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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 483

by Gustave Flaubert


  (‘) C’était la propriété du seigneur de Guengot, qui avait tiié les bottes et qui les emportait ainsi que le cheval.

  12 que celle de la vieille coutume du verre de vin que l’on présentait la veille de la Sainte-Cécile à la statue du roi Grallon et qui, bu d’un trait par un des sonneurs de l’église, était rejeté dans la foule où celui qui le rapportait sans fracture au chapitre était récompensé d’un louis d’or. Toutes ces choses en effet étant aussi ennuyeuses à redire qu’elles ont été amusantes à apprendre, les livres vous les donneront si vous en êtes curieux, et non pas nous qui ne prisons pas assez les livres pour les copier, quoiqu’il nous arrive d’en lire et que nous ayons même la prétention d’en faire.

  Etant à Quimper, nous sortîmes un jour par un côté de la ville et rentrâmes par l’autre après avoir marché dans la campagne pendant huit heures environ.

  Sous le porche de l’hôtel, notre guide nous at- tendait. II se mit aussitôt à courir devant nous, et nous le suivîmes. C’était un petit bonhomme à cheveux blancs, coiffé d’une casquette de toile, chaussé de souliers percés et vêtu d’une vieille redingote brune trop large qui lui flottait autour de la taille. II bredouillait en parlant, se cognait les genoux en marchant et roulait sur lui-même ; néanmoins il avançait vite avec une opiniâtreté toute nerveuse, presque fébrile. De temps à autre seulement il arrachait une feuille d’arbre et se la collait contre la bouche pour se rafraîchir. Son métier est de courir les environs, pour aller por- ter les lettres ou faire des commissions. II va ainsi à Douarnenez, à Quimperlé, à Brest, jusqu’à Rennes qui est à quarante lieues de là (voyage qu’il a exécuté une fois en quatre journées, y compris l’aller et le retour). « Toute mon ambi- tion, disait-il, est de retourner encore une fois dans ma vie à Rennes. » Et cela, sans autre but que d’y retourner, pour y retourner, afin de faire une longue course et pour pouvoir s’en vanter ensuite. II sait toutes les routes, il connaît les communes avec leurs clochers ; il prend des chemins de tra- verse à travers champs, ouvre les barrières des cours et, en passant devant les maisons, souhaite le bonjour aux maîtres. A force d’entendre chanter les oiseaux, il s’est appris à imiter leurs cris, et, tout en marchant sous les arbres, il siffle comme eux pour charmer sa solitude.

  Nous nous arrêtâmes d’abord à un quart de lieue de la ville, à Locmaria, ancien prieuré, jadis donné à l’abbaye de Fontevrault par Co- nan III. Le prieuré n’a pas, comme l’abbaye du pauvre Robert d’ArbriselIe, été utilisé d’une ignoble manière. II est abandonné, mais sans souillures. Son portail gothique ne retentit pas1 de la voix des gardes-chiourme, et s’il en reste peu de chose, l’esprit, du moins, n’éprouve ni révolte ni dégoût. Il n’y a de curieux comme détail, dans cette petite chapelle d’un vieux roman sévère, qu’un grand bénitier sans pilier, posé sur le sol et dont le granit taillé à pans est devenu presque noir. Large, profond, il représente bien le vrai bénitier catholique, fait pour y plonger tout entier le corps d’un enfant, et non pas ces cuvettes étroites de nos églises dans lesquelles on trempe le bout du doigt. Avec son eau claire rendue plus limpide encore par la couche verdâtre du fond, cette vé- gétation qui a sourdi dans le calme religieux des siècles, ses angles usés, sa lourde masse à couleur de bronze, il ressemble à un de ces rochers creu- sés d’eux-mêmes dans lesquels on trouve de l’eau de mer.

  Quand nous eûmes bien tourné autour, nous redescendîmes vers la rivière que nous traver- sâmes en bateau et nous nous enfonçâmes dans la campagne.

  Elle est déserte et singulièrement vide. Des arbres, des genêts, des ajoncs, des tamarins au bord des fossés, des landes qui s’étendent, et d’hommes, nulle part. Le ciel était pâle ; une pluie fine, mouillant l’air, mettait sur le pays comme un voile uni qui l’enveloppait d’une teinte grise. Nous allions dans des chemins creux qui s’en- gouffraient sous des berceaux de verdure, dont les branches réunies, s’abaissant sur nos têtes, nous permettaient à peine d’y passer debout. La lumière, arrêtée par le feuillage, était verdâtre et faible comme celle d’un soir d’hiver. Tout au fond, cependant, on voyait jaillir un jour vif qui jouait sur le bord des feuilles et en éclairait les dé- coupures. Puis on se trouvait au haut de quelque pente aride descendant toute plate et unie, sans un brin d’herbe qui tranchât sur l’uniformité de sa couleur jaune. Quelquefois, au contraire, s’éle- vait une longue avenue de hêtres dont les gros troncs luisants avaient de la mousse à leurs pieds. Des traces d’ornières passaient là, comme pour mener à quelque château qu’on s’attendait avoir ; mais l’avenue s’arrêtait tout à coup et la rase cam- pagne s’étalait au bout. Dans l’écartement de deux valions, elle développait sa verte étendue sillon- née en balafres noires par les lignes capricieuses des haies, tachée çà et là par la masse d’un bois, enluminée par des bouquets d’ajoncs, ou blan- chie par quelque champ cultivé au bord des prai- ries qui remontaient lentement vers les collines et se perdaient dans l’horizon. Au-dessus d’elles, bien loin à travers la brume, dans un trou du ciel, apparaissait un méandre bleu, c’était la mer.

  Les oiseaux se taisent ou sont absents ; les feuilles sont épaisses, l’herbe étouffe le bruit des pas, et la contrée muette vous regarde comme un triste visage. Elle semble faite exprès pour rece- voir les existences en ruines, les douleurs rési- gnées ; elles pourront, solitairement, y nourrir leurs amertumes à ce lent murmure des arbres et des genêts et sous ce ciel qui pleure. Dans les nuits d’hiver, quand le renard se glisse sur les feuilles sèches, quand les tuiles tombent du toit des co- lombiers, que la lande fouette ses joncs, que les hêtres se courbent et qu’au clair de lune le loup galope sur la neige, assis tout seul près du foyer qui s’éteint, en écoutant le vent hurler dans les longs corridors sonores, c’est là qu’il doit être doux de tirer du fond de son cœur ses désespoirs les plus chéris avec ses amours les plus oubliées. Nous avons vu une masure en ruines où l’on entrait par un portail gothique ; plus loin se dres- sait un vieux pan de mur troué d’une porte en ogive ; une ronce dépouillée s’y balançait à la brise. Dans la cour, le terrain inégal est couvert de bruyères, de violettes et de cailloux. On distingue vaguement des anciens restes de douves ; on entre quelques pas dans un souterrain comblé ; on se pro- mène là dedans, on regarde et on s’en va. Ce lieu s’appelle le temple des faux Dieux, et était, à ce que l’on suppose, une commanderie de Templiers.

  Notre guide est reparti devant nous, nous avons continué à le suivre.

  Un clocher est sorti d’entre les arbres ; nous avons traversé un champ en friche, escaladé le haut bord d’un fossé ; deux ou trois maisons ont paru : c’était le village de Plomelin. Un sentier fait la rue ; quelques maisons, séparées entre elles par des cours plantées, composent tout le village. Quel calme ! quel abandon plutôt ! les seuils sont vides, les cours sont désertes.

  Où sont les maîtres ? On les dirait tous partis à l’affût, se tapir derrière les genêts pour y guetter le Bleu qui doit passer dans la ravine.

  L’église est pauvre et d’une nudité sans pa- reille. Pas de beaux saints peinturlurés, pas de toiles aux murs, ni, au plafond, de lampe suspen- due oscillant au bout de sa longue corde droite. Dans un coin du chœur, parterre, brûle une mèche dans un verre rempli d’huile. Des piliers ronds supportent la voûte de bois dont la couleur bleue est déteinte. Par les fenêtres à vitrail blanc arrive le grand jour des champs verdi par le feuillage des arbres d’alentour qui recouvrent le toit de l’église. La porte ( une petite porte en bois que l’on ferme avec un loquet) était ouverte ; une volée d’oiseaux est entrée, voletant, caquetant, criant, se cognant aux murs ; ils ont tourbillonné sous la voûte, sont allés se jouer autour de l’autel. Deux ou trois se sont abattus sur le bord du bénitier, y ont trempé leur bec, et puis, tous, comme ils étaient venus, sont repartis ensemble. Il n’est pas rare en Bretagne de les voir ainsi dans les églises ; plusieurs y habitent et accrochent leur nid aux pierres de la nef ; on les laisse en paix. Lorsqu’il pleut, ils accourent, mais dès que le soleil reparaît dan
s les vitraux et que les gouttières s’égouttent, ils regagnent les champs. De sorte que pendant l’orage deux créatures frêles entrent souvent à la fois dans la demeure bénie : l’homme pour y faire sa prière et y abriter ses terreurs, l’oiseau pour y attendre que la pluie soit passée et réchauffer les plumes naissantes de ses petits engourdis.

  Un charme singulier transpire de ces pauvres églises. Ce n’est pas leur misère qui émeut, puisqu’alors même qu’il n’y a personne, on dirait qu’elles sont habitées. N’est-ce pas plutôt leur pudeur qui ravit ? Car avec leur clocher bas, leur toit qui se cache sous les arbres, elles semblent se faire petites et s’humilier sous le grand ciel de Dieu. Ce n’est point, en effet, une pensée d’orgueil qui les a bâties, ni la fantaisie pieuse de quelque grand de la terre en agonie. On sent, au contraire, que c’est l’impression simple d’un be- soin, le cri naïf d’un appétit, et comme le lit de feuilles sèches du pâtre, la hutte que l’âme s’est faite pour s’y étendre à l’aise à ses heures de fa- tigue. Plus que celles des villes, ces églises de vil- lage ont l’air de tenir au caractère du pays qui les porte et de participer davantage à la vie des familles qui, de père en fils, viennent à la même place y poser les genoux sur la même dalle. Cha- que dimanche, chaque jour, en entrant et en sor- tant, ne revoient-ils pas en outre les tombes de leurs parents, qu’ils ont ainsi près d’eux dans la prière, comme à un foyer plus élargi d’où ils ne sont pas absents tout à fait ? Ces églises ont donc un sens harmonique où, comprise entre le bap- tistère et le cimetière, s’accomplit la vie de ces hommes. 11 n’en est pas ainsi chez nous qui, relé- guant l’éternité hors barrière, exilons nos morts dans les faubourgs, pour les loger dans le quartier des équarrisseurs et des fabriques de soude, à côté des magasins de poudrette.

  Vers trois heures de l’après-midi, nous arri- vâmes près les portes de Quimper, à la chapelle de Kerfeunteun. II y a, au fond, une belle ver- rière du xvi° siècle, représentant l’arbre généalo- gique de la Trinité. Jacob en forme la souche et la croix du Christ le sommet, qui est surmonté lui- même du Père éternel qui a la tiare au front. Le clocher carré figure sur chaque face un quadrila- tère percé à jour, comme une lanterne, par une longue baie droite. II ne pose pas immédiatement sur la toiture, mais, à l’aide d’une base amincie dont les quatre côtés se rétrécissent et se touchent presque, formant un angle obtus vers la crête du toit. En Bretagne, presque toutes les églises de village ont de ces clochers-là.

  Avant de rentrer dans la ville, nous fîmes un détour pour aller visiter la chapelle de la Mère- Dieu. Comme d’ordinaire on la ferme, notre guide prit en route le gardien qui en a la clef ; il vint avec nous, emmenant par la main sa petite nièce qui tout le long du chemin s’arrêtait pour ramasser des bouquets. II marchait devant nous dans le sentier. Sa mince taille d’adolescent à cam- brure flexible, un peu molle, était serrée dans une veste de drap bleu ciel, et sur son dos s’agi- taient les trois rubans de velours de son petit cha- peau noir qui, posé soigneusement sur le derrière de la tête, retenait ses cheveux tordus en chi- gnon.

  Au fond d’un vallon, d’un ravin plutôt, l’église de la Mère-Dieu se voile sous le feuillage des hêtres. A cette place, dans le silence de cette grande verdure, à cause sans doute de son petit portail gothique que l’on croirait du xiue siècle et qui est du xvi% elle a je ne sais quel air qui rappelle ces chapelles discrètes des vieux romans et des vieilles romances, où l’on armait chevalier le page qui partait pour la Terre-Sainte, un matin, au chant de l’alouette, quand les étoiles pâlissaient, et qu’à travers la grille passait la main blanche de la châ- telaine que le baiser de départ trempait aussitôt de mille pleurs d’amour.

  Nous sommes entrés. Le jeune homme s’est agenouillé en ôtant son chapeau, et la grosse tor- sade de sa chevelure blonde s’est échappée et s’est dépliée dans une secousse en tombant le long de son dos. Un instant accrochée au drap rude de sa veste, elle a gardé la trace des plis qui la rou- laient tout à l’heure, peu à peu est descendue, s’est écartée, étalée, répandue comme une vraie chevelure de femme. Séparée sur le milieu par une raie, elle coulait à flots égaux sur ses deux épaules et couvrait son cou nu. Toute cette nappe d’un ton doré avait des ondoiements de lumière qui changeaient et fuyaient à chaque mouvement de tête qu’il faisait en priant. A ses côtés, la petite fille, à genoux comme lui, avait laissé tomber son bouquet par terre. Là seulement, et pour la pre- mière fois, j’ai compris fa beauté de la chevelure de l’homme et le charme qu’elle peut avoir pour des bras nus qui s’y plongent. Etrange progrès que celui qui consiste à s’écourter partout les superfé- tations grandioses de la nature, si bien que lors- que nous la découvrons dans toute sa vierge plé- nitude, nous nous en étonnons comme d’une mer- veille révélée.

  î*>0 coiffeurs, ô fers à papillottes, ô philocomes à la vanille ou au citron, perruquiers de tous pays, brosses de toutes façons, onguents de toutes

  ‘*’ Inédit, pages 186 à 194.. puanteurs, ornez les chevelures de vos tire-bou- chons et de vos tortillons, rasez-les à la malcon- tent, roulez-les à la Perrinet-Leclerc, montez-les en poire, étalez-les en saule pleureur, versez dessus votre colle de poisson, votre sirop de coing, vos bandolines, fixateurs et vos encaustiques luisants ; taillez, coupez, frisez raide et pommadez gras, ja- mais vous ne m’en montrerez une d’une distinction si relevée, d’une grâce si voluptueuse que celle-là, que l’on ne peignait sans doute qu’avec un gros peigne de corne blanche et que la pluie du ciel et la rosée mouillaient seules de leur eau pure.

  Le lendemain, à midi, les rues de Quimper se tendirent de draps de calicot, les cloches son- nèrent, on sema sur le pavé des roses et des ju- liennes, et dans les carrefours se dressèrent des espèces d’estrades décorées de colonnes de verdure où s’enroulaient des guirlandes de fleurs en papier peint. C’était le dimanche de je ne sais quelle fête, et la procession allait passer. Sur le devant des portes on voyait les servantes dans leur toilette de campagne, avec des broderies de couleur sur les manches de leur casaquin et la tête prise entre leurs grands bonnets à barbes relevées et leur col- lerette raide qui fait l’effet par derrière d’une fraise à gros tuyaux ; leur jupe brune est plissée à petits plis serrés, droits comme ceux des bragow- brass, et leurs souliers découverts portent sur le cou-de-pied de larges boucles d’argent. Aux fe- nêtres, la haute société, comme aux premières loges, attendait le spectacle du cortège. Les cloches ont redoublé leur volée, on a en- tendu des chants, on a battu du tambour, on a tiré des coups de fusil et deux files de gamins ont débouché des deux côtés de la rue. Au milieu cir- culait un prêtre en surplis qui commandait la ma- nœuvre à l’aide d’un livre en bois qu’il fermait par un coup sec qui résonnait comme celui d’un battoir. Les enfants avaient des pantalons bouton- nés par-dessus leur veste, un cierge éteint à la main droite et braillaient comme des ânes. Après eux venaient les petites filles toutes en robes blanches, avec des ceintures bleues, et au milieu d’elles un ecclésiastique quelconque pareillement occupé à aller de rang en rang pour les faire s’avancer, s’arrêter, repartir, chanter et se taire. Enfin venaient les chantres et les chanoines ou- vrant tous la bouche, baissant les jeux et mar- chant au pas, en se prélassant dignement dans leurs belles chasubles d’église. Je me souviens d’une surtout qui était de velours violet brodé d’or ; elle brillait là, seule, unique, splendide, effaçant toutes les autres ; l’homme qu’elle recou- vrait jouissait à la porter, il s’y délectait, il ne pouvait s’empêcher de sourire tout en chantant, et de se dandiner des épaules pour faire admirer le pan de derrière où était brodé un saint ciboire surmonté d’un soleil. Si le chapitre, en effet, n’en possède pas une seconde, s’il y a soixante gens en droit de la revêtir et qu’on ne fasse que sept ou huit processions par année, voilà peut-être dix ans qu’il l’attend, qu’il l’espère, qu’il languit, qu’il soupire après, car il faut compter les passe-droits, les bassesses triomphantes des rivaux, les préfé- rences injustes. II a donc vieilli, il a m
aigri dans l’anxiété de l’avoir. Aujourd’hui enfin il l’a ; il la porte sur son dos, dans la rue, on la voit, on le voit dessous, elle dessus. Comme elle lui va bien ! II la flaire, il la hume, il se gonfle dans sa doublure pour l’emplir partout, il y promène ses yeux, il en contemple les broderies, il se repaft des galons ; elle est lourde, il sue, elle l’écrase, tant mieux ! il n’en éprouve que plus de joie, il ne la sent que davantage sur ses épaules ; et il les remue exprès pour se convaincre qu’elle est là, qu’elle tient d’aplomb, qu’il ne l’a pas perdue. Ah ! que ne peut-elle se coller sur lui pour qu’on ne puisse la lui reprendre, car tantôt il va falloir la rendre et quand la remettra-t-il ? jamais peut-être, mon Dieu ; deux jours pareils ne revien- nent pas dans la vie. Comme il l’aime ! comme il l’adore, cette chasuble dont la beauté lui remplit l’âme, et avec elle aussi cette bonne religion catho- lique sans laquelle la chasuble n’existerait pas et en l’honneur de laquelle elle a été faite ! Aussi comme il chante ! avec quel cœur ! avec quelle foi ! avec quel orgueil ! II convient qu’un homme ainsi revêtu ait une voix démesurée, or la sienne domi- nait tout, elle tonnait avec une plénitude sacer- dotale, c’était un beuglement continu couvrant les cris des enfants, le piétinement de la foule et le bourdonnement du serpent dont le souffleur hors d’haleine était pourtant bleu de fatigue. Sous un dais de velours cramoisi s’avança en- core une autre chasuble. Dessous, un homme à front déprimé, blond comme un porte-cigares en cuir de Russie* ayant des cils blancs, des sourcils rouges et les cheveux roulés en champignons, un de ces êtres à profil encore plus bas que niais et qui semblent scrofuleux encore plus en dedans qu’en dessus, portait pieusement d’un air confit et boursouflé le saint Sacrement en or qui trem- blait dans ses mains contractées que revêtaient des gants de coton blanc. Autour de lui les en- fants de chœur encensaient, les chantres vocifé- raient ; il marchait sur les fleurs que l’on jetait devant ses pas, et lorsqu’aux reposoirs il élevait sa chose reluisante, tout le monde se mettait à genoux, y compris les soldats, les gardes natio- naux et les gendarmes qui escortaient la proces- sion. Quatre rubans de satin tombant du dais étaient tenus par deux bambins habillés en nankin jaune, brodé sur toutes les coutures, et par deux toutes petites filles en robe bleue semée d’étoiles d’argent, les bras nus, garnis de bracelets, avec une couronne sur la tête et deux ailes roses dans le dos.

 

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