible : “cette femme est à moi ; vous avez le sourire, moi j’ai le baiser ; vous avez la main gantée, le pied chaussé, le sein voilé, et moi j’ai la main nue, le pied nu, le sein découvert. à moi ces voluptés que vous rêvez sur elle, à moi cette beauté qui brille, ces yeux qui regardent, ces diamants qui reluisent ; à moi tous les trésors que vous convoitez ! Ainsi l’orgueil s’était placé dans cet amour et le remplissait tout entier.

 

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