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Pierre Reverdy

Page 4

by Pierre Reverdy


  And we laugh

  But death passes by

  In its scarf of shade

  And in the deep furrows

  A beast, afraid

  Struggles to get free

  Flee across the garden to where the gate yawns wide

  But—someone has just entered

  Not daring to utter a sound

  The moon is swollen with fluid

  At night the clouds set sail

  I listen for the hour to chime

  And I can hear

  The ending of another tale

  [MP]

  Près de la route et du petit pont

  Mec

  La face des têtes

  Idoles

  Dans un coin où passe une voiture

  Tout dort

  Une minute à peine

  Et je suis là

  Les yeux penchés sur la caricature

  Un poing sur la réalité bien pleine

  Hélas que tout est loin

  Les numéros s’en vont

  Sur la planche où saignait un nom de quelques lettres

  Mercredi

  Vent crevé

  Le trou perce la date

  Et l’on passe à travers sans s’en apercevoir

  Les taches ont vieilli sur le pont peint en vert

  Et les arbres qui passent

  Jamais sur le chemin de trace ou de revers

  Un homme qui se hâte

  Near the Road and the Small Bridge

  Mac

  The face of heads

  Idols

  In a corner the sound of a car

  Everything’s asleep

  Barely a minute

  And here I am

  Eyes poring over a caricature

  A fist on full-blown reality

  Damn, it’s all so far

  The numbers drift away

  On the board where the few letters of a name bleed

  Wednesday

  Punctured wind

  The hole pierces the date

  And one passes through without batting an eye

  The stains have aged on the green-painted bridge

  And the trees passing by

  On the way never a trace or reverse

  A man who can’t wait

  [MP]

  L’Amour dans la boutique

  Tout ce qui s’est passé glisse dans la pénombre

  C’est ce carré au sol qui marque la limite et le nombre

  C’est un peu de soleil

  Chaud derrière la tête

  C’est un verre brisé

  La poussière ou les bulles de l’air montent sur la cloison

  Sortent sur le palier

  L’amour se vend dans la boutique

  Mais cette forme d’ombre ou blanche ou encore qui ne bouge pas sur la tenture

  À l’angle plus étroit

  Qui est-ce

  Love in the Shop

  All that’s happened slides into half dark

  It’s this ground-floor square which marks the limit and the count

  It’s a little sunlight

  Hot behind the head

  It’s a broken glass

  Dust motes or air bubbles rise over the screen

  Come out on the landing

  In the shop love is sold

  But this shape of shadow or white or more motionless against the drapes

  In the narrowest corner

  Who is it

  [RW]

  Saveur pareille

  En face de mon œil la corne du crochet où se suspend l’enseigne

  Au bout d’un plus long bras

  Que toutes les fenêtres s’éclairent à la fois

  Que la lune frappe plus fort aux volets de la rue

  Que les plaques de plâtre avec les lettres tombent

  La pendule a sonné

  L’eau a jailli du timbre

  Et si quelqu’un hésite encore à remonter

  Ce n’est pas encore l’heure

  Il n’est pas assez tard

  Et pour que l’ombre meure

  Il reste

  Toujours avec cette fraîcheur et surtout ce goût de cendres sur la langue et contre la nuit

  Same Taste

  Level with my eye the hook’s horn from which the signboard hangs

  At the end of a longer arm

  Let all the windows blaze at the same time

  Let moonlight knock harder against the shutters in the street

  Let the plaster plaques inscribed with letters fall

  The clock has struck

  Water spurted from the chime

  And if someone still hesitates to go back up

  It is not yet time

  It is not late enough

  And for the shadow to die

  He remains

  Always with this freshness and especially this taste of ashes on the tongue and against the night

  [RW]

  Quelque part

  À présent la ruelle est refermée par la lettre majeure de l’enseigne que le vent rabattait sans cesse contre l’arbre du coin de la forêt à vendre.

  Le vent en tourbillons aigris garnit le fond de la clairière. Les passants mal logés sont saisis par le froid. Les travailleurs de l’art sont morts la nuit dernière. Maintenant on ne passe plus qu’en courant à cet endroit. C’est le pont, plus petit qu’une enjambée, qui sonne. Et les lourds souliers battent le sol, y restent pris et se reforment à chaque pas. C’est loin de la ville et haut dans l’air. Plus bas la terre équivoque s’étale. Lentement le regard s’aiguille vers cette région inconnue où les couleurs ont été depuis longtemps déteintes par la pluie, les brouillards et le vent.

  Poussières du désert sur les routes fécondes.

  Les mûres saignent au bord du ciel où grimpent les épines. La couronne du monde enserre le front torturé du couchant.

  La haie vive qu’on ne peut pas franchir flambe et brûle les yeux, les mains, l’âme inquiète et lâche qui s’avance.

  Mais au croisement des quatre routes, des quatre membres—quand les noms sont portés sur le haut de la croix—on trouve pour toujours, après l’angoisse du passage le plus serré, le plus étroit, l’arrêt du calme et du repos dans la blancheur de l’étendue et le silence.

  Somewhere

  For now the alley is closed off by the principal letter on the sign that the wind slapped ceaselessly against the tree in the corner of the forest for sale.

  The wind in embittered swirls lines the depths of the clearing. The poorly lodged travelers are seized by cold. The craftsmen died last night. Now people pass through this place only at a run. That ringing comes from the bridge, shorter than a stride. And heavy shoes pound the ground, remain stuck, and are reshaped with every step. It’s far from the city and high up in the air. Down below spreads the equivocal earth. Eyes focus slowly on that unknown region where colors have long been faded by rain, fog, and wind.

  Dust of deserts on fertile roads.

  Brambles bleed at the edge of the sky where thornbushes climb. The crown of the world hugs the tortured brow of sunset.

  The living bush we can’t get over flares up, singes our eyes, our hands, our timid, cowardly soul inching forward.

  But at the meeting of the four roads, the four limbs—when names are borne at the top of the cross—after the anxiety of the tightest, straitest passage, we always find an oasis of calm and repose in the whiteness of the expanse, the silence.

  [MP]

  Le Nouveau venu des visages

  Contre la glace éteinte les têtes se retournent

  La carte de visite pivote au bout des doigts

  C’est la girouette qui grince pour indiquer la route au vent des ailes

  Mais le nom de l’enseigne qui y est écrit on ne le voit pas

  Celui qui entre revient avec la marée montante des faubourgs

  Dans la dernière maison après les terrains vagues et avant la campagne saine et propre sans détours

  Le café c’est un nuage à l’
ombre plein de voix

  Où le passant se glisse entre l’odeur et le froid

  Contre la glace éteinte les têtes se retournent

  La nuit suit son chemin

  Mais quelqu’un s’en détache et entre

  Toutes les têtes se retournent pour deviner le nom approximatif de ce nouveau visage

  The Newest Face

  Against the unlit mirror heads turn

  The calling card pivots on fingertips

  It’s the weathervane squeaking to show the winged wind its path

  But no one sees the name written on the sign

  The man who enters brings back the rising tide of suburbs

  In the last house after the empty lots and before the clean, healthy countryside, so direct

  The café is a dark cloud full of voices

  Where the traveler slips between odors and the chill

  Against the unlit mirror heads turn

  Night follows its course

  But someone stands out from it and enters

  All heads turn to guess the approximate name of this new face

  [MP]

  L’Ombre et l’image

  Si j’ai ri ce n’est pas du monde éclatant et joyeux qui passait devant moi. Les têtes penchées ou droites me font peur et mon rire aurait changé de forme en une grimace. Les jambes qui courent tremblent et les pieds plus lourds manquent le pas. Je n’ai pas ri du monde qui passait devant moi—mais parce que j’étais seul, plus tard, dans les champs, devant la forêt énorme et calme et sous les voix qui, dans l’air endormi, se répondaient.

  Shade and Image

  If I laughed, it wasn’t at the brilliant, joyful world parading before me. Heads, bent or straight, terrify me and my laugh would have curdled into a grimace. Running legs wobble and heavier feet miss their step. I didn’t laugh at the world parading before me—but because I was alone, later, in the fields, facing the vast, calm forest, beneath voices calling across the dormant air.

  [MP]

  Après-midi

  Au matin qui se lève derrière le toit, à l’abri du pont, au coin des cyprès qui dépassent le mur, un coq a chanté. Dans le clocher qui déchire l’air de sa pointe brillante les notes sonnent et déjà la rumeur matinale s’élève dans la rue; l’unique rue qui va de la rivière à la montagne en partageant le bois. On cherche quelques autres mots mais les idées sont toujours aussi noires, aussi simples et singulièrement pénibles. Il n’y a guère que les yeux, le plein air, l’herbe et l’eau dans le fond avec, à chaque détour, une source ou une vasque fraîche. Dans le coin de droite la dernière maison avec une tête plus grosse à la fenêtre. Les arbres sont extrêmement vivants et tous ces compagnons familiers longent le mur démoli qui s’écrase dans les épines avec des rires. Au-dessus du ravin la rumeur augmente, s’enfle et si la voiture passe sur la route du haut on ne sait plus si ce sont les fleurs ou les grelots qui tintent. Par le soleil ardent, quand le paysage flambe, le voyageur passe le ruisseau sur un pont très étroit, devant un trou noir où les arbres bordent l’eau qui s’endort l’après-midi. Et, sur le fond de bois tremblant, l’homme immobile.

  Afternoon

  In the morning that comes up behind the roof, in the shelter of the bridge, in the corner of the cypresses that rise above the wall, a rooster has crowed. In the bell tower that rips the air with its shining point, the notes ring out and already the morning din can be heard in the street; the only street that goes from the river to the mountain dividing the woods. One looks for some other words but the ideas are always just as dark, just as simple and singularly painful. There is hardly more than the eyes, the open air, the grass and the water in the distance with, around every bend, a well or a cool basin. In the right-hand corner the last house with a larger head at the window. The trees are extremely alive and all those familiar companions walk along the demolished wall that is crushed into the thorns with bursts of laughter. Above the ravine the din augments, swells, and if the car passes on the upper road one no longer knows if it is the flowers or the little bells that are chiming. Under the blazing sun, when the landscape is on fire, the traveler crosses the stream on a very narrow bridge, before a dark hole where the trees line the water that falls asleep in the afternoon. And, against the trembling background of the woods, the motionless man.

  [LD]

  Mouvement interne

  Sa face écarlate illumine la chambre où il est seul. Seul avec son portrait qui bouge dans la glace. Est-ce bien lui? Serait-ce l’œil d’un autre? Il n’en aurait pas peur. Son pied manque le sol et il avance en éclatant de rire. Il croit que cette tête parle—celle qu’il a devant lui, ivre, les yeux ouverts. Le plafond s’abaisse, les murs vont éclater et il rit. Il rit au feu qui lui chauffe le ventre; à la pendule qui bat comme son cœur. La chambre roule—ce bateau dont le mât craquerait s’il faisait plus de vent. Et, sans s’apercevoir qu’il tombe, sur le lit où il va s’endormir, il croit encore rêver que les vagues l’emportent. Trop loin. Il n’y a plus rien que le rire idiot du réveil et le mouvement inquiétant de la porte.

  Inner Motion

  His scarlet face lights the room where he is alone. Alone with his portrait which moves in the mirror. Is it indeed him? Might it be the eye of somebody else? It wouldn’t frighten him a bit. His foot makes a misstep and he advances bursting into laughter. He thinks this head is laughing—the one facing him, drunk, eyes open. The ceiling sinks, the walls are about to burst and he laughs. He laughs at the fire in his belly, at the clock that beats like his heart. The room lists back and forth—this ship whose mast might well snap in a stronger wind. And without realizing he’s falling, on the bed where he’ll soon go to sleep he believes he’s still dreaming that the waves are bearing him away. Too far away. All that remains is the idiotic laugh of the alarm clock and the unsettling creak of the door.

  [RS]

  Verso

  La pièce dans le courant d’air

  Sous la flamme qui se répand

  Dans la ville endormie

  Près des arbres mouvants

  Du mur de pierres

  Au bout du chemin

  qui entoure la terre

  C’est là

  la tête penchée au dehors

  les rayons de soleil près de la chevelure

  le visage noyé

  les larmes

  Toutes les raisons de ne plus croire à rien

  Les mots se sont perdus tout le long du chemin

  Il n’y a plus rien à dire

  Le vent est arrivé

  Le monde se retire

  L’autre côté

  Verso

  The room in the draught

  Under the flame which spreads

  In the sleeping town

  By moving trees

  Of the stone wall

  At the end of the road

  which circles the earth

  It’s there

  head leaning out

  sunbeams near the wave of hair

  drowned face

  tears

  All the reasons not to believe in anything anymore

  Words lost and scattered all along the path

  There’s nothing left to say

  The wind rises

  The world slips away

  The other side

  [RW]

  La Langue sèche

  Le clou est là

  Retient la pente

  Le lambeau clair au vent soulevé c’est un souffle

  et celui qui comprend

  Tout le chemin est nu

  les pavés les trottoirs la distance le parapet sont blancs

  Pas de goutte de pluie

  Pas une feuille d’arbre

  Ni l’ombre d’un habit

  J’attends

  la gare est loin

  Pourtant le fleuve coule des quais en remontant

  la terre se dessèche

  tout est nu tout est blanc

  Avec le seul mouvement déréglé de l’horloge

  le bruit du train pa
ssé

  J’attends

  Dry Tongue

  The nail is there

  Holds the slope back

  The bright shred lifted in the wind is a breath

  and the one who understands

  The whole road is naked

  the pavingstones the sidewalk the distance the parapet are white

  Not a drop of rain

  Not one leaf of a tree

  No shadow of a coat

  I wait

  the station is far away

  Yet the rising river flows from the quays

  the earth dries out

  all is naked all is white

  With only the clock’s inaccurate movement

  the noise of the train that passed

  I wait

  [MH]

  Adieu

  La lueur plus loin que la tête

  Le saut du cœur

  Sur la pente où l’air roule sa voix

  les rayons de la roue

  le soleil dans l’ornière

  Au carrefour

  près du talus

  une prière

  Quelques mots que l’on n’entend pas

  Plus près du ciel

  Et sur ses pas

  le dernier carré de lumière

  Goodbye

  The glow farther than the head

  The heart’s leap

  On the slope where the air rolls its voice

  the spokes of the wheel

  the sun in the rut

  At the crossroads

  near the hill

  a prayer

  A few words unheard

  Closer to the sky

  And in his footsteps

  the last square of light

  [GOB]

  Détresse du sort

  J’interroge la porte ouverte

  sur le mur blanc

  J’interroge le toit

  Et le champ incliné

  derrière la maison

  Une main enveloppe la terre entre ses doigts et la lance aux

  diverses couleurs du ciel qui est ici d’un roux de lièvre

  Tous les autres animaux détalent vers l’orient

  plus bas

  Seul je reste regardant en l’air venir des véhicules

  pleins par des chemins encore impraticables

  L’hiver ce sont des torrents où l’on entend sombrer des

  bateaux en détresse et gémir le chœur des naufragés

 

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