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Sexe, Meurtres et Cappuccino

Page 21

by Kyra Davis


  — Vous pouvez préciser ?

  — Ma mère adorait être Mme Tolsky. Le prestige, les invitations, l’argent… enfin, les avantages du job, quoi. Mon père était ravi d’avoir une femme. Pas n’importe laquelle : la mère de son enfant. Vous connaissez beaucoup d’hommes encore mariés à la mère de leurs enfants adultes, vous ?

  — Eh bien…

  — Ici, ils se comptent sur les doigts d’une main. Comme vous le voyez, ils appartenaient à un club très fermé. Une élite, en quelque sorte.

  — J’ai entendu parler de leur histoire. Votre père appartenait au Russian Circus et votre mère, encore toute jeune à l’époque, l’a aidé à passer à l’Ouest…

  — Je vous en prie. Si j’entends encore une fois cette histoire, je vais pleurer.

  Je ravalai la suite de mes paroles. Je n’étais pas d’humeur à supporter les larmes de Mlle Tolsky. Quoique… si je giflais cette tête à claques, peut-être…

  Elle relâcha sa balle et la regarda retrouver sa forme sphérique.

  — Les contes de fées n’existent que dans les films, le mariage de mes parents en est la meilleure preuve. Pas de passion, pas d’intimité… C’est un miracle que je sois venue au monde. Cela dit, les mariages de raison sont souvent plus solides que les mariages d’amour. Ils sont basés sur le bon sens, et ma mère, à sa façon, en a à revendre. Pourquoi aurait-elle mis en danger une existence luxueuse sous prétexte que son mari avait une liaison secrète ?

  — Il était vraiment discret ?

  Elle haussa les épaules d’un air maussade.

  — Tellement que je n’ai jamais su de qui il s’agissait.

  — Alors comment en êtes-vous si sûre ?

  — C’est ma mère qui me l’a dit. De plus, depuis que mon père est mort, plusieurs personnes de son entourage m’ont laissé entendre qu’elles se doutaient de quelque chose, bien que personne ne reconnaisse l’avoir vu avec quelqu’un d’autre. Plus j’y pense, plus je m’étonne que ma mère ait été au courant.

  — Sauf si on l’en a informée volontairement, dans le but de briser leur couple, dis-je, songeuse… Vous pensez qu’elle accepterait de répondre à mes questions ?

  — Non.

  — Même si vous le lui demandiez de ma part ?

  — Nous ne nous parlons plus.

  Je n’en revenais pas. A côté de la famille Tolsky, le ranch des Ewing était un paradis d’amour et de solidarité !

  — Shannon, avez-vous une preuve qu’il s’agit bien d’un meurtre ? Votre intime conviction ne suffit pas.

  Elle laissa échapper un soupir de lassitude. Mon intuition me souffla qu’elle n’allait pas tarder à mettre fin à notre entretien. Il fallait que je me dépêche de lui arracher plus d’informations que le peu qu’elle me livrait, manifestement à contrecœur…

  — A force d’insister, j’ai obtenu qu’on pratique une autopsie. Il avait un taux de 0,24 g d’alcool par litre dans le sang et son tube digestif contenait une grande quantité de comprimés de valium.

  — Pas étonnant pour un alcoolique.

  — Oui, mais il ne touchait pas aux médicaments.

  — Sauf s’il avait effectivement l’intention de se donner la mort. Quand on s’apprête à s’ouvrir les veines, je suppose qu’on préfère être dans les vapes ?

  — Vous ne comprenez pas. Mon père détestait les médicaments. Même quand il s’est cassé le pied il y a quelques années, il a refusé de prendre des antalgiques. Il n’aurait pas avalé un comprimé d’aspirine, mais il pouvait boire six vodkas d’affilée.

  — Personne n’est parfait…

  Je cherchai une position plus confortable dans mon fauteuil.

  — Pour être franche, plus nous en discutons, plus la thèse du suicide me paraît plausible…

  — Vous avez vu Un silence de mort ?

  — Oui, mais…

  — La femme de Scott Reynold drogue celui-ci, l’installe dans un bain avant qu’il ne perde conscience, ouvre ses poignets et le laisse mourir. Ça ne vous rappelle rien ?

  — Si je me souviens bien, elle a recours à une drogue particulièrement forte.

  — Une demi-bouteille de vodka et huit comprimés de valium, vous appelez ça comment ? Un en-cas diététique ? Et vous voudriez me faire croire qu’il s’est fait tout seul deux lignes parfaitement droites sur chaque poignet ? Sacrée performance pour un homme qui ne devait pas être capable de tenir debout !

  Je m’absorbai quelques instants dans mes pensées. Shannon était une insupportable tête à claques, mais elle n’était pas idiote.

  — Qu’en dit la police ?

  — Tout ce qui leur importe, c’est d’en faire le moins possible. Pour eux, du moment qu’on a retrouvé une lettre, c’est qu’on a affaire à un suicide, point final.

  — Je suppose que vous n’avez pas gardé une copie de cette lettre ?

  — Vous voulez rire ? Ma chère maman ne l’aurait pas permis. C’est trop personnel.

  — Vous avez pu la lire, tout de même ?

  — Le lendemain de la mort de mon père, j’ai rempli mes obligations filiales et suis allée rendre une visite à sa veuve éplorée. La lettre était sur la table de nuit, je l’ai lue pendant que ma mère était à la salle de bains. Vous auriez dû voir dans quelle colère elle s’est mise en s’en apercevant ! Elle aurait dû être actrice, elle aurait des Golden Awards pour décorer toutes les pièces de sa maison !

  — Je vois… Vous n’avez pas d’autres indices qui pourraient m’aider ?

  — Non. Oh, si, attendez. Il y a de fortes chances que sa maîtresse vive à San Francisco.

  Aussitôt, je songeai aux fréquentes visites de Tolsky au Ritz. Puis une autre idée me vint à l’esprit.

  — Je croyais vous avoir déjà demandé si vous saviez quoi que ce soit à propos de cette liaison ?

  — Pas du tout. Vous vouliez juste savoir s’il avait été discret. Je vous ai parlé de cette histoire d’adultère de ma propre initiative. Si vous voulez jouer les détectives, il va falloir apprendre à poser les bonnes questions…

  Si Mark Baccon sortait un jour de prison, je me fis la promesse de lui organiser un blind date avec Shannon Tolsky. Ils formeraient un couple parfaitement assorti.

  Je me penchai sur le bureau et décochai à la fille de l’infortuné Tolsky mon sourire le plus artificiel.

  — Y a-t-il d’autres éléments que vous voulez me fournir de votre propre initiative ? Après tout, ce sont vos cinq millions qui sont en jeu.

  — Rien pour l’instant.

  — Par le plus grand hasard, auriez-vous le numéro de téléphone de madame votre mère ?

  — Elle ne vous dira rien.

  — Vous refusez de me le communiquer ?

  Shannon laissa échapper un soupir digne de l’Actor Studio et ouvrit pour la troisième fois son tiroir pour en sortir un bloc-notes, où elle inscrivit deux numéros de téléphone.

  — Le fixe et le portable, dit-elle en arrachant la page pour me la tendre.

  Puis, se ravisant, elle ajouta une adresse.

  — La boutique Chanel où elle a ses habitudes. Ils doivent recevoir un nouvel arrivage aujourd’hui, et avec un peu de chances, vous la trouverez là-bas. Vous savez à quoi elle ressemble ?

  — J’ai vu des photos d’elle.

  Hochant la tête, elle se leva, contourna le bureau et me donna le papier.

  — Je vais devoir abréger cet entretien, j’ai une réunion dans cinq minutes. Nous cherchons un angle d’attaque pour la promo du dernier film d’Alexis Tolsky, Nuit noire. Non pas que ce soit indispensable, notez. La situation de D.C. Smooth est assez médiatique en elle-même pour exciter l’intérêt du public pendant encore une dizaine d’années, mais…

  Je crus que mon cœur allait s’arrêter de battre.

  — D.C. Smooth ? Il a tourné un film pour vous ?

  — Quelques apparitions seulement, mais il crève l’écran, croyez-moi. Le film était déjà assez dérangeant en lui-même, alors vous pensez, maintenant que l’un des acteurs purge une peine de qu
inze ans pour meurtre… On aura la une de toute la presse !

  — Mais alors il… il a… attendez…

  Tout d’un coup, la tête me tournait. Shannon me dévisagea comme si j’étais soudain devenue folle. D’une certaine façon, c’était plutôt compréhensible. Les questions se bousculaient dans mon esprit, si vite que je n’avais pas le temps de les formuler.

  — Ecoutez, dit-elle, je suis désolée, mais je ne peux vraiment pas…

  — Vous êtes encore en contact avec lui ? demandai-je tout à trac.

  — Si vous êtes une admiratrice, n’insistez pas. Il ne parle pas à ses fans.

  — J’aime bien ce qu’il fait, mais là n’est pas la question.

  Je marquai une pause et repris, en essayant de rassembler mes idées :

  — J’ai des raisons de penser qu’il pourrait y avoir un lien entre la mort de votre père et celle de J.J. Money.

  — Vraiment ?

  Songeuse, Shannon fit tourner l’une de ses bagues autour de son doigt.

  — Pourquoi pas…, reprit-elle. J’avoue que c’est assez inattendu, mais comme je vous l’ai dit, je suis prête à tout essayer pour résoudre ce mystère. Je vais m’arranger pour vous obtenir un rendez-vous téléphonique avec D.C. Smooth. Je peux vous joindre chez vous ?

  Je me levai, emplie d’un nouvel espoir.

  — Bien sûr. J’ai donné mon numéro à votre secrétaire.

  — Parfait, dit Shannon en me raccompagnant jusqu’à la porte. Faites en sorte que vos découvertes soient de nature à faire changer d’avis la compagnie d’assurance.

  — Je n’ai pas d’autre priorité, assurai-je.

  — Dans ce cas, je ne vous retiens pas. Bon retour, et à un de ces jours.

  — Merci. Au fait… une dernière question. Est-ce que les noms de Jason Beck ou Mark Baccon vous disent quelque chose ?

  Elle secoua la tête d’un air désolé.

  — Rien du tout.

  — Et Anatoly Darinsky, à tout hasard ?

  A la mention de ce nom, je vis Shannon Tolsky froncer son petit nez retroussé.

  — Celui-là ? Ne m’en parlez pas !

  14

  Pourquoi faut il que les types sexy soient systématiquement des homos, des hommes mariés ou des assassins ?

  Sex, Drugs & Murder

  De saisissement, je lâchai la poignée de la porte.

  — Vous connaissez Anatoly Darinsky ?

  — Il me semble que c’est ce que je viens de vous dire.

  — Comment ?

  — Mon père l’a rencontré autrefois en Russie, quand ils étaient enfants. Il a été son mentor, en quelque sorte.

  — Ils se sont revus, aux USA ?

  — Pas beaucoup. Anatoly vivait à New York, mais quand mon père allait sur la côte Est, ils se retrouvaient, et Anatoly venait lui rendre visite environ une fois par an. Personnellement, je n’ai aucune affection pour le personnage. Il essaie de se faire passer pour un type intelligent et compétent, mais c’est un imbécile fini.

  Elle pétrit de plus belle sa balle de latex, visiblement furieuse.

  — Mon père m’a raconté qu’il l’avait connu en le protégeant d’une bande de gosses qui voulaient le rosser. Il fallait toujours qu’il sauve les chiens perdus sans collier ! Alors vous pensez, ce minable petit Juif qui… Oups ! Excusez-moi.

  Je savais que j’aurais dû me sentir insultée par le ton qu’avait pris Shannon pour prononcer le mot « Juif », mais je ne ressentais rien… Rien qu’une folle terreur rétrospective en songeant à Darinsky.

  Mes pires soupçons semblaient se confirmer…

  Voyant que je ne relançais pas la conversation, Shannon consulta ostensiblement sa montre.

  — Je suis navrée, mais je dois vous laisser.

  — Bien sûr.

  Je hochai la tête et quittai les bureaux des Productions Tolsky, tel un automate. Hagarde, désemparée, je traversai le parking pour rejoindre ma voiture de location.

  Darinsky connaissait Tolsky.

  Comment n’avais-je pas effectué le rapprochement plus tôt ? Mon instinct m’avait trompée de bout en bout ! Dire que j’avais partagé un taxi avec Anatoly, passé une journée entière en sa compagnie, que je l’avais embrassé ! J’avais même failli faire l’amour avec lui… quelques heures après qu’il avait massacré Barbie à la hache. Sans doute avait-il encore du sang sur les mains lorsqu’il m’avait prise dans ses bras ?

  Je serrai le poing à m’en faire mal et regardai, au bord des larmes, la marque rouge qu’avait imprimée la clé sur ma paume. Comment avais-je pu être aussi inconsciente ?

  J’étais sortie avec un tueur en série. Je frémis en y pensant. Dire que je m’étais permis de sermonner Dena ! Pourtant, j’étais loin du cliché : « Je l’ai fréquenté trois mois avant de m’apercevoir qu’il était marié »… Ce que je ne m’expliquais pas, c’était qu’il m’ait bernée aussi facilement. Dena — qui ne l’avait jamais vu, elle ! — avait compris.

  Ma stupeur se mua en colère, en rage. Le salaud ! Ah, il croyait m’avoir trompée ? Il allait voir à qui il avait affaire !

  Je mis le moteur en marche et partis à la recherche d’un Starbucks. J’allais trouver la preuve de sa culpabilité et envoyer ce monstre là où était sa place : derrière les barreaux de la prison la mieux gardée de Californie.

  Je garai ma voiture et, pendant que j’attendais mon tour pour commander mon cappuccino, je sortis mon portable et composai le numéro de la veuve d’Alex Tolsky. Comme l’avait prévu Shannon, je tombai directement sur sa messagerie. Je toussotai pour éclaircir ma voix pendant le bip. « Bonjour, je m’appelle Sophie Katz et j’ai travaillé avec votre mari. C’est Shannon qui m’a donné votre numéro. J’espérais que nous pourrions discuter quelques minutes, vous et moi. J’aimerais vous poser quelques questions. »

  Ayant laissé mon numéro de téléphone, je raccrochai. Il ne me restait plus qu’à espérer que mon ton évasif aurait éveillé la curiosité de Margaret Tolsky. Puis j’appelai Dena.

  — Plaisirs secrets à votre service ?

  — Dena, c’est moi.

  — Sophie ? Alors, comment trouves-tu l’Enfer ? Je veux dire, Los Angeles ?

  — Là où je suis, ça ressemble plus à un Starbucks qu’à l’Enfer.

  — Tu vois une différence, toi ?

  Dans d’autres circonstances, j’aurais pris la mouche. Cette fois-ci, pourtant, je ne relevai pas la pique de Dena.

  — Dena, je ne t’appelle pas pour disserter sur la vie en général et le café en particulier, mais pour te parler de Jason. Je pense qu’on peut le mettre hors de cause.

  — Je sais. Je te l’avais dit.

  — Comment, tu le sais ? Attends une minute.

  J’écartai l’appareil le temps de passer ma commande et repris ma conversation.

  — Bon, je t’écoute. Il y a du nouveau ?

  — Oui, j’ai procédé à quelques petites vérifications. Premièrement, Jason était à un rendez-vous quand Barbie a été assassinée, et il a aussi un solide alibi pour le jour de la mort de Tolsky. D’ailleurs, à ma connaissance, il n’a jamais mis les pieds à New York. Deuxième point, j’ai pu parler de nouveau aux parents de Barbie. Je me doutais que Mark Baccon était une ordure, mais à ce point… Quand je pense que je l’ai vu devant la boutique et que je ne savais pas qui il était ! Si Barbie aussi l’avait vu, elle ne…

  Sa voix mourut dans un souffle. Puis Dena se reprit.

  — Bref, je t’explique. Baccon était un des piliers d’un réseau de trafiquants de drogue de Las Vegas. Des tas de gens en vue venaient s’approvisionner chez lui. Ils ne le rencontraient pas toujours, mais il touchait systématiquement sa part du gâteau.

  — Et ensuite ?

  — Comment, et ensuite ? Enfin, Sophie ! C’est lui ! J.J. Money était accro à la drogue et allait souvent à Vegas. Tu te doutes bien que ce n’était pas pour jouer aux cartes ! Quant à Tolsky, je suis persuadée qu’il s’y est rendu lui aussi à plusieurs reprises — lui, ou certains de ses amis. Baccon était
en contact avec eux deux, c’est une évidence. C’est aussi lui qui a fait régner un climat de terreur autour de toi… La preuve, c’est que depuis qu’il a été arrêté, il ne t’est plus rien arrivé. Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?

  Je payai, pris mon gobelet sur le comptoir et trempai mes lèvres dans la mousse onctueuse qui nappait mon cappuccino. Tout comme le jour où j’avais rencontré Darinsky, elle avait un goût amer. Décidément, c’était une série noire pour le cappuccino…

  — Tu es prête à accuser Baccon d’être un tueur en série parce qu’il pourrait avoir fourni de la drogue à J.J. Money et à Alex Tolsky, à supposer que ce dernier soit effectivement allé à Las Vegas, ce dont on n’a aucune preuve ? C’est un peu rapide, non ?

  — Oh, faites excuse, Miss Marple ! Tu as mieux à proposer ?

  — Oui.

  Je fermai les yeux. Je m’apprêtais à formuler à voix haute les mots qui me hantaient depuis quelques minutes, et le courage me manquait.

  — Sophie ? Tu es là ?

  — Anatoly.

  — Pardon ?

  — Anatoly et Tolsky étaient amis. Je le sais de façon certaine.

  — Oh, non…

  Je fis tourner mon gobelet en un petit mouvement circulaire, l’esprit vide.

  — Tu comptes le dire à la police ?

  — Leur dire quoi, au juste ?

  — Evidemment, c’est assez flou… Tu as une idée pour creuser la question ?

  — En fait, Shannon Tolsky m’a fourni deux pistes. La première, c’est la vie privée de son père. Il paraît qu’il avait une liaison avec une femme qui, selon toute probabilité, vit à San Francisco.

  — Et comment comptes-tu la trouver ? En cherchant dans les pages jaunes à la rubrique « Maîtresses de cinéastes célèbres » ?

  — On peut vraisemblablement supposer qu’Anatoly la connaît.

  — Et si c’était une seule et même personne ?

  — Tu dis ?

  — Si Anatoly et cette fille ne faisaient qu’un ?

  — Dena !

  — Je suis très sérieuse ! J’ai vu des travestis sacrément convaincants, tu sais, en particulier des femmes qui…

 

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