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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 416

by Gustave Flaubert

GRUCHET : Ah ça ! qui vous démange ? Vous paraissez tout inquiet.

  MUREL : Certainement !

  GRUCHET : Les affaires, hein ?

  MUREL : Oui, mes affaires !

  GRUCHET : Ah ! je vous l’avais bien dit ! ça ne m’étonne pas ! ...

  MUREL : De la morale maintenant !

  GRUCHET : Dame, écoutez-donc, chevaux de selle et de cabriolet, pique-niques, est-ce que je sais moi ! Quand on est simplement le représentant d’une compagnie, on ne vit pas comme si on avait la caisse dans sa poche.

  MUREL : Eh ! mon Dieu, je paierai tout !

  GRUCHET : En attendant, puisque vous êtes gêné, pourquoi n’empruntez-vous pas à Rousselin ?

  MUREL : Impossible !

  GRUCHET : Vous m’avez bien emprunté à moi, et je suis moins riche.

  MUREL : Oh ! lui ! c’est autre chose.

  GRUCHET : Comment, autre chose ? un homme si généreux, si serviable ! Vous avez un intérêt, mon gaillard, à ne pas vous déprécier dans la maison.

  MUREL : Pourquoi ?

  GRUCHET : Vous faites la cour à la jeune fille, espérant qu’un bon mariage...

  MUREL : Diable d’homme, va ! ... Oui, je l’adore... Mme Rousselin ! Au nom du ciel, pas d’allusion !

  GRUCHET, à part : Oh ! oh ! tu l’adores. Je crois que tu adores surtout sa dot !

  Scène III : Murel, Gruchet, Mme Rousselin, Onésime, Louise, Miss Arabelle, un livre à la main

  MUREL, présentant son bouquet à Mme Rousselin : Permettez-moi, Madame de vous offrir...

  MME ROUSSELIN, jetant le bouquet sur le guéridon à gauche : Merci, Monsieur !

  MISS ARABELLE : Oh ! les splendides gardénias !... et où peut-on trouver des fleurs aussi rares ?

  MUREL : Chez moi, miss Arabelle, dans ma serre !

  ONESIME, avec impertinence : Monsieur possède une serre ?

  MUREL : Chaude ! oui, Monsieur !

  LOUISE : Et rien ne lui coûte pour être agréable à ses amis.

  MME ROUSSELIN : Si ce n’est, peut-être, d’oublier ses préférences politiques.

  MUREL, à Louise, à demi-voix : Votre mère aujourd’hui est d’une froideur !

  LOUISE, de même, comme pour l’apaiser : Oh !

  MME ROUSSELIN, à droite, assise devant une petite table : Ici, près de moi, cher Vicomte. Approchez, monsieur Gruchet ! Eh bien, a-t-on fini par découvrir un candidat ? Que dit-on ?

  GRUCHET : Une foule de choses, Madame. Les uns...

  ONESIME, lui coupant la parole : Mon père affirme que M. Rousselin n’aurait qu’à se présenter...

  MME ROUSSELIN, vivement : Vraiment, c’est son avis ?

  ONESIME : Sans doute ! et tous nos paysans, qui savent que leur intérêt bien entendu s’accorde avec ses idées...

  GRUCHET : Cependant, elles diffèrent un peu des principes de 89 !

  ONESIME, riant aux éclats : Ah ! ah ! ah ! les immortels principes de 89 !

  GRUCHET : De quoi riez-vous ?

  ONESIME : Mon père rit toujours quand il entend ce mot-là.

  GRUCHET : Eh ! sans 89, il n’y aurait pas de députés !

  MISS ARABELLE : Vous avez raison, monsieur Gruchet, de défendre le parlement. Lorsqu’un gentleman est là, il peut faire beaucoup de bien !

  GRUCHET : D’abord on habite Paris pendant l’hiver.

  MME ROUSSELIN : Et c’est quelque chose !... Louise, rapproche-toi donc !... Car le séjour de la province, n’est-ce pas, monsieur Murel, à la longue fatigue ?

  MUREL, vivement : Oui, madame ! (Bas à Louise). On y peut cependant trouver le bonheur !

  GRUCHET : Comme si cette pauvre province ne contenait que des sots !

  MISS ARABELLE, avec exaltation : Oh ! non ! non ! Des coeurs nobles palpitent à l’ombre de nos vieux bois ; la rêverie se déroule plus largement sur les plaines ; dans des coins obscurs, peut-être, il y a des talents ignorés, un génie qui rayonnera ! (Elle s’assied)

  MME ROUSSELIN : Quelle tirade, ma chère ! Vous êtes plus que jamais en veine poétique !

  ONESIME : Mademoiselle, en effet, sauf un léger accent, nous a détaillé tout à l’heure, le Lac de M. de Lamartine... d’une façon...

  MME ROUSSELIN : Mais vous connaissez la pièce ?

  ONESIME : On ne m’a pas encore permis de lire cet auteur.

  MME ROUSSELIN : Je comprends ! une éducation... sérieuse ! (Lui passant sur les poignets un écheveau de laine à dévider) Auriez-vous l’obligeance ?... Les bras toujours étendus ! fort bien !

  ONESIME : Oh ! je sais Et même, je suis pour quelque chose dans ce paysage en perles que vous a donné ma soeur Elisabeth !

  MME ROUSSELIN : Un ouvrage charmant ; il est suspendu dans ma chambre ! Louise, quand tu auras fini de regarder l’Illustration...

  MUREL, à part : On se méfie de moi, c’est clair.

  MME ROUSSELIN : J’ai admiré, du reste, les talents de vos autres soeurs, la dernière fois que nous avons été au château de Bouvigny.

  ONESIME : [Ma mère y recevra prochainement la visite de mon grand-oncle, l’évêque de Saint-Giraud.

  MME ROUSSELIN : Monseigneur de Saint-Giraud votre oncle !

  ONESIME : Oui ! le parrain de mon père.

  MME ROUSSELIN : Il nous oublie, le cher Comte, c’est un ingrat ! ]

  ONESIME : Oh ! non ! car il a demandé pour tantôt un rendez-vous à M. Rousselin.

  MME ROUSSELIN, l’air satisfait : Ah !

  ONESIME : Il veut l’entretenir d’une chose... Et je crois même que j’ai vu entrer tout à l’heure Maître Dodart.

  MUREL, à part : Le notaire ! Est-ce que déjà ?

  MISS ARABELLE : En effet ! Et après est venu Marchais, l’épicier, puis M. Bondois, M. Liégeard, d’autres encore.

  MUREL, à part : Diable, qu’est-ce que cela veut dire ?

  Scène IV : les mêmes, Rousselin

  LOUISE : Ah ! papa !

  ROUSSELIN, le sourire aux lèvres : Regarde-le mon enfant ! Tu peux en être fière ! (Embrassant sa femme) Bonjour, ma chérie !

  MME ROUSSELIN : Que se passe-t-il ? cet air rayonnant...

  ROUSSELIN, apercevant Murel : Vous ici, mon bon Murel ! Vous savez déjà... et vous avez voulu être le premier !

  MUREL : Quoi donc ?

  ROUSSELIN, apercevant Gruchet : Gruchet aussi ! ah ! mes amis ! C’est bien ! Je suis touché ! Vraiment, tous mes concitoyens...

  GRUCHET : Nous ne savons rien !

  MUREL : Nous ignorons complètement...

  ROUSSELIN : Mais ils sont là !... ils me pressent !

  TOUS : Qui donc ?

  ROUSSELIN : [Tout un comité ] qui me propose la candidature de l’arrondissement.

  MUREL, à part : Sapristi ! on m’a devancé !

  MME ROUSSELIN : Quel bonheur !

  GRUCHET : Et vous allez accepter peut-être ?

  ROUSSELIN : Pourquoi pas ? Je suis conservateur, moi !

  MME ROUSSELIN : Tu leur as répondu ?

  ROUSSELIN : Rien encore, Je voulais avoir ton avis.

  MME ROUSSELIN : Accepte !

  LOUISE : Sans doute !

  ROUSSELIN : Ainsi, vous ne voyez pas d’inconvénient ?

  TOUS : Aucun - Au contraire - Va donc !

  ROUSSELIN : Franchement, vous pensez que je ferais bien ?

  MME ROUSSELIN : Oui ! oui !

  ROUSSELIN : Au moins, je pourrai dire que vous m’avez forcé. (Fausse sortie)

  MUREL, l’arrêtant : Doucement ! un peu de prudence.

  ROUSSELIN, stupéfait : Pourquoi ?

  MUREL : Une pareille candidature n’est pas sérieuse !

  ROUSSELIN : Comment cela ?

  Scène V : les mêmes, puis Marchais, Maître Dodart.

  MARCHAIS : Serviteur à la compagnie ! Mesdames, faites excuse ! Les messieurs qui sont là m’ont dit d’aller voir ce que faisait Rousselin, et qu’il faut qu’il vienne ! et qu’il réponde oui !

  ROUSSELIN : Certainement !

  MARCHAIS : Parce que vous êtes une bonne pratique, et que vous ferez un bon député !


  ROUSSELIN, avec enivrement : Député !

  DODART, entrant : Eh ! mon cher, on s’impatiente, à la fin !

  MUREL, à part : Dodart ! encore un tartuffe, celui-là !

  DODART, à Onésime : Monsieur votre père, qui est dans la cour, désire vous parler.

  MUREL : Ah ! son père est là ?

  GRUCHET, à Murel : Il vient avec les autres. L’oeil au guet, Murel !

  MUREL : Pardon, maître Dodart. (A Rousselin) Imaginez un prétexte... (A Marchais) Dites que M. Rousselin se trouve indisposé et qu’il donnera sa réponse... tantôt. Vivement ! (Marchais sort)

  ROUSSELIN : Voilà qui est trop fort, par exemple !

  MUREL : Eh ! on n’accepte pas une candidature, comme cela, à l’improviste !

  ROUSSELIN : Depuis trois ans je ne fais qu’y penser !

  MUREL : Mais vous allez commettre une bévue ! Demandez à Me Dodart, homme plein de sagesse, et qui connaît la localité, s’il peut répondre de votre élection.

  DODART : En répondre, non ! J’y crois, cependant ! Dans ces affaires-là, après tout, on n’est jamais sûr de rien. D’autant plus que nous ne savons pas si nos adversaires...

  GRUCHET : Et ils sont nombreux, les adversaires !

  ROUSSELIN : Ils sont nombreux ?

  MUREL : Immensément ! (A Dodart) Vous excuserez donc notre ami qui désire un peu de réflexion. (A Rousselin) Ah ! si vous voulez risquer tout !

  ROUSSELIN : Il n’a peut-être pas tort ! (A Dodart) Oui, priez-les...

  DODART : Eh bien, monsieur Onésime ? Allons !

  MUREL : Il faut obéir à papa.

  ROUSSELIN, à Murel : Comment, vous partez aussi ? Pourquoi ?

  MUREL : Cela est mon secret ! Tenez-vous tranquille ! vous verrez !

  Scène VI : Rousselin, Mme Rousselin, Louise, Miss Arabelle, Gruchet

  ROUSSELIN : Que va-t-il faire ?

  GRUCHET : Je n’en sais rien.

  MME ROUSSELIN : Quelque extravagance !

  GRUCHET : Oui ; c’est un drôle de jeune homme ! J’étais venu pour avoir la permission de vous en présenter un autre.

  ROUSSELIN : Amenez-le !

  GRUCHET : Oh ! il peut fort bien ne pas vous convenir. Vous avez quelquefois des préventions ! En un mot, il se nomme M. Julien Duprat.

  ROUSSELIN : Ah ! non ! non !

  GRUCHET : Quelle idée !

  ROUSSELIN : Qu’on ne m’en parle pas, entendez-vous (Apercevant, sur le guéridon, un journal) J’avais pourtant défendu chez moi l’admission de ce papier ! Mais je ne suis pas le maître, apparemment ! (Examinant la feuille) Oui, encore des vers !

  GRUCHET : Parbleu, puisque c’est un poète !

  ROUSSELIN : Je n’aime pas les poètes ! de pareils galopins...

  MISS ARABELLE : Je vous assure, Monsieur, que je lui ai parlé, une fois, à la promenade, sous les quinconces ; et il est... très bien !

  GRUCHET : Quand vous le recevriez !

  ROUSSELIN : Moins que jamais ! (A Louise) moins que jamais, ma fille !

  LOUISE : Oh ! je ne le défends pas !

  ROUSSELIN : Je l’espère bien... un misérable !

  MISS ARABELLE, violemment : Ah !

  GRUCHET : Mais pourquoi ?

  ROUSSELIN : Parce que... Pardon, miss Arabelle ! (A sa femme, montrant Louise) Oui, emmène-là ! J’ai besoin de m’expliquer avec Gruchet.

  Scène VII : Rousselin, Gruchet

  GRUCHET, assis sur le banc à gauche : Je vous écoute.

  ROUSSELIN, prenant le journal : Le feuilleton est intitulé : “Encore à Elle !”

  “Les vieux sphinx accroupis, qui sont de pierre dure, “Gémiraient sous la peine horrible qu’on endure “Lorsque...”

  Eh ! je me fiche bien de tes sphinx !

  GRUCHET : Moi aussi, mais je ne comprends pas.

  ROUSSELIN : C’est la suite de la correspondance... indirecte.

  GRUCHET : Si vous vouliez vous expliquer plus clairement ?

  ROUSSELIN : Figurez-vous donc qu’il y a eu mardi huit jours, en me promenant dans mon jardin, le matin, de très bonne heure - je suis agité maintenant, je ne dors plus, - voilà que je distingue, contre le mur de l’espalier, sur le treillage...

  GRUCHET : Un homme ?

  ROUSSELIN : Non, une lettre, une grande enveloppe, ça avait l’air d’une pétition, et qui portait pour adresse simplement : “A Elle !” Je l’ai ouverte, comme vous pensez ; et j’ai lu... une déclaration d’amour en vers, mon ami !... quelque chose de brûlant... tout ce que la passion...

  GRUCHET : Et pas de signature, naturellement ? Aucun indice ?

  ROUSSELIN : Permettez ! La première chose à faire était de connaître la personne qui inspirait ce délire, et, comme elle se trouvait décrite dans cette poésie même, car on y parlait de cheveux noirs, mon soupçon d’abord s’est porté sur Arabelle, notre institutrice, d’autant plus...

  GRUCHET : Mais elle est blonde !

  ROUSSELIN : Qu’est-ce que ça fait ? en vers, quelquefois, à cause de la rime, on met un mot pour un autre. Cependant, par délicatesse, vous comprenez, les Anglaises... je n’ai pas osé lui faire de questions.

  GRUCHET : Mais votre femme ?

  ROUSSELIN : Elle a haussé les épaules en me disant : “Ne t’occupe donc pas de tout ça !”

  GRUCHET : Et Julien, là-dedans ?

  ROUSSELIN : Nous y voici ! Je vous prie de noter que la susdite poésie commençait par ces mots : “Quand j’aperçois ta robe entre les orangers !” et que je possède deux orangers, un de chaque côté de ma grille ; - il n’y en a pas d’autres aux environs ; - c’est donc bien à quelqu’un de chez moi que la déclaration en vers est faite. A qui ? A ma fille, évidemment, à à Louise ! et par qui ? par le seul homme du pays qui compose des vers, Julien ! De plus, si on compare l’écriture de la poésie avec l’écriture qui se trouve tous les jours sur la bande du journal, on reconnaît facilement que c’est la même.

  GRUCHET, à part : Maladroit, va !

  ROUSSELIN : Le voilà, votre protégé ! que voulait-il ? séduire Mlle Rousselin ?

  GRUCHET : Oh !

  ROUSSELIN : L’épouser, peut-être ?

  GRUCHET : Ça vaudrait mieux.

  ROUSSELIN : Je crois bien ! Maintenant, ma parole d’honneur, on ne respecte plus personne ! L’insolent ! Est-ce que je lui demande quelque chose, moi ? Est-ce que je me mêle de ses affaires ? Qu’il écrivaille ses articles ! qu’il ameute le peuple contre nous ! qu’il fasse l’apologie des bousingots de son espèce ! Va, va, mon petit journaliste, cours après les héritières !

  GRUCHET : Il y en a d’autres qui ne sont pas journalistes et qui recherchent votre fille pour son argent !

  ROUSSELIN : Hein ?

  GRUCHET : Cela saute aux yeux ! - On vit à la campagne, où l’on cultive les terres de ses ancêtres soi-même, par économie et fort mal. Du reste, elles sont mauvaises et grevées d’hypothèques. Huit enfants, dont cinq filles, une bossue ; impossible de voir les autres pendant les semaines, à cause de leurs toilettes. L’aîné des garçons, qui a voulu spéculer sur le bois, s’abrutit à Mostaganem avec de l’absinthe. Ses besoins d’argent sont fréquents. Le cadet, Dieu merci [sera prêtre] ; le dernier, vous le connaissez, il tapisse. Si bien que l’existence n’est pas drôle dans le castel, où la pluie vous tombe sur la nuque par les trous du plafond. Mais on fait des projets, et de temps à autre, - les beaux jours, ceux-là, - on s’encaque de temps à autre dans la petite voiture de famille disloquée que le papa conduit lui-même, pour venir se refaire à l’excellente table de ce bon M. Rousselin, trop heureux de la fréquentation.

  ROUSSELIN : Ah ! vous allez loin ; cet acharnement...

  GRUCHET : C’est que je ne comprends pas tant de respect pour eux, à moins que, par suite de votre ancienne dépendance...

  ROUSSELIN, avec douleur : Gruchet, pas un mot de cela, mon ami ! pas un mot, ce souvenir...

  GRUCHET : Soyez sans crainte ; ils ne divulgueront rien, et pour cause !

  ROUSSELIN : Alors ?

  GRUCHET : Mais vous ne voyez
donc pas que ces gens nous méprisent parce que nous sommes des plébéiens, des parvenus ! et qu’ils vous jalousent, vous, parce que vous êtes riche ! L’offre de la candidature qu’on vient de vous faire, - due, je n’en doute pas, aux manoeuvres de Bouvigny, et dont il se targuera, est une amorce pour happer la fortune de votre fille. Mais comme vous pouvez très bien ne pas être élu...

  ROUSSELIN : Pas élu ?

  GRUCHET : Certainement ! Et elle n’en sera pas moins la femme d’un idiot, qui rougira de son beau-père.

  ROUSSELIN : Oh ! je leur crois des sentiments...

  GRUCHET : Si je vous apprenais qu’ils en font déjà des gorges chaudes ?

  ROUSSELIN : Qui vous l’a dit ?

  GRUCHET : Félicité, ma bonne. Les domestiques entre eux, vous savez, se racontent les propos de leurs maîtres.

  ROUSSELIN : Quel propos ? lequel ?

  GRUCHET : Leur cuisinière les a entendus qui causaient de ce mariage, mystérieusement ; et, comme la comtesse avait des craintes, le comte a répondu, en parlant de vous : “Bah ! il en sera trop honoré !”

  ROUSSELIN : Ah ! ils m’honorent !

  GRUCHET : Ils croient la chose presque arrangée !

  ROUSSELIN : Ah ! non, Dieu merci !

  GRUCHET : Ils sont même tellement sûrs de leur fait, que tout à l’heure, devant ces dames, Onésime prenait un petit air fat !

  ROUSSELIN : Voyez-vous !

  GRUCHET : Un peu plus, j’ai cru qu’il allait me tutoyer !

  PIERRE, annonçant : M. le comte de Bouvigny !

  GRUCHET : Ah ! - Je me retire ! Adieu, Rousselin ! N’oubliez pas ce que je vous ai dit ! (Il passe devant Bouvigny, le chapeau sur la tête, puis lui montre le point par derrière.) Je te réserve un plat de mon métier, à toi

  (2)

  Scène VIII : Rousselin, le comte de Bouvigny

  BOUVIGNY, d’un air dégagé : L’entretien que j’ai réclamé de vous, cher Monsieur, avait pour but...

  ROUSSELIN, d’un geste, l’invite à s’asseoir : Monsieur le conte...

  BOUVIGNY, s’asseyant : Entre nous, n’est-ce pas, la cérémonie est inutile ? Je viens donc, presque certain d’avance du succès, vous demander la main de mademoiselle votre fille Louise, pour mon fils le vicomte Onésime-Gaspard-Olivier de Bouvigny. (Silence de Rousselin) Hein ! vous dites ?

  ROUSSELIN : Rien jusqu’à présent, Monsieur :

 

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