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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 417

by Gustave Flaubert

BOUVIGNY, vivement : J’oubliais ! Il y a de grandes espérances, pas directes, à la vérité !... et comme dot... une pension ; ... du reste Me Dodart, détenteur des titres (baissant la voix) ne manquera pas... (Même silence) J’attends.

  ROUSSELIN : Monsieur, ... c’est beaucoup d’honneur pour moi, mais...

  BOUVIGNY : Comment ? mais !...

  ROUSSELIN : On a pu, Monsieur le conte, vous exagérer ma fortune ?

  BOUVIGNY : Croyez-vous qu’un pareil calcul ?... et que les Bouvigny !...

  ROUSSELIN : Loin de moi cette idée ! Mais je ne suis pas aussi riche qu’on se l’imagine !

  BOUVIGNY, gracieux : La disproportion en sera moins grande !

  ROUSSELIN : Cependant, malgré des revenus... raisonnables, c’est vrai, nous vivons, sans nous gêner. Ma femme a des goûts... élégants. J’aime à recevoir, à répandre le bien-être autour de moi. J’ai réparé, à mes frais, la route de Bugueux à Faverville. J’ai établi une école, et fondé, à l’hospice, une salle de quatre lits qui portera mon nom.

  BOUVIGNY : On le sait, Monsieur, on le sait !

  ROUSSELIN : Tout cela pour vous convaincre que je ne suis pas - bien que fils de banquier et l’ayant été moi-même - ce qu’on appelle un homme d’argent. Et la position de M. Onésime ne saurait être un obstacle, mais il y en a un autre. Votre fils n’a pas de métier ?

  BOUVIGNY, fièrement : Monsieur, un gentilhomme ne connaît que celui des armes !

  ROUSSELIN : Mais il n’est pas soldat ?

  BOUVIGNY : Il attend, pour servir son pays, que le gouvernement ait changé...

  ROUSSELIN : Et en attendant ?

  BOUVIGNY : Il vivra dans son domaine, comme moi, Monsieur !

  ROUSSELIN : A user des souliers de chasse, fort bien ! Mais moi, Monsieur, j’aimerais mieux donner ma fille à quelqu’un dont la fortune - pardon du mot- serait encore moindre.

  BOUVIGNY : La sienne est assurée !

  ROUSSELIN : A un homme qui n’aurait même rien du tout, pourvu...

  BOUVIGNY : Oh ! rien du tout !...

  ROUSSELIN, se levant : Oui, Monsieur, à un simple travailleur, à un prolétaire.

  BOUVIGNY, se levant : C’est mépriser la naissance !

  ROUSSELIN : Soit ! je sis un enfant de la Révolution, moi !

  BOUVIGNY : Vos manières le prouvent, Monsieur !

  ROUSSELIN : Et je ne me laisse pas éblouir par l’éclat des titres !

  BOUVIGNY : Ni moi par celui de l’or... croyez-le !

  ROUSSELIN : Dieu merci, on ne se courbe plus devant les seigneurs comme autrefois !

  BOUVIGNY : En effet, votre grand-père a été domestique dans ma maison !

  ROUSSELIN : Ah ! vous voulez me déshonorer ? Sortez, Monsieur ! La considération est aujourd’hui un privilège tout personnel ! La mienne se trouve au dessus de vos calomnies ! Ne serait-ce que ces notables qui sont venus tout à l’heure m’offrir la candidature...

  BOUVIGNY : On aurait pu me l’offrir aussi, à moi ! et je l’ai, je l’aurais refusée par égard pour vous. Mais devant une pareille indélicatesse, après la déclaration de vos principes, et du moment que vous êtes un démocrate, un suppôt de l’anarchie...

  ROUSSELIN : Pas du tout !

  BOUVIGNY : Un organe du désordre, moi aussi, je me déclare candidat ! Candidat conservateur, entendez-vous ! et nous verrons bien lequel des deux... je suis même le camarade du préfet qui vient d’être nommé. Je ne m’en cache pas ! et il me soutiendra ! Bonsoir ! (il sort)

  Scène IX : Rousselin, seul

  ROUSSELIN : Mais ce furieux-là est capable de me démolir dans l’opinion et de me faire passer pour un jacobin ! J’ai peut-être eu tort de le blesser. Cependant, vu la fortune de Bouvigny, il m’était bien impossible... N’importe, c’est fâcheux ! Murel et Gruchet déjà n’avaient pas l’air si rassurés ; et il faudrait découvrir un moyen de persuader aux conservateurs... que je suis... le plus conservateur des hommes... Hein ? qu’est-ce donc ?

  Scène X : Rousselin, Murel, avec une foule d’électeurs Heurtelot, Beaumesnil, Voinchet, Hombourg, Ledru, puis Gruchet

  MUREL : Mon cher concitoyen, les électeurs ici présents viennent vous offrir, par ma voix, la candidature du parti libéral de l’arrondissement.

  ROUSSELIN : Mais..., Messieurs...

  MUREL : Vous aurez entièrement pour vous les communes de Faverville, Harolle, Lahoussaye, Bonneval, Hautot, Saint-Mathieu.

  ROUSSELIN : Ah ! Ah !

  MUREL : Randou, Manerville, La Coudrette ! Enfin nous comptons sur une majorité qui dépassera quinze cents voix, et votre élection est certaine.

  ROUSSELIN : Ah ! citoyens ! (Bas à Murel) Je ne sais que dire.

  MUREL : Permettez-moi de vous présenter quelques-uns de vos amis politiques : d’abord le plus ardent de tous, un véritable patriote, M. Heurtelot... fabricant...

  HEURTELOT : Oh ! dites cordonnier, ça ne me fait rien !

  MUREL : M. Hombourg, maître de l’Hôtel du Lion d’or et entrepreneur de roulage ; M. Voinchet, pépiniériste ; M. Beaumesnil, sans profession ; le brave capitaine Ledru, retraité.

  ROUSSELIN, avec enthousiasme : Ah ! les militaires !

  MUREL : Et tous nous sommes convaincus que vous remplirez hautement cette noble mission (Bas à Rousselin) Parlez donc !

  ROUSSELIN : Messieurs... non, citoyens ! Mes principes sont les vôtres ! et... certainement que... je suis l’enfant du pays, comme vous ! On ne m’a jamais vu dire du mal de la liberté, au contraire ! Vous trouverez en moi... un interprète... dévoué à vos intérêts, le défenseur... une digue contre les envahissements du Pouvoir.

  MUREL, lui prenant la main : Très bien mon ami, très bien ! Et n’ayez aucun doute sur le résultat de votre candidature ! D’abord, elle sera soutenue par l’Impartial !

  ROUSSELIN : L’Impartial pour moi ?

  GRUCHET, sortant de la foule : Mais tout à fait pour vous ! J’arrive de la rédaction. Julien est d’une ardeur ! (Bas à Murel, étonné de le voir) Il m’a donné des raisons. Je vous expliquerai (Aux électeurs) Vous permettez, n’est-ce pas ? (A Rousselin) Maintenant, c’est bien le moins que je vous l’amène ?

  ROUSSELIN : Qui ? pardon ! car j’ai la tête...

  GRUCHET : Que je vous amène Julien ; il a envie de venir.

  ROUSSELIN : Est-ce... vraiment nécessaire ?

  GRUCHET : Oh ! indispensable !

  ROUSSELIN : Eh bien alors... oui, comme vous voudrez (Gruchet sort)

  HEURTELOT : Ce n’est pas tout ça, citoyen ; mais la première chose, quand vous serez là-bas, c’est d’abolir l’impôt des boissons !

  ROUSSELIN : Les boissons ? sans doute !

  HEURTELOT : Les autres font toujours des promesses ; et puis, va te promener ! Moi, je vous crois un brave ; et tapez là-dedans ! (Il lui tend la main)

  ROUSSELIN, avec hésitation : Volontiers, citoyen, volontiers !

  HEURTELOT : A la bonne heure ! et il faut que ça finisse ! Voilà trop longtemps que nous souffrons !

  HOMBOURG : Parbleu, on ne fait rien pour le roulage ! l’avoine est hors de prix !

  ROUSSELIN : C’est vrai ! l’agriculture !

  HOMBOURG : Je ne parle pas de l’agriculture, je dis le roulage !

  MUREL : Il n’y a que cela ! mais, grâce à lui, le Gouvernement...

  LEDRU : Ah ! le Gouvernement ! il décore un tas de freluquets !

  VOINCHET : Et leur tracé du chemin de fer, qui passera par Saint-Mathieu, est d’une bêtise !...

  BEAUMESNIL : On ne peut plus élever ses enfants !

  ROUSSELIN : Je vous promets...

  HOMBOURG : D’abord, les droits de la poste !

  ROUSSELIN : Oh ! oui !

  LEDRU : Quand ce ne serait que dans l’intérêt de la discipline !...

  ROUSSELIN : Parbleu !

  VOINCHET : Au lieu que si on avait pris par Bonneval...

  ROUSSELIN : Assurément !

  BEAUMESNIL : Moi, j’en ai un qui a des dispositions...

  ROUSSELIN :Je vous crois !

  HOMBOURG, LEDR
U, VOINCHET, BEAUMESNIL, tous à la fois :

  (HOMBOURG) : Ainsi, pour louer un cabriolet...

  (LEDRU) : Je ne demande rien ; cependant...

  (VOINCHET) : Ma propriété qui se trouve...

  (BEAUMESNIL) : Car enfin, puisqu’il y a des collèges...

  MUREL, élevant la voix plus haut : Citoyens, pardon, un mot ! Citoyens, dans cette circonstance où notre cher compatriote, avec une simplicité de langage que j’ose dire antique, a si bien confirmé notre espoir, je suis heureux d’avoir été votre intermédiaire.. ; et afin de célébrer cet événement, d’où sortiront pour le canton, - et peut-être pour la France, - de nouvelles destinées, permettez-moi de vous offrir, lundi prochain, un punch, à ma fabrique.

  LES ELECTEURS : Lundi, oui, lundi !

  MUREL : Nous n’avons plus qu’à nous retirez, je crois ?

  TOUS, en s’en allant : Adieu, monsieur Rousselin ! A bientôt ! ça ira ! vous verrez !

  ROUSSELIN, donnant des poignées de main : Mes amis ! Ah ! je suis touché, je vous assure ! Adieu ! Tout à vous ! (Les électeurs s’éloignent)

  MUREL, à Rousselin : Soignez Heurtelot, c’est un meneur ! (Il va retrouver au fond les électeurs)

  ROUSSELIN, appelant : Heurtelot !

  HEURTELOT : De quoi ?

  ROUSSELIN : Vous ne pourriez pas me faire quinze paires de bottes ?

  HEURTELOT : Quinze paires ?

  ROUSSELIN : Oui, et autant de souliers. Ce n’est pas que j’aille en voyage, mais je tiens à avoir une forte provision de chaussures.

  HEURTELOT : On va s’y mettre tout de suite, Monsieur ! A vos ordres ! (Il va rejoindre les électeurs)

  HOMBOURG : Monsieur Rousselin, il m’est arrivé dernièrement une paire d’alezans, qui seraient des bijoux à votre calèche ! Voulez-vous les voir ?

  ROUSSELIN : Oui, un de ces jours !

  VOINCHET : Je vous donnerai une petite note, vous savez, sur le tracé du nouveau chemin de fier, de façon à ce que, prenant mon terrain par le milieu...

  ROUSSELIN : Très bien !

  BEAUMESNIL : Je vous amènerai mon fils ; et vous conviendrez qu’il serait déplorable de laisser un pareil enfant sans éducation.

  ROUSSELIN : A la rentrée des classes, soyez sûr !...

  HEURTELOT : Voilà un homme celui-là ! Vive Rousselin !

  TOUS : Vive Rousselin ! (Tous les électeurs sortent)

  Scène XI : Rousselin, Murel

  ROUSSELIN, se précipite sur Murel, et l’embrassant : Ah ! mon ami ! mon ami ! mon ami !

  MUREL : Trouvez-vous la chose bien conduite ?

  ROUSSELIN : C’est-à-dire que je ne peux pas vous exprimer...

  MUREL : Vous en aviez envie, avouez-le ?

  ROUSSELIN : J’en serais mort ! Au bout d’un an que je m’étais retiré ici, à la campagne, j’ai senti peu à peu comme de la langueur.. Je devenais lourd. Je m’endormais le soir, après le dîner ; et le médecin a dit à ma femme : “Il faut que votre mari s’occupe !” Alors j’ai cherché en moi-même ce que je pourrais bien faire.

  MUREL : Et vous avez pensé à la députation ?

  ROUSSELIN : Naturellement ! Du reste, j’arrivais à l’âge où l’on se doit ça. J’ai donc acheté une bibliothèque. J’ai pris un abonnement au Moniteur

  MUREL : Vous vous êtes mis à travailler, enfin !

  ROUSSELIN : Je me suis fait, premièrement, admettre dans une société d’archéologie, et j’ai commencé à recevoir, par la poste, des brochures. Puis, j’ai été du conseil municipal, du conseil d’arrondissement, enfin du conseil général ; et dans toutes les questions importantes, de peur de me compromettre... je souriais. Oh ! le sourire, quelquefois, est d’une ressource !

  MUREL : Mais le public n’était pas fixé sur vos opinions, et il a fallu - vous ne savez peut-être pas...

  ROUSSELIN : Oui ! je sais... c’est vous, vous seul !

  MUREL : Non, vous ne savez pas !

  ROUSSELIN : Si fait ! ah ! quel diplomate !

  MUREL, à part : Il y mord. (Haut) Les ouvriers de ma fabrique étaient hostiles au début. Des hommes redoutables, mon ami ! A présent, tous dans votre main !

  ROUSSELIN : Vous valez votre pesant d’or !

  MUREL, à part : Je n’en demande pas tant !

  ROUSSELIN, le contemplant : Tenez ! vous êtes pour moi... plus qu’un frère ! ... comme mon enfant !

  MUREL, avec lenteur : Mais... je pourrais... l’être.

  ROUSSELIN : Sans doute ! en admettant que je sois plus vieux.

  MUREL, avec un rire forcé : Ou moi... en devenant votre gendre. Voudriez-vous ?

  ROUSSELIN, avec le même rire : Farceur !... vous ne voudriez pas vous-même !

  MUREL : Parbleu ! oui !

  ROUSSELIN : Allons donc ! avec vos habitudes parisiennes !

  MUREL : Je vis en province !

  ROUSSELIN : Eh ! on ne se marie pas à votre âge !

  MUREL : Trente-quatre ans, c’est l’époque !

  ROUSSELIN : Quand on a, devant soi, un avenir comme le vôtre !

  MUREL : Eh ! mon avenir s’en trouverait singulièrement...

  ROUSSELIN : Raisonnons ; vous êtes tout simplement le directeur de la filature de Bugnaux, représentant de la compagnie flamande.. Appointements : vingt mille.

  MUREL : Plus une part considérable dans les bénéfices !

  ROUSSELIN : Mais l’année où on n’en fait pas ? Et puis, on peut très bien vous mettre à la porte.

  MUREL : J’irai ailleurs, où je trouverai...

  ROUSSELIN : Mais vous avez des dettes ! des billets en souffrance ! on vous harcèle !

  MUREL : Et ma fortune, à moi ! sans compter que plus tard...

  ROUSSELIN : Vous allez me parler de l’héritage de votre tante ? Vous n’y comptez pas vous-même. Elle habite à deux cents lieues d’ici, et vous êtes fâchés !

  MUREL, à part : Il sait tout, cet animal-là !

  ROUSSELIN : Bref, mon cher, et quoique je ne doute nullement de votre intelligence, ni de votre activité, j’aimerais mieux donner ma fille... à un homme...

  MUREL : Qui n’aurait rien du tout, et qui serait bête !

  ROUSSELIN : Non ! mais dont la fortune, quoique minime, serait certaine !

  MUREL : Ah ! par exemple !

  ROUSSELIN : Oui, Monsieur, à un modeste rentier, à un petit propriétaire de campagne.

  MUREL : Voilà le cas que vous faites du travail !

  ROUSSELIN : Ecoutez donc ! l’industrie, ça n’est pas sûr ; et un bon père de famille doit y regarder à deux fois.

  MUREL : Enfin, vous me refusez votre fille ?

  ROUSSELIN : Forcément ! et en bonne conscience, ce n’est pas ma faute ! sans rancune, n’est-ce pas ? (Appelant) Pierre ! mon buvard, et un encrier ! Asseyez-vous là ! Vous allez préparer ma profession de foi aux électeurs. (Pierre apporte ce que Rousselin a demandé, et le dépose sur la petite table à droite)

  MUREL : Moi ! que je...

  ROUSSELIN : Nous la reverrons ensemble ! Mais commencez d’abord. Avec votre verve, je ne suis pas inquiet ! Ah ! vous m’avez donné tout à l’heure un bon coup d’épaule, pour mon discours ! Je ne vous tiens pas quitte ! Est-il gentil ! - Je vous laisse ! Moi, je vais à mes petites affaires ! Quelque chose d’enlevé, n’est-ce pas ? - du feu ? (Il sort)

  Scène XII : Murel, seul

  MUREL : Imbécile ! Me voilà bien avancé, maintenant ! (A la cantonade) Mais, vieille bête, tu ne trouveras jamais quelqu’un pour la chérir comme moi ! De quelle façon me venger ? ou plutôt si je lui faisais peur ? C’est un homme à sacrifier tout pour être élu ! Donc, il faudrait lui découvrir un concurrent ! Mais lequel ? (Entre Gruchet) Ah !

  Scène XIII : Murel, Gruchet

  GRUCHET : Qu’est-ce qui vous prend ?

  MUREL : Un remords ! J’ai commis une sottise, et vous aussi.

  GRUCHET : En quoi ?

  MUREL : Vous étiez tout à l’heure avec ceux qui portent Rousselin à la candidature ! Vous l’avez vu !

  GRUCHET : Et même que j’ai été chercher
Julien ; il va venir.

  MUREL : Il ne s’agit pas de lui, mais de Rousselin ! Ce Rousselin, c’est un âne ! Il ne sait pas dire quatre mots ! et nous aurons le plus pitoyable député !

  GRUCHET : L’initiative n’est pas de moi !

  MUREL : Il s’est toujours montré on ne peut plus médiocre.

  GRUCHET : Certainement !

  MUREL : Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une considération !... tandis que vous...

  GRUCHET, vexé : Moi, eh bien ?

  MUREL : Je ne veux pas vous offenser, mais vous ne jouissez pas, dans le pays, de l’espèce d’éclat qui entoure la maison Rousselin.

  GRUCHET : Oh ! si je voulais ! (Silence)

  MUREL, le regardant en face : Gruchet, seriez-vous capable de vous livrer à une assez forte dépense ?

  GRUCHET : Ce n’est pas trop dans mon caractère ; cependant...

  MUREL : Si on vous disait : “Moyennant quelques mille francs, tu prendras sa place, tu seras député !”

  GRUCHET : Moi, dé...

  MUREL : Mais songez donc que là-bas, à Paris, on est à la source des affaires ! on connaît un tas de monde ! on va soi-même chez les ministres ! Les adjudications de fournitures, les primes sur les sociétés nouvelles, les grands travaux, la Bourse, on a tout ! Quelle influence ! mon ami, que d’occasions !

  GRUCHET : Comment voulez-vous que ça m’arrive ? Rousselin est presque élu !

  MUREL : Pas encore ! Il a manqué de franchise dans la déclaration de ses principes ; et là-dessus la chicane est facile ! Quelques électeurs n’étaient pas contents. Heurtelot grommelait.

  GRUCHET : Le cordonnier ? J’ai contre lui une saisie pour après-demain !

  MUREL : Epargnez-le ; il est fort ! Quant aux autres, on verra. Je m’arrangerai pour que la chose commence par les ouvriers de la fabrique..., puis, s’il faut se déclarer pour vous, je me déclarerai, M. Rousselin n’ayant pas le patriotisme nécessaire ; je serai forcé de le reconnaître ; d’ailleurs, je le reconnais, c’est une ganache ?

  GRUCHET, rêvant : Tiens ! tiens !

  MUREL : Qui vous arrête ? Vous êtes pour la Gauche ? Eh bien, on vous pousse à la Chambre de ce côté-là ; et quand bien même vous n’iriez pas, votre candidature seule, en ôtant des voix à Rousselin, l’empêche d’y parvenir.

  GRUCHET : Comme ça le ferait bisquer !

 

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