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CHASSES À L'HOMME

Page 8

by Christophe Guillaumot


  Outre ses préoccupations sur l'état de santé psychologique d'Eve Saint Hilaire, le commissaire Wuenheim n'arrivait pas à trouver le lien entre la disparition de Marthe Saint Hilaire, dix-sept mois auparavant, et la plainte pour viol contre le lieutenant Caramany. Pour quelles raisons ces deux affaires se rejoignaient-elles ? Mélanie Bouzy était la clef de l'énigme. Il devait donc absolument la retrouver. Elle serait sûrement plus facile à attraper que le lieutenant Caramany. Tout en réfléchissant, le commissaire attendait avec appréhension l'arrivée de son collègue. Il avait envoyé une équipe récupérer Pierre Saint Hilaire à l'arrivée de son train. Il ne voulait pas qu'il apprenne inopinément le décès de sa femme. C'était de sa responsabilité de lui faire part des événements de la nuit. Mais il comptait aussi le convaincre de coopérer à l'arrestation de son lieutenant.

  Le jeune commissaire stagiaire Le Taillan entra dans le vaste bureau de son supérieur après y avoir été autorisé. De retour de la gare de Lyon, il expliqua à Michel Wuenheim que leur collègue Saint Hilaire ne se trouvait apparemment pas dans le train. Ennuyé de ce contretemps, Wuenheim dut se résoudre à décrocher son combiné pour joindre le commissaire divisionnaire Pupillin. Il l'informa du dernier rebondissement sans savoir que le chef de la 2e division de police judiciaire de Paris était un ami de Pierre et Marthe Saint Hilaire. La nouvelle fut dure à encaisser. Henri Pupillin qui comptait protester contre le manque de diplomatie du commissaire de l'I.G.S., se retrouva à bredouiller quelques paroles en l'air. Comment allait-il l'annoncer à sa femme ? Elles avaient été si proches. Madame Pupillin avait déjà pleuré la disparition de son amie, il lui faudrait maintenant faire un deuxième deuil. Le vieux commissaire, qui se considérait comme l'oncle d'Eve, s'inquiéta de son état de santé. Apprenant qu'elle dormait dans l'appartement de Wuenheim, ils convinrent qu'une fois l'annonce faite à madame Pupillin, celle-ci se rendrait au chevet de la jeune femme. Le commissaire divisionnaire insista pour se charger d'aviser Pierre Saint Hilaire. Même si les hommes de Wuenhein ne l'avaient pas trouvé à sa descente de train, il le pensait déjà arrivé dans la capitale. Il connaissait bien son ami et savait qu'il détestait qu'on lui impose quoi que se soit. De plus, il le savait capable de se rendre invisible aux yeux des plus expérimentés des policiers, et apte à leur fausser compagnie sans aucun souci. Henri Pupillin saurait le retrouver. Il intima l'ordre à son collègue de poursuivre les recherches afin d'interpeller Caramany. S'il avait d'abord cru à son innocence, il serait maintenant le premier à lui mettre une balle entre les deux yeux, si leurs chemins venaient à se croiser.

  ***

  Pierre Saint Hilaire s'était installé dans son siège en cuir derrière son bureau en chêne massif. Une tasse de café fumant était posée à côté de son ordinateur. En moins de cinq minutes et avec l'aide de son nécessaire à toilette, il s'était redonné une apparence respectable. Il avait enfilé le costume de rechange qu'il laissait en tout temps dans son placard. Léognan arriva au moment où le commissaire absorbait sa première gorgée de café.

  – Entrez, major ! fit-il en reposant sa tasse.

  – Bonjour, patron !

  – Victor, je suis extrêmement pressé ! Alors faites-moi un compte-rendu des plus synthétiques, intima Saint Hilaire.

  Le major se lança dans un résumé de la journée de la veille. Il employait une syntaxe truffée d'expressions empruntées au langage administratif, tirées directement des rapports et procès-verbaux qu'il écrivait chaque jour. Il évita de commenter le caractère autoritaire et nonchalant du commissaire Wuenheim, Claire l'ayant – déjà – avisé de sa liaison avec la fille du patron. Saint-Hilaire fut rapidement surpris par le peu de ferveur avec laquelle le major défendait Caramany.

  – Ne me dites pas que vous le croyez coupable ?

  Le major ne savait pas mentir. Il avait élaboré avec Sarras toute une stratégie pour les amener à découvrir le couteau pendu au volet, en la présence de Saint Hilaire. Mais ce plan qu'il considérait comme « foireux » après une courte nuit de sommeil, s'écroula dès qu'il se retrouva en présence de son chef.

  – Ecoutez, patron...

  Léognan cherchait ses mots.

  – Voilà, hier, on a fait une grosse connerie, lâcha-t-il enfin.

  Le commissaire pensa qu'il n'était pas au bout de ses surprises.

  – Qui « on » ? demanda-t-il.

  – Moi et Sarras, balança le futur retraité. Hier soir, nous sommes restés tous les deux après la fermeture du poste. C'était la tempête encore pire qu'aujourd'hui. Pendant que nous discutions de l'affaire, un volet du bureau du lieutenant s'est mis à claquer. Alors nous sommes allés le fermer.

  – Et alors ? demanda Saint Hilaire, intrigué.

  – Et alors, nous avons découvert un couteau !

  Le commissaire resta silencieux en attendant la suite.

  – ... Il était suspendu à l'attache du volet.

  – Vous avez averti le commissaire Wuenheim ?

  Léognan se gratta le dessus de la tête.

  – Ecoutez, l'affaire était délicate. Nous ne voulions pas nuire à la procédure ni ennuyer le lieutenant. Alors...

  – Alors qu'avez-vous fait ? accéléra le commissaire.

  – On a rattaché le couteau au volet ! précisa-t-il tout penaud.

  – Quoi ? Vous avez remis cette preuve dehors ! Sous la pluie ! hurla Saint Hilaire.

  – Oui... C'est bien ça, avoua Léognan.

  – Vous comptiez me faire découvrir le couteau pour que la sale décision me revienne, c'est cela, major ? analysa-t-il rapidement.

  – Ben... C'est vous le chef, patron !

  Saint Hilaire en avait pris son parti. Toutes les deux heures environ, une révélation venait perturber le cours de sa vie. Il demanda par téléphone à Claire, l'hôtesse d'accueil, de faire descendre dans son bureau le gardien de la paix, Sarras. Il lui précisa de venir avec « ce qu'il savait », ce qui raviva la curiosité de son assistante.

  Yvan Sarras ne tarda pas à ramener sa masse corpulente sur la moquette moelleuse de son patron. A son air déconfit, Saint Hilaire comprit l'embarras dans lequel se trouvait le policier. Ce dernier lança un regard désapprobateur au major qui venait de vendre la mèche. Après les salutations d'usage, Sarras sortit de sous son pull un sachet plastique contenant l'arme en question. Il la déposa, paumes ouvertes, sur le bureau de son chef comme le vassal déposait jadis son offrande au Seigneur. Saint Hilaire se garda bien d'y toucher. Il regarda l'heure au réveil posé sur son bureau. Dans un peu moins d'une heure, il devrait être au rendez-vous fixé par le lieutenant Caramany. Il informa ses deux sbires de la découverte par l'Inspection générale des services, du corps sans vie de la prostituée dans la cave de l'officier de police, et les mit au courant du contenu de sa discussion avec leur collègue en fuite. Les deux hommes se regardèrent, encore abasourdis par l'annonce de ces événements.

  – Vous venez donc, enchaîna le commissaire, de découvrir vraisemblablement l'arme du crime !

  Sarras, sans en demander la permission, s'assit sur l'une des trois chaises qui faisaient face au bureau de son chef. Léognan, pétrifié d'avoir côtoyé quotidiennement un assassin, restait droit comme un i, ventre en avant.

  L'amoncellement de preuves contre son adjoint amena immanquablement Saint Hilaire à revoir son plan. Il ne pouvait plus se rendre en catimini au rendez-vous fixé par le fuyard. Il décida donc de partager son secret avec les deux policiers pour préserver sa sécurité. Léognan protesta :

  – Vous ne pouvez pas partir seul dans la planque du Grec ! C'est trop dangereux ! Laissez-nous au moins venir en deuxième rideau pour protéger vos arrières. C'est un coupe-gorge ! s'exclama-t-il sincèrement.

  – Hors de question ! rétorqua le commissaire. Caramany vous repérerait immédiatement et il penserait à un traquenard. Je ne veux surtout pas le voir disparaître dans la nature. Je jugerai sur place de sa bonne ou de sa mauvaise foi dans cette affaire. Je dois y être dans moins de trois quarts d'heure et je veux que vous gardiez le silence sur cette in
formation.

  A la mine peu convaincue de son adjoint, et au regard hagard de Sarras, Saint Hilaire insista :

  – Vous m'avez entendu ?

  Le gardien de la paix acquiesça de la tête.

  – Si, dans deux heures, je ne suis pas réapparu, alors vous pourrez vous pointer chez le Grec. Mais en attendant, je veux que vous restiez bien sagement au commissariat comme si de rien n'était ! Et surtout, bouche cousue ! intima-t-il en joignant le geste à la parole.

  Le téléphone sonna. Claire au bout du fil alerta son patron de l'arrivée du commissaire divisionnaire Henri Pupillin en personne. A peine eut-il le temps de raccrocher le combiné que son supérieur ouvrait déjà la porte de son bureau. Les deux collaborateurs de Saint Hilaire se redressèrent et saluèrent respectueusement l'autorité. Pupillin n'y prêta aucune attention et demanda fermement à s'entretenir en privé avec son ami. Les deux sbires disparurent sans demander plus d'explications. Henri Pupillin les regarda sortir du bureau et s'assura que la porte était bien close. Le visage fermé et l'air grave de son supérieur frappèrent Saint Hilaire. Henri Pupillin ne put s'asseoir.

  – Tu es difficile à trouver, commença-t-il par dire.

  – Je suis à mon poste ! répondit Saint Hilaire malicieusement, ce sont des hommes à toi qui m'attendaient à la gare ?

  – A Wuenheim ! lâcha Pupillin.

  – Je m'en doutais. Il veut me cuisiner pour que je lui serve mon adjoint sur un plateau ?

  – Non, c'est pour une toute autre raison, Pierre ! dit gravement son collègue. Et je viens pour le même motif.

  Chapitre Huit

  Le gardien de la paix Sarras s'était installé aux côtés de Claire à l'accueil. Discutant de tout et de rien, ils attendaient avec impatience la sortie du chef de la 2e division. Le major Léognan, lui, était descendu à la brasserie pour se rouler une cigarette et ingurgiter un blanc sec pour se remettre de toutes ces émotions. A leur grande surprise, ce fut le commissaire Saint Hilaire qui jaillit de la porte de son bureau pour descendre précipitamment les escaliers sans même les regarder. Il était sorti du commissariat alors que la pluie reprenait de plus belle. L'homme et la femme s'observèrent un instant, attendant un éventuel retour de Saint Hilaire ou la sortie d'Henri Pupillin. Ne voyant rien se produire et la curiosité aidant, Sarras s'avança au fond du hall pour regarder dans l'entrebâillement de la porte du bureau de son patron. Debout, semblant faire les cent pas, le commissaire Pupillin paraissait attendre impatiemment le retour de Saint Hilaire. Le gardien de la paix, ne comprenant pas la situation, se risqua à entrer dans le bureau.

  – Monsieur le commissaire divisionnaire, commença-t-il, voulez-vous que je vous raccompagne ?

  Henri Pupillin posa son regard ombrageux sur le fonctionnaire.

  – Ah ! C'est vous, Sarras ! dit-il en sortant de ses pensées, non, non, merci. Je vais rester un peu ici avec le commissaire Saint Hilaire. Je pense qu'il a besoin de tout notre soutien dans un moment pareil.

  Au regard éberlué de son interlocuteur, le commissaire comprit que la nouvelle n'était pas encore arrivée jusqu'ici :

  – Sa femme a été retrouvée morte !

  Une nouvelle fois, le gardien de la paix se posa sur l'une des chaises. Il gratta son crâne rasé, abasourdi par cette information.

  – Suicide ? interrogea-t-il.

  Pupillin fit quelques pas vers la fenêtre puis se retourna pour faire face au fonctionnaire de police.

  – C'est la femme retrouvée dans la cave de Caramany...

  Sarras mit sa main gauche sur la bouche. Le ciel lui tombait dessus. Un regard rapide sur le bureau confirma ses pires soupçons. Il bondit vers Pupillin, oubliant le protocole.

  – Mais où est parti le commissaire ? rugit-il.

  – Il m'a demandé de l'attendre ici. Il est allé se rafraîchir le visage dans les toilettes, lâcha le commissaire divisionnaire, interloqué par la question du gardien de la paix.

  – Mon dieu !, dit Sarras, il est parti le tuer !

  ***

  Le costume de Saint Hilaire ne résista pas longtemps aux averses qui continuaient de déferler sur Paris. L'excuse donnée à son ami Henri Pupillin pour s'enfuir du commissariat ne lui avait pas permis de prendre son manteau. Il avait choisi la marche à pied pour rejoindre au plus vite son rendez-vous. Il connaissait parfaitement bien son quartier, et savait qu'il n'aurait que quelques minutes d'avance sur ses poursuivants. L'eau ruisselait sur sa colonne vertébrale et coulait dans son pantalon sans que cela ne lui fasse aucun effet. Allant de surprise en surprise, Saint Hilaire n'avait pas supporté cette dernière nouvelle. Il revoyait inlassablement le visage triste de son ami Henri Pupillin lui répéter ces mots assassins : « La femme poignardée par Caramany, c'est Marthe ! » La phrase était simple et explicite. Il n'y avait aucune fioriture de la part du commissaire divisionnaire qui savait comme il est difficile d'annoncer un décès. Les « pourquoi », les « comment » qu'il avait éructés n'avaient pas trouvé de réponse dans la bouche de son ami. Marthe était morte. Comment était-ce possible ? Lui qui, quelques heures plus tôt, avait repris espoir grâce à cette inconnue rencontrée dans le Florence-Paris. Avait-il tout simplement rêvé ? Avait-il été victime du syndrome de Stendhal ? Monica Scalzo existait-elle réellement ? L'homme avait abandonné la cuirasse du commissaire réfléchi et calme. Il était redevenu le mari. Non ! Le veuf ! Prêt à venger la mort de sa pauvre épouse. Ses pas décidés étaient longs et réguliers. Les passants s'écartaient sur son passage. Il avançait machinalement comme un automate. Dans sa manche droite, il dissimulait avec la main le couteau qui avait servi à assassiner sa femme. Caramany allait périr par l'arme qu'il avait utilisée. Saint Hilaire était bien décidé à en finir avec son adjoint. Le lieutenant lui tendait un piège. Il comptait bien déjouer ses plans. Mais surtout il espérait obtenir des réponses aux raisons de son geste, avant de mettre à exécution sa propre sentence. Qu'avait-il fait à Caramany pour qu'il s'attaque ainsi à sa famille ? Marthe connaissait-elle le lieutenant ? Et que venait faire Monica Scalzo dans ce puzzle macabre ? Saint Hilaire était bien résolu à en découdre lorsqu'il aperçut le vieil immeuble à l'entrée de la rue de Budapest.

  Il passa le porche qui donnait accès à la voie encombrée de voitures de livraison. De nombreuses prostituées démarchaient déjà les touristes perdus de la gare du Nord. La planque du Grec était un immense squat où fumeurs de crack, putes, clandestins ou bobos à la dérive cohabitaient dans une déchéance totale. C'est lui qui avait donné ce surnom au bâtiment. Cela remontait à une quinzaine d'années maintenant. A cette époque, le Grec était le parrain de la mafia locale. Il régnait en maître absolu sur les bars à hôtesses, les sex-shops et les théâtres pornos. Le voyou, qui n'avait peur de personne, avait fait crever les pneus de la voiture du commissaire lorsque ce dernier s'était mis à enquêter sur ses activités. Saint Hilaire qui n'était pas du genre à reculer à la première menace, avait su accumuler suffisamment de preuves sur les malversations illicites du mafieux pour l'envoyer croupir en prison pendant une bonne vingtaine d'années. Acculé et se sachant recherché, le Grec avait disparu de la circulation. Un travesti qui était redevable au commissaire, lui balança cette cache comme étant le repère du fuyard. Le Grec refusa de se rendre lors de son interpellation, tirant à plusieurs reprises sur les fonctionnaires de police qui venaient le chercher. Saint Hilaire, en embuscade derrière une porte, avait dû faire usage de son arme. Ses deux coups de feu atteignirent leur cible. Le Grec était mort. Depuis, l'immeuble était devenu comme un symbole, un mausolée pour tous les truands de la capitale. L'esprit du Grec hantait les pièces de l'immeuble et certains fumeurs de haschich disaient même l'avoir vu flotter dans les airs.

  Devant l'entrée, Maria, prostituée portugaise dont le poids devait avoisiner les deux cents kilos, trônait sur une chaise. D'ordinaire causant, Saint Hilaire ne lui fit qu'un signe amical de la tête en poussant la porte en bois de l'immeuble. Abritée sous un parapluie, Maria était la mémoire vivante de la rue. Elle était la plus âgée et sûrement
la plus défraîchie de toutes les filles du quartier. Son physique ne lui permettait plus que de faire des passes à des détraqués sexuels ou à de jeunes étudiants pariant sur leurs capacités à faire l'amour à une telle monstruosité de la nature. Mais cela ne l'effrayait pas pour autant. Elle tapinait depuis plus de quarante ans, et montrait à qui voulait l'entendre ses photos de jeune première au temps de l'après-guerre. Elle était jolie à cette époque-là et les hommes qui la désiraient lui offraient des liasses de billets pour obtenir ses faveurs. Mais les années étaient passées sur elle comme sur sa rue. Comme ce décor, petit à petit, elle se dégradait.

  – Fais attention, commissaire ! dit-elle avec sa voie rauque, son esprit rôde encore !

  Saint Hilaire ne se retourna même pas. La porte se referma automatiquement et plongea le commissaire dans la pénombre. Il connaissait les lieux comme le fond de sa poche, même si cela faisait longtemps qu'il n'avait pas remis les pieds dans cette fosse à exclus, mais il pouvait encore se guider sans lumière. Il gravit les escaliers pour rejoindre le deuxième étage où le Grec avait perdu la vie, quinze ans auparavant. Sa main droite permit au couteau de glisser de la manche pour que sa paume parvienne à s'en saisir. Maintenant il pouvait agir à découvert. Le commissaire bloqua un instant sa montée lorsque des gémissements lui parvinrent du premier palier. Il analysa la situation et extirpa sa carte de police avec son autre main. Il reprit son ascension pour découvrir à l'étage une prostituée africaine, appuyée contre la rambarde, en train de s'accoupler avec un client en costume cravate. Le pantalon baissé, l'homme sursauta de peur en voyant l'insigne de police pointé par le commissaire. La jeune femme, elle, recula à la vue du couteau que tenait Saint Hilaire. Il leur fit un geste sec de déguerpir en silence. L'Africaine n'attendit pas que le « cadre » ait remonté son pantalon pour dévaler les escaliers. Le commissaire, désireux de ne pas perdre de temps, continua sa progression. Il atteignit le deuxième étage rapidement. Quatre couloirs éclairés uniquement par les pièces dépourvues de volet s'offraient à lui. Plusieurs gouttières inondaient le parquet moisi qui avait fait jadis la renommée de menuisiers hors pair. Pierre Saint Hilaire s'avança sans aucune hésitation dans le couloir le plus sombre qui zigzaguait au gré des anciens appartements. A chaque entrée, il se collait contre le mur. Il pointait sa tête dans l'entrebâillement des portes lorsqu'il en restait, pour s'assurer que personne ne l'attendait. Il enjamba un homme défoncé à un cocktail de drogues illicites, qui croupissait dans son vomi. Le bruit de la pluie était assourdissant. Les planchers ruisselaient des amas d'eau qui traversaient les quelques tuiles encore accrochées à la charpente du toit. Des tags multicolores et incompréhensibles décoraient tristement le couloir où s'enfonçait le commissaire. Enfin, il reconnut l'entrée de la pièce où il s'était protégé des tirs du Grec avant de riposter par deux fois. Il stoppa sa marche. Son dernier pas fit grincer le parquet. Aucun bruit ne parvenait de l'intérieur. Il regarda rapidement sa montre. Il était l'heure exacte du rendez-vous.

 

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