Book Read Free

Mon fiancé, sa mère et moi

Page 13

by Brenda Janowitz


  — Ne vous inquiétez pas, Moishe, nous n’irons voir personne d’autre. C’est seulement que nous en avons assez pour aujourd’hui.

  — Brooke…

  — Je vous le promets. Nous n’irons chez personne d’autre !

  Vanessa prend un air entendu du genre : « Après tout le temps que vous nous avez consacré et tous les bons conseils que vous nous avez donnés, on ne va tout de même pas aller ailleurs ! »

  — Les boucles, dit-il en tendant la main.

  Vanessa porte la main à ses oreilles et, se rendant compte qu’elles y sont toujours, les ôte le plus vite possible.

  — Je les prends, j’allais les payer!

  Je vous le demande, qu’y a-t-il de mieux dans la vie qu’un burger frites avec un Coca vanille ? Rien de tel que ce doux et parfait mélange de gras et de salé pour tout arranger. Ça, c’est l’Amérique !

  Vanessa et moi sommes assises dans un box au Burger Heaven. J’ai réussi à lui faire oublier son divorce. Nous parlons de tous les rendez-vous que sa mère a organisés pour elle – cinq en quatre semaines –, alors que son divorce n’est pas encore prononcé. Est-ce parce que Millie croit que, à force de rencontrer d’autres hommes, Vanessa reviendra vers son mari ou bien est-ce parce qu’elle veut qu’elle se remarie le plus vite possible ? Les paris sont ouverts.

  — Alors, il a dit : « J’ai très envie de te raccompagner chez toi en taxi », alors que nous étions à seulement deux blocs de chez lui et à plus de vingt de chez moi !

  — C’est trop mignon ! dis-je en prenant une gorgée de Coca vanille.

  Sortir à Manhattan peut parfois réserver de bonnes surprises comme celle-là. En général, le geste le plus galant qu’une fille puisse attendre d’un homme, c’est qu’il hèle un taxi pour qu’elle rentre chez elle à la fin de la soirée. Quand un homme propose de vous ramener en taxi chez vous, c’est qu’il a l’étoffe d’un bon mari.

  Enfin, c’est mon avis.

  — Non, ce n’est pas du tout mignon, corrige-t-elle en plongeant une frite dans le ketchup. Il avait choisi un restau à deux blocs seulement de chez lui. C’est complètement nul.

  C’est à ce genre de réflexion que l’on s’aperçoit que Vanessa n’est jamais sortie avec un homme à New York. C’est tellement difficile qu’on est obligé d’accepter de diminuer ses prétentions et de revoir ses critères à la baisse. Elle a rencontré son mari dès son premier jour à l’université de Howard et ils se sont fiancés en dernière année. Jusqu’à présent, elle n’a pas passé une journée de sa vie d’adulte sans son mari. Elle ne sait rien de l’attente interminable avant un premier rendez-vous, de l’ennui que l’on ressent quand cela se passe mal, de l’espoir que l’on met dans un blind date, de la déception et de la gêne. Elle ne s’est jamais demandé, nuit après nuit, si un jour elle trouverait l’homme de sa vie ou si son destin serait de finir sa vie toute seule.

  Jusqu’à aujourd’hui.

  Alors, maintenant, à trente ans, elle fait – pour la première fois – ce que je faisais moi-même quand j’en avais vingt. Je me demande s’il vaut mieux avoir ramé pendant toutes ces années pour finalement trouver l’amour, ou bien avoir trouvé l’amour très jeune, l’avoir perdu et avoir tout à recommencer, comme Vanessa. C’est un peu comme ce jeu morbide auquel on joue parfois, quand on se demande s’il vaut mieux mourir jeune dans un accident de voiture sans savoir qu’il allait se produire ou bien mourir après une longue maladie qui vous permet de dire au revoir à tous ceux que vous aimez et de partir en paix.

  Est-ce que c’est mauvais signe que je mette mon mariage et la mort sur le même plan ?

  Quoi qu’il en soit, Vanessa vient d’entrer sur la grande scène de la drague new-yorkaise et apparemment c’est un choc culturel. Elle vivait avec Marcus, un beau et charmant chirurgien qui s’est toujours conduit en parfait gentleman. Sauf, évidemment, le jour où il est sorti avec une autre femme alors qu’il était marié avec Vanessa, précipitant ainsi leur divorce.

  — C’est très galant de sa part de t’avoir ramenée chez toi en taxi, dis-je en croquant un cornichon, et c’est plutôt rare. D’habitude, on trouve que le type est génial quand il appelle un taxi. Alors monter dans le taxi avec toi et faire le trajet avec toi ! Appelle le New York Times parce que cela mérite la une ! Oh, je comprends, tu as eu peur qu’il te demande de monter chez toi ?

  J’ai le temps de plonger une autre frite dans le ketchup avant qu’elle ne réponde.

  — Non, tu n’y es pas, il ne m’a pas du tout raccompagnée chez moi.

  — Tu as bien dit qu’il aimerait le faire?

  — Oui.

  — Il y a un truc que je ne comprends pas.

  — Il a dit qu’il aimerait me raccompagner chez moi, dit-elle en prenant tout son temps pour manger un morceau de son burger et boire une gorgée de Coca.

  — C’est pourquoi j’ai dit, c’est trop mignon!

  — Cela aurait été mignon, s’il n’avait ajouté : « Mais je ne le ferai pas. »

  — Pardon?

  — Oui, tu as bien entendu. Il a dit : « Mais je ne le ferai pas. »

  — Il ne l’a pas fait…

  Muette de saisissement et trop choquée pour finir ma phrase, je lui pique une frite que je mange aussitôt, oubliant même de la plonger dans le ketchup.

  — Charmant…

  — Mais ce n’est pas pire que le type qui m’a envoyé un mail le lendemain du blind date où j’avais fait sa connaissance, me disant : « Je sais que tu n’es pas sortie en tant que célibataire depuis longtemps, voici quelques conseils… »

  — Je croyais qu’on avait décidé de ne plus jamais parler de celui-là ! En tout cas, tu ne devrais plus y penser.

  — S’il y a une chose que j’ai apprise avec tous ces rendez-vous ratés, me dit Vanessa, c’est qu’on ne peut pas oublier.

  — Alors, qu’as-tu fait finalement?

  — Je lui ai dit bonsoir et j’ai sauté dans le taxi suivant. N’est-ce pas ce que tu aurais fait?

  — Si, mais j’aurais aussi appelé ma mère pour l’engueuler de m’avoir piégée en me faisant rencontrer un salaud pareil, j’aurais pleuré parce que ma vie est trop déprimante puis j’aurais descendu un litre de Häagen Dazs allongée sur mon canapé devant Blind Date.

  — Oh, c’est exactement ce que j’ai fait.

  Ce que je pense intérieurement, et que je me garde de dire à haute voix, c’est que je suis heureuse d’avoir Jack.

  Enfin, ce n’était pas mon intention de le dire à haute voix, mais est-ce l’effet du sucre contenu dans les deux Coca vanille, ma réflexion m’échappe. Quand j’étais célibataire, je détestais ces femmes qui me sortaient ce genre de phrase. Comment ai-je pu faire cela à Vanessa ?

  — Oh, mais je ne veux pas dire qu’il est parfait! dis-je maladroitement pour essayer de me rattraper.

  — Ne te sens pas obligée de me ménager, dit Vanessa, je suis capable de me réjouir pour toi, même si je suis en plein divorce.

  — Tu sais, il m’a tout de même assignée dans une énorme requête en découverte !

  — C’est normal, dit-elle, tu aurais dû envoyer balader tout ça pour aller chercher ta robe de mariée. Je me suis retrouvée toute seule avec ta mère trois soirées de suite !

  — Excuse-moi.

  — Bizarrement, je me suis bien amusée avec Mimi, elle m’a donné de bons conseils.

  — Je suis contente que tu te sois bien amusée avec maman. Enfin, je crois.

  — Ça aurait été beaucoup plus amusant avec toi, arrête de bosser autant! dit-elle en buvant les dernières gouttes de son Coca vanille.

  Le serveur s’approche de notre table pour la resservir.

  — C’est ce que je vais faire. Tu seras ravie d’apprendre que je lui ai rendu la monnaie de sa pièce.

  — Est-ce que par hasard tu t’apprêterais à me raconter une histoire cochonne ? demande Vanessa en se penchant vers moi, parce que j’ai la force de parler de tes préparatifs de mariage mais pas celle d’entendre une histoire de sexe.

&nbs
p; — Voici votre Coca vanille, dit le serveur en lui tendant son verre avec un regard appuyé.

  Il attend un instant, visiblement intéressé par mon histoire cochonne.

  — Non, je l’ai assigné à mon tour.

  — Pourquoi as-tu fait une chose pareille ? Tu n’as pas assez de travail pour t’en rajouter encore ?

  — Non, je fais exactement ce que j’aurais fait, face à n’importe quel adversaire.

  Vanessa repose son burger et me regarde en silence, les yeux brillant d’indignation. Bon, je n’aurais peut-être pas fait cela en temps normal. Normalement, j’aurais essayé de transiger et de facturer le moins d’heures à mon client. Donc travailler le moins possible.

  — Réalises-tu que Jack va devoir passer encore plus de temps avec Miranda Foxley, la voleuse de mari numéro un ? Est-ce que tu te rends compte des conséquences de ta décision ?

  Non, je n’avais pas réalisé clairement les conséquences de ma décision, mais maintenant je ne pense plus qu’à cela et j’échafaude déjà un plan.

  — Il n’y a qu’une seule chose à faire, dis-je à Vanessa en la regardant droit dans les yeux.

  — Pourquoi est-ce que je sens que je fais partie de ton plan? gémit-elle. S’il te plaît, ne me demande rien qui risque de me faire rayer du barreau!

  — Tu dois espionner Jack et Miranda ! Juste pour vérifier qu’il n’y a rien de louche entre eux.

  — De louche ?

  — Tu vois ce que je veux dire. Vois si tout se passe normalement entre eux, mais surtout ne te fais pas prendre.

  Pourquoi est-ce que les filles bien doivent toujours se tenir sur leurs gardes et se méfier des voleuses de mari? C’est exactement ce genre de fille qui a détruit ma précédente relation sentimentale et je vous promets que je ne vais pas laisser la même chose se reproduire. Peut-être que si Jennifer Aniston avait demandé à Courtney Cox d’espionner Brad, ils seraient encore mariés et heureux à l’heure actuelle.

  — Cela ne me paraît pas très conforme à l’éthique, proteste Vanessa en fronçant les sourcils au-dessus de son Coca vanille.

  — Est-ce que tu tiens à ton rôle de dame d’honneur ?

  — Demoiselle, répond-elle au moment où le serveur dépose l’addition sur notre table.

  — Peu importe. Alors ?

  — J’ai déjà assisté à pas mal de mariages auparavant, Brooke, et aucune des fonctions de la demoiselle d’honneur n’implique d’espionner le marié.

  — Je te remercie de le faire pour moi.

  — Mais je n’ai pas encore dit que j’acceptais !

  — C’est tout comme, dis-je en prenant l’addition.

  Rubrique des potins

  On a vu…

  Confirmation.

  Halle Berry sera bien la prochaine célébrité à porter une création de Monique de Vouvray lors de son mariage. On a vu, en effet, Halle Berry faire du shopping avec une jeune femme brune inconnue, dans la 47e Rue, parler mariage, échanger des histoires coquines et, bien entendu, parler de la robe de Monique.

  L’attachée de presse de Berry dément toute rumeur de mariage et précise qu’il n’y a même pas de fiançailles annoncées, mais d’après nos sources, on l’aurait vue à l’Empire du diamant, en grande conversation avec son propriétaire, Moishe, avant de déjeuner tardivement au Burger Heaven.

  15

  — Ce genre de choses ne relève pas habituellement du domaine d’un photographe de mariage, déclare Melissa en se frottant le front.

  C’est Vanessa qui m’a recommandé Melissa Kraut. A l’époque où elles se sont rencontrées, Vanessa était bénévole au sein de l’Association des avocats des arts et Melissa débutait dans un tout petit studio près de Central Park, où elle travaillait avec un appareil photo que ses parents lui avaient offert. Melissa tirait le diable par la queue et avait fait appel à Vanessa pour protéger ses droits en matière de propriété intellectuelle. A l’époque, c’était une artiste famélique. Aujourd’hui, elle est reconnue en tant que photographe de mariage et vit très confortablement de son métier. Elle a son propre studio en plein cœur de Chelsea et une équipe qu’elle fait marcher à la baguette. Désormais, Vanessa n’est plus son avocate, mais elles sont restées amies. En fait, Melissa a même présenté quelqu’un hier à Vanessa, ce qui n’a pas été franchement une réussite puisque, à entendre Vanessa, « il ne lui arrivait même pas à la hauteur des seins », mais c’était tout de même sympa de sa part. C’est l’intention qui compte.

  Je voudrais que Melissa réalise les photos de mon mariage et qu’elle soit tellement inspirée que je devienne son modèle préféré, carrément sa muse. Mon rêve serait qu’elle prenne de plus en plus de photos de moi et qu’elle organise une exposition dans la galerie d’art de la mère de Vanessa et que je devienne une star internationale, le premier top international d’un mètre soixante-cinq.

  Comment ? Et pourquoi pas ? On voit souvent des mannequins de petite taille dans America’s Next Top Model.

  — Il faut que vous pensiez en termes de photos d’action, dis-je, comme un film d’action. Ce seraient des photos du fiancé sur le terrain en quelque sorte.

  — Je le répète, votre demande dépasse les limites de ce que fait habituellement un photographe de mariage. Je suis sûre que vous pouvez le comprendre, insiste Melissa.

  Je réalise soudain que je suis tellement penchée en avant, que je suis presque allongée sur le bureau de Melissa, qui, elle-même, se tient le plus en arrière possible sur son fauteuil au point qu’elle risque à tout instant de tomber en arrière.

  — Mieux connaître votre sujet? dis-je d’un air offusqué en me rasseyant lentement, en feignant l’innocence, vous estimez que ce serait dépasser les limites de mieux connaître votre sujet?

  — Ce que vous me demandez, c’est d’espionner votre fiancé pour vous.

  — « Espionner » est un bien grand mot, dis-je dans un murmure, vous ne croyez pas ?

  — Je crois que vous feriez mieux de partir.

  — Ce genre de choses ne relève habituellement pas du domaine d’un photographe de mariage, me dit Jay.

  Jay est un ami d’ami d’ami d’ami de mon père, installé dans le Queens et qui a promis de me faire une vraie ristourne sur les photos et le film de mon mariage. Nous nous sommes donné rendez-vous dans une pâtisserie à Lefferts Boulevard et, à la place du cappuccino décaféiné allégé que je m’étais promis à moi-même, je craque pour un cappuccino normal accompagné d’un cannoli aux pépites de chocolat. Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas vraiment ma faute. J’ai besoin d’un peu de réconfort, d’abord, la photographe avec qui j’avais rendez-vous juste avant vient tout de même de me jeter à la porte de son studio – voir plus haut. Ensuite mon père m’a dit qu’il y avait un risque infime de connexion entre Jay et la mafia, donc qu’il était plus prudent de ne pas prononcer le mot « mafia » en sa présence.

  Je me répète en boucle : « ne pas dire mafia, ne pas dire mafia… »

  — De toute façon, a ajouté mon père, même si c’est le cas, rassure-toi, Jay n’est sûrement pas un gros bonnet, au pire ce n’est qu’un homme de main.

  Note pour moi-même : louer d’urgence la première saison des Sopranos pour voir exactement ce qu’est un homme de main.

  — Ce serait un peu comme des séquences en arrière-plan du film principal lui-même, dis-je en faisant mon maximum pour ne pas paraître désespérée. Ce serait très amusant!

  Oh, mon Dieu, j’ai dit « très amusant » à un type qui a peut-être des connexions avec la mafia!

  — Très amusant? répète-t-il, après avoir bu une gorgée de son expresso.

  C’est fichu !

  — Heu, oui, enfin, vous savez, amusant, assez drôle, je veux dire que… c’est un moyen comme un autre de mieux nous connaître avant le mariage.

  — Je n’ai encore jamais filmé un futur marié dans son travail pour faire des images en arrière-plan, me dit Jay. Par contre, j’ai déjà fait des filatures et des surveillances de personnes. Alors si c’est ce q
ue vous recherchez…

  — Filature ? Surveillance ? dis-je, l’air choqué, mais qui parle de surveillance ? Je n’ai pas du tout besoin de surveiller mon fiancé ! Non, c’est seulement que Jack adore son job et il me semble que c’est une bonne idée de le filmer dans son milieu naturel.

  — Comme vous voulez, peu importe le nom que vous lui donnez. Où travaille-t-il ?

  — Chez Gilson, Hecht et Trattner.

  — Tiens! dit-il en finissant son expresso, n’est-ce pas la firme qui représente Jean-Luc Renault ?

  Je ne m’attendais pas à ce genre de question de la part de quelqu’un comme Jay, qui n’a rien d’une fashion victim.

  — Je crois, dis-je, pourquoi? Vous vous intéressez à la mode ?

  — Est-ce qu’ils s’occupent du divorce de Monique et de Jean-Luc ? Hé, attention ! je ne suis pas un paparazzi, ne me prenez pas pour un de ces fouilleurs de poubelles, mais je vous garantis que les détails croustillants sur leur divorce vont se vendre une fortune.

  — Non, ils ne vont pas divorcer, dis-je protégeant toujours farouchement le secret professionnel.

  — Hé, les rumeurs disent pourtant le contraire !

  — Eh bien, ce n’est pas le cas, dis-je en pliant ma serviette en papier en deux puis en quatre.

  — Comment le savez-vous ?

  — Je le sais, c’est tout. Alors, dis-je en le regardant par en dessous, est-ce que vous allez faire le film de mon mariage ?

  Jay prend tout son temps pour répondre. Il jette un coup d’œil au client qui vient d’entrer dans la pâtisserie, puis, bien qu’il ne mange rien, il prend un petit cure-dent, le fiche entre ses lèvres et le fait passer de l’autre côté de sa bouche avec sa langue en réfléchissant.

  — C’est bon, dit-il.

  — Super!

  — On commencera par le bureau de votre fiancé.

  — Super, dis-je en mordant dans mon cannoli. Tout de suite ?

  — Inutile de remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même, non ? J’ai ma caméra dans la voiture, je vous emmène?

 

‹ Prev