RÉVÉLATION
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Eux aussi en ont peur.
Sauf qu’ils ne feront rien pour y remédier.
Ils protègent Bella Swan.
Nous n’allons pas nous laisser influencer par ça.
La sécurité de nos familles, de tout le monde ici, est plus importante que celle d’un seul être humain.
S’ils ne tuent pas cette chose, nous devrons nous en charger.
Protéger la tribu.
Il faut liquider ce truc avant qu’il ne soit trop tard.
D’autres souvenirs, les paroles d’Edward : « La chose grandit. Rapidement. » Je me concentrai pour isoler les voix de chacun.
Il n’y a pas de temps à perdre. Jared.
Ça signifie une bataille, une rude bataille. Embry. Prudent.
Nous sommes prêts. Paul. Insistant.
Nous les prendrons par surprise. Sam.
Si nous arrivons à les séparer, ce sera mieux. Cela augmentera nos chances de victoire. Jared, déjà dans la stratégie.
Secouant la tête, je me mis lentement debout. Je n’étais pas très stable, comme si la ronde des loups me donnait le vertige. Mon voisin se leva également. Son épaule s’appuya contre la mienne, me soutint.
Attendez, lançai-je.
Mes frères s’arrêtèrent un instant, avant de reprendre leur ronde infernale.
Nous ne disposons pas de beaucoup de temps, dit Sam.
Mais… qu’est-ce que vous racontez ? Vous refusiez de les attaquer cet après-midi, alors qu’ils avaient peut-être enfreint le traité, et là, vous planifiez une embuscade, alors que les termes du contrat ont été respectés ?
Il s’agit d’un événement que le pacte n’avait pas prévu, répondit Sam. Nous ignorons quel type de créature les Cullen ont engendrée, mais nous savons qu’elle est forte et qu’elle se développe vite. Elle sera trop jeune pour respecter l’accord. Rappelle-toi les vampires nouveau-nés que nous avons combattus. Sauvages, violents, au-delà de toute raison et de toute contrainte. Imagine la même chose, mais sous la protection des Cullen.
Nous n’avons pas la moindre idée de…
En effet. N’empêche, il est hors de question de prendre des risques avec ce genre d’inconnue. Nous pouvons permettre aux Cullen d’exister tant que nous sommes certains qu’ils ne feront aucun mal. Or, ce… cette chose n’est pas fiable.
Ils ne l’apprécient pas plus que nous.
S’emparant de l’image que mon esprit recelait, celle d’une Rosalie protégeant Bella, Sam l’exposa aux cerveaux de tous.
Néanmoins, certains sont prêts à se battre pour elle.
Ce n’est qu’un bébé, bon sang !
Pas pour longtemps, murmura Leah.
C’est un vrai problème, Jake, intervint Quil. Impossible de l’occulter.
Mais vous l’exagérez. La seule à être en danger, c’est Bella.
Encore une fois, elle l’a voulu, riposta Sam. Malheureusement, son choix nous affecte tous, à présent.
Je ne crois pas.
Nous ne nous exposerons pas à un danger pareil. Nous ne permettrons pas qu’un buveur de sang chasse sur notre territoire.
Alors, demandez-leur de partir, proposa le loup qui me soutenait toujours. (Seth, évidemment.)
Et renvoyer ainsi la menace sur d’autres ? Quand des buveurs de sang traversent nos frontières, nous les détruisons, quelle que soit leur destination de chasse initiale. Nous protégeons un maximum d’humains.
C’est dingue, dis-je. Alors que cet après-midi, vous aviez peur de mettre la meute en péril.
Cet après-midi, nous ignorions que nos familles seraient concernées.
Je n’y crois pas ! Comment comptez-vous tuer cette chose sans tuer Bella ?
Le silence qui me répondit fut éloquent. Je hurlai.
Elle est humaine ! Votre protection ne s’applique donc pas à elle ?
Elle est en train de mourir, pensa Leah. Quelle différence ? Nous accélérerons le processus, c’est tout.
Ce fut la parole de trop. Je bondis vers elle, tous crocs dehors. J’allais l’attraper par la patte arrière quand les dents de Sam mordirent dans mon flanc pour me retenir. Ululant de douleur et de rage, je me retournai contre lui.
Stop ! ordonna-t-il de sa double voix d’Alpha.
Mes pattes parurent se dérober sous moi. Je m’arrêtai net, ne réussissant à rester debout que par un effort de volonté pure. Sam regarda Leah.
Ne sois pas cruelle, lui lança-t-il. Le sacrifice de Bella est un prix lourd à payer, ce que nous reconnaîtrons tous. Il est contraire à nos principes fondamentaux de tuer un humain. Cette exception est d’une grande tristesse. Nous serons tous en deuil, après ce que nous aurons fait cette nuit.
Cette nuit ? répéta Seth, choqué. Sam… Je crois que nous devrions discuter de cela plus longuement. Consulter les anciens, au moins. Tu n’envisages pas sérieusement que nous…
Nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de tolérer les Cullen, maintenant. Inutile de discuter. Tu feras ce qu’on te dira, Seth.
Face au poids des ordres de l’Alpha, les genoux antérieurs de Seth fléchirent, et sa tête tomba en avant. Sam tournait autour de nous, sévère.
Nous avons besoin de la meute dans son entier, pour cette opération. Jacob, tu es notre combattant le plus fort. Tu lutteras à nos côtés cette nuit. Je comprends que ce te soit difficile, donc tu te concentreras sur leurs deux fers de lance, Emmett et Jasper. Inutile que tu t’impliques dans… le reste. Quil et Embry seront avec toi.
Mes genoux tremblaient, et je luttais pour ne pas céder à la voix irrésistible de l’Alpha.
Paul, Jared et moi nous chargerons d’Edward et de Rosalie. D’après les informations rapportées par Jacob, ils monteront la garde auprès de Bella. Carlisle et Alice seront aussi à proximité, de même qu’Esmé, sans doute. Brady, Collin, Seth et Leah se focaliseront sur eux trois. Le premier qui aura l’occasion de foncer sur – nous l’entendîmes tous buter mentalement sur le nom de Bella – la créature en profitera. La détruire est notre priorité.
La meute gronda son assentiment. La tension hérissait les poils de tous. Les allers-retours s’intensifièrent, les bruits de pattes se firent plus sonores, les griffes se plantèrent plus profondément dans la boue. Seuls Seth et moi restions immobiles, œil d’un cyclone de dents dévoilées et d’oreilles aplaties. Le museau de Seth touchait presque terre, échine courbée sous le commandement de Sam. Je sentis sa souffrance devant l’attaque déloyale qui se préparait. Pour lui, c’était une trahison : du jour où notre alliance s’était nouée, lorsque nous avions combattu au côté d’Edward Cullen, Seth était vraiment devenu l’ami du vampire.
Il ne résistait pas, cependant. Il obéirait, aussi élevé soit le prix qu’il lui en coûterait. Il n’avait pas le choix.
Et moi, en avais-je un ? Lorsqu’un Alpha parlait, sa meute le suivait.
Jamais encore Sam n’avait poussé son autorité aussi loin. Je devinais qu’il détestait devoir assister à l’humiliation de Seth, tel l’esclave aux pieds de son maître. Il ne s’y serait pas résolu s’il n’avait pas estimé que c’était la seule solution. Il ne pouvait pas nous mentir, puisque nos esprits étaient reliés. Il croyait véritablement qu’il était de notre devoir de détruire Bella et le monstre qu’elle portait. Il croyait aussi que le temps pressait. Il y croyait assez pour mourir pour cette cause.
Je prévis qu’il affronterait Edward en personne. L’aptitude de ce dernier à lire dans nos pensées en faisait la menace la plus sérieuse, aux yeux de Sam. Il ne laisserait personne d’autre attaquer pareil danger.
Il considérait Jasper comme notre deuxième adversaire le plus redoutable. Voilà pourquoi il me l’avait attribué. Il était conscient que j’étais celui de la meute qui avait les meilleures chances de le vaincre. Il avait donné les cibles les plus faciles aux jeunes loups et à Leah. La petite Alice ne représentait aucun péril, sans ses visions de l’avenir pour la guider. Quant à Esmé, nous avions découvert pendant notre alliance qu’elle n’était pas une combattante. Carlisle serait un d
éfi d’une tout autre envergure, mais sa détestation de la violence le gênerait.
Les plans de Sam pour trouver les meilleurs angles d’attaque afin d’offrir à chaque loup une vraie chance de survie me rendaient encore plus malade que Seth. Tout était sens dessus dessous. L’après-midi encore, j’avais incité à la guerre. Sauf que Seth avait eu raison – je n’étais pas prêt à cet affrontement. La haine m’avait aveuglé. Je ne m’étais pas autorisé à examiner plus minutieusement la situation, parce que j’avais dû me douter des conclusions que j’en tirerais.
Carlisle Cullen. Si je le regardais sans laisser le ressentiment obscurcir mes yeux, je ne pouvais nier que le tuer équivaudrait à un assassinat. Il était bon. Aussi bon que n’importe lequel des humains que nous protégions. Meilleur, peut-être. Les autres aussi, j’imagine. Mais je ne le ressentais pas avec autant d’évidence, dans leur cas. Je ne les connaissais pas aussi bien. C’était Carlisle qui refuserait de se défendre, même pour sauver sa propre peau. Nous n’arriverions pas à le tuer, parce qu’il ne souhaiterait pas que nous, ses ennemis, nous mourions.
C’était mal.
Pas seulement parce que tuer Bella était comme me tuer, équivalant à un suicide.
Reprends-toi, Jacob, m’ordonna Sam. La tribu passe en premier.
J’avais tort, aujourd’hui.
Tes raisons n’étaient pas les bonnes. À présent, nous avons un devoir à accomplir.
Je me raidis.
Non.
En grognant, Sam vint se poster devant moi. Il planta ses prunelles dans les miennes, cependant qu’un grondement sourd montait des tréfonds de sa poitrine.
Si, déclara-t-il, sa double voix d’Alpha explosant sous la brûlure de son autorité. Il n’y aura pas de points faibles, cette nuit. Toi, Jacob, tu combattras les Cullen avec nous. Toi, aidé de Quil et Embry, tu t’occuperas de Jasper et d’Emmett. Tu as l’obligation de défendre ta tribu. Telle est ta raison d’être. Tu accompliras ton devoir.
Mes épaules s’affaissèrent sous le poids écrasant du décret. Mes pattes se dérobèrent sous moi, et je tombai sur le ventre.
Aucun membre de la meute ne pouvait dire non à l’Alpha.
11
LES DEUX CHOSES TOUT EN HAUT DE MA LISTE
DES CHOSES QUE JE DÉTESTE PAR-DESSUS TOUT
Sam commença à mettre les autres en ordre de formation, cependant que je restais couché au sol. Embry et Quil s’étaient rapprochés de moi, attendant que je me ressaisisse et que je prenne ma place.
Je sentais l’envie, le besoin, de me lever et de les diriger. L’instinct forcit, et j’y résistai, inutilement, m’agrippant à la terre sur laquelle j’étais allongé. Embry gémit à mon oreille. Il s’interdisait de formuler ses pensées, par crainte d’attirer de nouveau l’attention de Sam sur moi. Je sentis sa prière muette m’incitant à me remettre debout, à agir, à en finir avec tout ça.
La peur dominait. Ce n’était pas tant que chacun craignait pour lui, plutôt pour la meute dans son ensemble. Pas un instant, nous ne pensions que nous en sortirions tous vivants. Lesquels de nos frères allions-nous perdre ? Quels seraient les esprits à nous quitter pour toujours ? Quelles familles endeuillées nous faudrait-il consoler au matin ? Mon cerveau commença à travailler à l’unisson de celui des autres, à gérer cette angoisse. L’instinct me poussa à me dresser sur mes pattes et à m’ébrouer.
Embry et Quil émirent des grognements soulagés. Quil enfonça son nez dans mon flanc.
Leurs pensées étaient occupées par notre défi, nos ordres. Ensemble, nous nous souvînmes des nuits où nous avions observé les Cullen s’entraîner à lutter contre les nouveau-nés. Emmett était le plus puissant, mais Jasper serait le plus difficile à vaincre. Mortel, il bougeait à la vitesse de la foudre, mêlant force et rapidité. Combien de siècles d’expérience avait-il ? Suffisamment pour que le reste de son clan l’élise comme maître d’armes.
Je prendrai la tête des opérations, si tu flanches, proposa Quil.
Il était plus excité par la bagarre à venir que nous autres. Lorsqu’il avait assisté aux cours dispensés par Jasper, il avait intensément désiré tester ses talents face au vampire. Pour lui, ce serait une compétition. Il avait beau savoir que sa vie était en jeu, ça n’y changerait rien. Paul était pareil, ainsi que les gamins qui n’avaient encore jamais combattu, Brady et Collin. Seth aurait sans doute réagi à l’identique si nos adversaires n’avaient pas été ses amis.
Jake ? intervint Quil. Comment veux-tu procéder ?
Je secouai la tête. J’avais du mal à me concentrer. Ma propension à l’obéissance me donnait l’impression d’être une marionnette, dont chacun des muscles aurait été manœuvré par un fil. Une patte en avant, une deuxième, et ainsi de suite.
Seth traînait derrière Collin et Brady. C’était Leah qui commandait cette escouade. Elle parlait stratégie avec les deux autres en ignorant son frère. Il était clair qu’elle aurait préféré le laisser en dehors de tout cela. Elle éprou vait pour lui une affection maternelle plutôt que sororale, regrettait que Sam ne le renvoie pas à la maison. Seth était inconscient des doutes de sa sœur. Lui aussi essayait de s’adapter à son rôle de marionnette.
Si tu cessais de résister…, chuchota Embry.
Contente-toi de te concentrer sur notre enjeu, renchérit Quil. Le gros de leurs troupes. Nous allons les abattre. Nous les tenons !
Un véritable conditionnement d’avant match !
Je voyais combien ç’aurait été facile – ne penser à rien d’autre qu’à ma partie. Il n’était pas compliqué de m’imaginer en train d’attaquer Jasper et Emmett. Nous avions frôlé cette éventualité à maintes reprises par le passé. Je les avais considérés comme des ennemis pendant très, très longtemps. J’étais capable de recommencer. Il suffisait que j’oublie qu’ils protégeaient la même personne que celle que je désirais protéger. D’oublier pourquoi je pouvais souhaiter leur victoire…
Jake, me prévint Embry. Concentre-toi.
Mes pattes bougèrent, pataudes, luttant contre la force des fils qui les animaient.
Il avait raison. Je finirais par agir comme Sam le voulait, pour peu que ce dernier insiste. Or, il semblait en avoir décidé ainsi. L’autorité incontestable de l’Alpha avait une raison d’être. Une meute, y compris aussi forte que la nôtre, ne pesait guère dans la balance si elle manquait d’un chef. Il fallait que nous nous mouvions ensemble, que nous pensions ensemble si nous désirions être efficaces. Le corps avait besoin d’une tête. Que Sam soit dans l’erreur n’avait aucune importance. Personne n’y pouvait rien. Nul n’était en droit de s’opposer à ses décisions.
Sauf…
Une idée que je n’avais jamais, au grand jamais, voulu avoir m’envahit soudain. Comme j’étais réduit à l’impuis sance d’un pantin, je la reçus avec soulagement. Plus même – avec une joie féroce : nul n’était en mesure de s’opposer à l’Alpha, sauf moi. J’étais l’exception à la règle. Je n’avais pas gagné ce droit – il était inné, comme d’autres prérogatives que je n’avais pas revendiquées. Ainsi, je n’avais pas désiré prendre le commandement de la meute ou endosser la responsabilité de tous nos destins. Sam était plus doué que moi pour cela.
Mais ce soir, il se fourvoyait. Or, je n’étais pas né pour me mettre à genoux devant lui.
Les fils disparurent à la seconde où je pris conscience de mes droits du sang. Ces derniers se rassemblèrent en moi en un étrange mélange alliant sentiment de liberté et de puissance dénuée de contenu. Vide. Vide, car le pouvoir d’un Alpha lui venait de sa meute, et je n’en avais pas. Un instant, la sensation de mon immense solitude me submergea. Je n’avais pas de meute.
Pour l’instant.
Cela ne m’empêcha pas cependant d’aller me planter, tête haute, déterminé, devant Sam, qui discutait avec Paul et Jared. Il se tourna vers moi, mécontent.
Non, lui répétai-je.
Il perçut tout de suite, à travers mon timbre, la résolution d’Alpha que j’exprimais. Poussant u
n piaillement surpris, il recula d’un demi-pas.
Jacob ! Que viens-tu de faire ?
Je ne te suivrai pas, Sam. Ta décision n’est pas la bonne.
Il me contempla, ébahi.
Tu… tu choisirais nos ennemis plutôt que ta famille ?
Ils ne sont pas nos ennemis. Ils ne l’ont jamais été. Je ne m’en étais pas rendu compte, jusqu’à ce que j’envisage sérieusement de les anéantir.
Tu te trompes de problème, cracha-t-il. C’est Bella, le pro blème. Elle ne t’a jamais été destinée, elle t’a rejeté et, pourtant, tu continues à fiche ta vie en l’air pour elle !
C’étaient des paroles dures, mais vraies. Je pris une profonde aspiration.
Tu as raison. Sauf que tu t’apprêtes à détruire la meute à cause d’elle, Sam. Quel que soit le nombre de ceux qui survivront à cette nuit, ils auront du sang innocent sur les mains.
Nous devons défendre la tribu !
Je comprends ta position. Mais ne décide pas pour moi, Sam. Ce temps-là est révolu.
Tu n’as pas le droit de tourner le dos aux tiens, Jacob.
Le double écho de son ordre d’Alpha voleta jusqu’à moi, sans produire aucun effet sur moi, cette fois. Je n’étais plus concerné. Mâchoires serrées, Sam essaya de m’obliger à réagir. Je contemplai ses prunelles furibondes.
Le fils d’Ephraïm Black n’est pas né pour suivre celui de Levi Uley.
C’est donc ça, Jacob Black ?
Le poil de son cou se hérissa, et ses babines se retroussèrent sur ses dents. Paul et Jared grondèrent leur soutien.
Même si tu parvenais à me vaincre, Jacob, la meute refuserait de t’obéir !
Ce fut à mon tour de reculer, et un geignement surpris m’échappa.
Te vaincre ? Je n’ai pas l’intention de me battre avec toi, Sam.
Alors, c’est quoi, ton plan ? Je ne m’écarterai pas pour que tu puisses protéger l’engeance du vampire aux dépens de la tribu.
Je ne te demande rien de tel.