Pierre Reverdy

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Pierre Reverdy Page 8

by Pierre Reverdy


  Mais dans l’ovale qui tient le visage tout entier immobile et la mémoire inquiète, trouée, usée par les efforts retenus à jamais—on a précisément la notion du temps qui se remet, de celui qui arrive et la limite de nos mouvements en désordre dans cet espace étroit déjà renouvelé.

  Body and Soul Superimposed

  In the bedroom the sick mind and the prone body.

  The flame pierces.

  The triangle of the lamp on the ceiling lines up with the next room.

  When all the pains are parallel, there’s no escape.

  When there’s no hope for anything but the last drop, the last instant, the chain is lifted.

  I examine the triangle with a vision distorted by fever and by heartbeats that guide the danger.

  On the wall opposite the mirror—that icy black abyss ruled by a threatening void and an equally threatening silence: the likelihood of every possible laceration—I can glimpse blessed landscapes smiling under sunbeams, luminous bells, shouts filling the air, many different colors, brilliant gusts against an overloaded sky.

  But within the oval holding my whole countenance frozen, my memory anxious, lacerated, spent by constantly renewed efforts—just then I have the precise notion of time regained, of someone coming, and the limit of our chaotic movements in that narrow space already renewed.

  [RH]

  La Tête pleine de beauté

  Dans l’abîme doré, rouge, glacé, doré, l’abîme où gîte la douleur, les tourbillons roulants entraînent les bouillons de mon sang dans les vases, dans les retours de flammes de mon tronc. La tristesse moirée s’engloutit dans les crevasses tendres du cœur. Il y a des accidents obscurs et compliqués, impossibles à dire. Et il y a pourtant l’esprit de l’ordre, l’esprit régulier, l’esprit commun à tous les désespoirs qui interroge. O toi qui traînes sur la vie, entre les buissons fleuris et pleins d’épines de la vie, parmi les feuilles mortes, les reliefs de triomphes, les appels sans secours, les balayures mordorées, la poudre sèche des espoirs, les braises noircies de la gloire, et les coups de révolte, toi, qui ne voudrais plus désormais aboutir nulle part. Toi, source intarissable de sang. Toi, désastre intense de lueurs qu’aucun jet de source, qu’aucun glacier rafraîchissant ne tentera jamais d’éteindre de sa sève. Toi, lumière. Toi, sinuosité de l’amour enseveli qui se dérobe. Toi, parure des ciels cloués sur les poutres de l’infini. Plafond des idées contradictoires. Vertigineuse pesée des forces ennemies. Chemins mêlés dans le fracas des chevelures. Toi, douceur et haine—horizon ébréché, ligne pure de l’indifférence et de l’oubli. Toi, ce matin, tout seul dans l’ordre, le calme et la révolution universelle. Toi, clou de diamant. Toi, pureté, pivot éblouissant du flux et du reflux de ma pensée dans les lignes du monde.

  Head of Beauty

  In the gilded, red, icy but gilded chasm, the chasm where pain lies, a rushing whirlpool drags my bubbling blood through its veins to my body’s flaming core. A mottled misery sinks into the heart’s tender fissures. Inexplicable the strange accidents which occur, yet there’s a discipline here, the spirit of order, of regularity, a spirit common to every questioning despair. O thou who trails after life among flowering bushes rich with the thorns of life, among dead leaves and heroic celebrations, the helpless appeals, the bronze sweepings, the dust of vanquished hopes, the ashes of glory and futile mutinies, thou who will never try again. Thou, inexhaustible source of blood. Thou, strict disaster of torches whom no radiant glow and no icy breath will ever again tempt a thirst to be slaked. Thou, light. Thou, meander of buried love who slips away. Thou, heavenly adornment nailed on the rafters of infinity. Ceiling of contradictory notions. Dizzying weight of hostile powers. Paths confounded in the din of a head of hair. Thou, sweetness and hate—nicked horizon, perfect line of indifference, of oblivion. Thou, this morning, singular in order, in calm, and universal revolution. Thou, nail of diamond. Thou, purity, dazzling pivot of my own thought’s flux and reflux in the lines of the world.

  [RH]

  L’Invasion

  Cette tête

  L’œil net

  La calme rue du port

  Et les bateaux du large

  Je prends la direction du vent sur l’avenue

  Aux armes des allées

  De la ville

  En été

  Pendant que d’autres ouvrent leurs livres

  Traité de médecine

  Arithmétique

  Géométrie

  Les lunettes fermées entre l’œil et la vie

  Le jeune étudiant remonte à sa famille

  Et l’autre dans la vie

  Ayant sauté les grilles

  Sans savoir où il va

  Et le bateau arrive apportant les moutons

  La ville s’est ouverte au flanc

  La foule entre

  Voilà le premier son de cloche au nouveau la

  Des enfants multiformes

  Et la tête en feu du compagnon malade

  Tout ce qu’il y a

  The Invasion

  This head

  The eye distinct

  The calm street of the port

  And the boats in from the sea

  I take the direction of the wind on the avenue

  That bears the coat of arms

  Of the city lanes

  In summer

  While others open their books

  A treatise on medicine

  Arithmetic

  Geometry

  Their glasses closed between eyes and life

  The young student goes back up to his family

  And the other in life

  Having climbed over the iron gates

  Without knowing where he is going

  And the boat arrives bringing the sheep

  The city has opened its side

  The crowd enters

  And now the bell’s first note in a new key

  Different kinds of children

  And the fiery head of the sick companion

  All there is

  [JA]

  Au bord du temps

  Les tiges du soleil penchées sur l’œil

  L’homme qui dort

  Toute la terre

  Et cette tête lourde de peur

  Dans la nuit

  Ce trou complet

  Vaste

  Et quand même ruisselant d’eau

  Le bruit

  L’éclat des timbres mêlé à ceux des verres

  Et des rires

  La tête bouge

  Sur le tapis le corps remue

  Et retourne la place tiède

  Aux pieds glissants de l’animal

  C’est qu’on attend

  L’appel du choc

  Et le signal de la paupière

  Le rayon se détend

  Le sommeil

  La lumière

  Et ce qui reste brille au bord du rocher blanc

  At the Edge of Time

  The stems of the sun bent over the eye

  The sleeping man

  The whole of the earth

  And this head heavy with fear

  In the night

  This complete hole

  Vast

  And even so streaming with water

  The noise

  The peals of little bells mingled with the clinking of glasses

  And bursts of laughter

  The head moves

  On the carpet the body shifts

  And turns over the warm spot

  At the slipping feet of the animal

  It’s that they’re waiting

  For the summons of the shock

  And the signal of the eyelid

  The ray relaxes

  Sleep

  Light

  And what is left shines at the edge of the white rock

  [LD]

  Il devait en effet faire bien froid

  Il y a moi

  Et toutes les sonneries se mettent en branle à la fois dans la maison

  Pourquoi apporte-t-
on tant de cloches et de réveils

  De la tapisserie où mon corps s’aplatit de profil les mains en forme de plateau demandant grâce je regarde ma vie d’où je me suis retiré

  Les distances sont abolies et pourtant tout reste en place

  Il manque seulement un peu d’air

  L’harmonie des lignes suffisait à maintenir chaque meuble dans l’épaisseur

  Mais par moments on ne les reconnaissait pas

  Le visiteur est au salon ou devant la porte à attendre après avoir sonné

  Et tous ceux qui passent tiennent leur chapeau à la main

  Mais à présent je ne peux plus descendre

  La tapisserie tremble

  Il fait trop froid

  It Must in Fact Have Been Quite Cold

  There’s me

  And all the buzzers in the house went off at once

  Why have they brought so many bells and alarm clocks

  From the tapestry where my body flattens in profile hands like a platter asking for mercy I look at my life from which I’ve withdrawn myself

  Distances were done away with and yet everything stays in place

  All that’s lacking is a little air

  The harmony of their lines is enough to keep each piece of furniture solid

  Yet sometimes they weren’t recognizable

  The visitor is in the sitting room or at the door waiting after having rung the bell

  And all those who pass by hold their hats in their hands

  But I can no longer come down

  The tapestry is trembling

  It’s too cold

  [MH]

  À Travers les signes

  Le masque qui adhère à ta peau moite, plus ardent ce matin que la couche brûlante du soleil, te cache, te trahit, te déride, te défigure. Tu n’as pas de raison d’aimer ni de haïr les masses mal rangées de la nature. A travers les rayons frisants qui bouleversent les rochers, les troncs des bois, le murmure des bancs et tous les artifices du feuillage, les têtes à peine dessinées, les yeux crevés, les ciels remplis de larmes—tu n’as pas le temps de passer. Contre les bois indifférents, où bondit l’animal sans yeux, aux défilés de la peur toute rouge, la course a son terme prédit, la meilleure raison de vivre où tu trébuches. Toi ou moi dans le même jeu, toi ou moi dans le même lac, au fond, dans la même embrasure. Pourtant, si on relevait un peu le rideau de feuilles mortes, des mots flétris sur la trame trop mal ourdie de tes mensonges—si l’on regardait à travers la grille de tes dents, les derniers soubresauts qui meurent dans ta gorge. Mais je tourne autour du néant. L’air qui gonfle l’espace entier me désespère. Je ne ferai plus rien, ce soir. Peut-être arriverai-je à temps pour ne pas manquer de lumière. La fatigue m’attaque à ce nouveau tournant. Je ne pense plus à rien ni devant ni derrière. La soif brûle au fond de mes reins, mes mains sont plus faibles que la poussière. Ce n’est plus le souci d’aimer qui me soutient, ce n’est pas le bruit de la mer qui remplacera ma prière. Mais la poitrine en feu, la mort à mi-chemin je me couche, à peine épuisé, les lèvres sur les bords glacés de la nuit noire.

  Across Signs

  The mask that clings to your moist skin, more fiery this morning than the scorching couch of the sun, hides you, betrays you, brightens you, disfigures you. You have no reason to love or hate the ill-arranged masses of nature. You do not have the time to make your way across those stray rays of light that cause confusion to the rocks, the tree trunks, the whispering benches, the artifices of the leafage, the barely sketched-out heads, the blackened eyes, the skies swimming with tears. Against the indifference of the woods, with all their eyeless animals bounding about, all the ravines flushing red with fear, flight has its predicted end, the best reason to go on living, here where you falter. You or I in the same game, you or I in the same lake, to wit, in the same embrasure. Yet, were one just slightly to lift the curtain of leaves, of words withered on the ill-woven web of your mendacities—were one to peek through the bars of your teeth to catch sight of these last gasps now dying in your throat. But I’m turning around the void in circles. The air that swells the whole of space is my despair. I will do nothing more tonight. I will perhaps arrive just in time to catch the light. At the point we’ve now reached, I’m plain beat. I no longer have anything in mind, be it before or behind. Thirst tears at my guts, my hands are frailer than dust. It is not my urge to love that bears me up, it is not the sea-surge that will stand in for my prayer. But my chest on fire, halfway through the path to death I lay myself down to bed, barely exhausted, my lips on the icy borders of black night.

  [RS]

  Au bas-fond

  Vierge et fière sur la lande animée

  Elle tamise l’argent des branches

  Elle sèche les roseaux qui chantent

  Sous les voûtes des ponts tournants

  Elle coupe court aux bruits qui mentent

  Elle tresse les nattes du vent

  Elle tisse la nuit qui l’enroule

  Elle émiette le pain noir

  Elle étanche le sang qui coule

  Sur la piste étoilée des larmes défendues

  Et maintenant ombre détruite

  Froissée dans les rafales du courant

  Pêcheur de mort

  Au ressac de la fuite

  Allons plus loin

  Plus personne n’écoute

  Allons au fond des gouffres du remords

  In the Hollow

  Virgin and proud on the spirited moor

  She sifts the silver of branches

  She dries the singing reeds

  Under the vaults of turning bridges

  She cuts short the lying sounds

  She plaits the braids of the wind

  She weaves the night rolling her about

  She crumbles the black bread

  She stanches the running blood

  On the starry trail of forbidden tears

  And now shadow destroyed

  Crumpled in the squalls of the current

  Fisherman of death

  At the undertow of the flight

  Let’s go further

  No one is listening now

  Let’s go deep in the abyss of remorse

  [MAC]

  Le silence qui ment

  Attends attends

  Placide dans la fumée des torches

  Le souffle déchaîné que rythme la tourmente

  Une traînée de grains pleins de vie sur le sol

  Comble peu à peu les ornières

  Il crie le vent qui change ses ressorts

  Dans la course éperdue des destinées conquises

  Noir ou blanc

  Mais il est rouge au front

  A l’intérieur du ciel où l’on chauffe la forge

  Attends le moment de tordre ton bâillon

  La bouche est faite aussi pour mordre

  Pour baver et boire la sueur qui creuse des sillons

  Pour rire pour mentir

  Pour chanter ta délivrance

  Rose et fraîche comme une cicatrice

  Elle était plus belle qu’avant

  Mais elle ne savait plus quoi dire

  The Lying Silence

  Wait wait

  Placid in the smoke of torches

  The breath unloosed tormented into rhythm

  A trail of seeds full of life on earth

  Fills the ruts bit by bit

  He cries the wind changing its springs

  In the mad race of conquered fates

  Black or white

  But his forehead is red

  Inside the sky where the forge is heated

  Wait for the moment to twist your gag

  The mouth is also made to bite

  To drool and to drink the sweat digging furrows

  To laugh to lie

  To sing your deliverance

  Pink and cool like a scar

  It was lovelier than before

  But no longer knew what to say

  [MAC]

  Sourdine
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  Rien ne me donne rien

  Et ce que je lui donne

  Ne me rend pour le mal le bien

  Il faut bien que je lui pardonne

  Un homme une tige un lien

  Pas plus de poids que la parole

  Le désespoir qui me déride

  Me prend tout ce qui m’appartient

  Enfin tout se tient dans le vide

  Tiroirs de la mémoire qui ne sont jamais pleins

  Entre les bords de l’ombre et le fil de la lampe

  Le poids de la matière qui rassure ma main

  Je rôde entre les traits de sang

  Qui dessinent le corps du monde

  La terre dévidée dans l’écheveau du temps

  Dans les parages de la nuit

  De tout ce que cache ton front

  Il filtre un rayon de lumière

  Comme un trait de feu sous la porte

  Par les paroles de ta bouche

  Noiselessly

  Nothing gives me anything

  And what I give him

  Does not return me good for bad

  I must pardon him

  A man a stalk a bond

  No more weight than the word

  The despair that cheers me

  Takes everything belonging to me

  At last everything holds itself in the void

  Drawers of memory never full

  Between the edges of shadow and the wire of the lamp

  The weight of matter which reassures my hand

  I prowl between the streaks of blood

  Which sketch the body of the world

  The earth unreeled in the skein of time

  In the approaches of night

  From all that your brow hides

  A ray of light filters

  Like a streak of fire under the door

  Through the words of your mouth

  [MAC]

  À voix plus basse

  La chasse est décidée dans le tympan des ailes

  Le souci macabre de tenir le secret

  Alors qu’il fait dans ta poitrine un froid de neige

  Clair et limpide comme une garniture d’été

  Tes yeux chargés de feuilles mortes

  de listes rouges de condamnés

  Tout le long de la rive sans prison

  Sans reflets de fenêtres

  Au sinistre couchant contre le parapet

  L’ombre se coule au bas des murs emplit la ville

  Dans une crue gluante à contre sang

  Les ailes surchargées d’affronts et de murmures

  Les ailes sourdes

  Les ailes volant bas

 

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