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Sexe, Meurtres et Cappuccino

Page 22

by Kyra Davis


  — Stop. Anatoly est un mâle, de la tête aux pieds.

  — Et entre les jambes ?

  — Je t’en prie.

  — Tu as personnellement vérifié ?

  — Ecoute, on n’est pas ici pour parler de sexe mais de meurtre.

  — Erreur. On parle de sexe, de drogue et de meurtre. Ce n’est pas le titre de ton bouquin ?

  — Ce qu’il y a de bien, avec toi, c’est que je me sens soutenue.

  — Excuse-moi. Bon, alors il faut trouver une femme vivant à San Francisco qui était la maîtresse de Tolsky. Une bagatelle, si je peux dire ! Quoi d’autre ? Tu ne m’as pas parlé d’une seconde piste ?

  — D.C. Smooth a joué dans un film inédit produit par Tolsky.

  — Exact, j’ai lu ça quelque part. Il paraît qu’il tournait pendant son procès.

  — C’est tout de même dingue, non ? Il y a des gens qui peuvent aller se faire maquiller pour jouer dans un film entre deux comparutions au tribunal… Enfin, chacun son truc. J’ai demandé à Shannon de m’obtenir un rendez-vous téléphonique avec D.C. Smooth.

  — Tu fréquentes D.C. Smooth, maintenant ? C’est du propre ! Et le prochain sur ta liste, c’est Marylin Manson ? Ta pauvre mère va s’arracher les cheveux !

  — Tant pis pour elle, je n’ai pas le choix. Il faut mettre la main sur le meurtrier, et je n’ai que ces deux pistes. En espérant que l’une d’elles nous mènera à lui.

  — Ça va marcher, Sophie !

  Je bus le reste de mon cappuccino. Dena avait raison, ça allait marcher. Il le fallait. Sinon…

  — Il me reste quatre heures à tuer avant mon avion, dis-je. Tu as une idée de la meilleure façon de les employer ?

  — Si tu en profitais pour rencontrer la veuve Tolsky ? Elle connaît peut-être le nom de sa rivale ?

  — Je lui ai laissé un message, je…

  Tout en parlant, je laissai mon regard errer sur la file d’attente au comptoir. La dernière arrivée était une femme d’une cinquantaine d’années, très mince et très blonde, terriblement Los Angeles dans son tailleur blanc à la coupe impeccable… C’était curieux, il me semblait l’avoir déjà vue.

  — Sophie ? Je ne t’entends plus.

  — Excuse-moi, je viens de voir entrer une femme que je crois connaître, mais je ne me souviens plus où j’ai pu la croiser.

  — Décris-la.

  — Très classe, plus si jeune mais on voit qu’elle s’entretient, tellement mince qu’elle doit être anorexique, les cheveux… Oups ! Ça me revient ! Ça alors… C’est le genre de coïncidence que je n’oserais jamais placer dans un de mes romans !

  — Eh bien, j’écoute ? s’impatienta Dena.

  — Mme Tolsky en chair et en os. Surtout en os, d’ailleurs.

  — C’est incroyable ! Tu es sûre que c’est elle ?

  — Affirmatif. C’est ça, la magie du Starbucks. Riche ou pauvre, tout le monde vient s’y offrir une pause cappuccino. L’égalité sociale viendra par le café !

  — Sophie, il est temps de songer sérieusement à une cure de désintoxication.

  — Une autre fois, si tu veux bien. Mon programme pour la journée est complet. Je te rappelle.

  Je coupai la communication et me dirigeai vers la veuve du célèbre producteur.

  — Madame Tolsky ?

  Elle se retourna et me toisa d’un regard froid.

  — Je vous connais ?

  — Pas encore, mais je viens de laisser un message sur votre portable.

  Elle s’écarta légèrement de moi.

  — Je n’ai pas le temps, je suis pressée.

  — Moi aussi, mon avion décolle bientôt. Je vous demande seulement trois minutes pour que nous réfléchissions ensemble à ce qui est arrivé à votre mari. Je sais combien c’est terrible de perdre un être cher et de se dire qu’il s’est volontairement donné la mort, mais il est possible que, comme l’affirme votre fille, Alex Tolsky ne se soit pas suicidé.

  Une serveuse annonça un « lait vanille sans sucre à 0 % », que Mme Tolsky prit d’un geste sec. Elle le tint devant elle comme s’il s’agissait d’un bouclier.

  — Vous avez parlé à Shannon, si j’ai bien compris votre message ?

  — Exact.

  — Et vous croyez vraiment que vous pouvez lui faire confiance ?

  J’hésitai. Je n’accordais pas beaucoup de crédit aux paroles de Shannon Tolsky, mais j’éprouvais la plus grande méfiance envers un squelette ambulant qui buvait du café au lait sans sucre à 0 %. Prenant sans doute mon silence pour un acquiescement, elle ajouta :

  — Je vois que vous me comprenez. Maintenant, désolée, mais je suis pressée.

  Pivotant sur ses talons aiguilles, elle sortit en trombe du café.

  — Accordez-moi seulement deux minutes, insistai-je en lui emboîtant le pas.

  — Je n’ai rien à vous dire.

  Elle s’engouffra dans une Mercedes et reprit :

  — Vous serez bien aimable de cesser de m’importuner.

  — Juste une minute ! Tenez, je vous offre un cappuccino et on discute. C’est ultralight, vous ne risquez rien, et je…

  Trop tard. Déjà, elle claquait sa portière et mettait le moteur en marche.

  Je la regardai s’éloigner, dépitée. De qui, entre son père et sa mère, Shannon Tolsky tenait-elle le plus ?

  Le reste de l’après-midi se révéla parfaitement improductif. Je tentai de nouveau de contacter Margaret Tolsky sur son téléphone portable, sans plus de succès. Puis je me rendis chez elle dans l’espoir de la convaincre de m’écouter.

  J’attendis en vain devant l’allée qui menait à la somptueuse villa — aussi longue que la Route 66 et à peine moins plantée d’arbres que le parc de Yellowstone — avant de renoncer. L’heure tournait, il me restait encore à rendre ma voiture et à prendre mon avion.

  Lorsque je regagnai San Francisco, je n’avais qu’une idée en tête : me mettre au lit. Je n’étais qu’à moitié rassurée à l’idée de passer seule la nuit dans mon appartement alors qu’un vétéran des armées russe et israélienne attendait peut-être dans l’ombre le moment de me tuer.

  D’un autre côté, à présent, je savais à qui j’avais affaire… et depuis que je l’avais menacé avec un couteau de cuisine, l’intéressé savait que je savais. Il devrait à présent se montrer plus prudent. Avec un peu de chance, il se découragerait peut-être et s’en prendrait à quelqu’un d’autre. A Stephen King, par exemple. Il y avait dans son œuvre quelques pages qui l’inspireraient sûrement…

  Je pris un taxi à l’aéroport, soulagée par la perspective de ne pas avoir à chercher, pour une fois, une hypothétique place de parking située à moins de trente kilomètres de chez moi.

  J’avais déjà préparé ma sortie. J’allais payer le chauffeur, préparer ma clé, puis bondir hors du véhicule et me ruer vers… Tiens, qui était-ce ? Je plissai les yeux en reconnaissant une silhouette familière assise sur les marches qui menaient à l’entrée de l’immeuble. Mary Ann ? Que faisait-elle ici, à une heure aussi tardive ? Elle était totalement inconsciente !

  Jetant un billet au chauffeur, je me précipitai vers mon amie.

  — Il ne faut pas rester là ! Tu vas…

  Sans me laisser finir ma phrase, elle sauta sur ses pieds et me prit les deux mains d’un air excité.

  — J’ai fait des recherches sur J.J. Money. Tu veux savoir ?

  Non, je voulais dormir. Je levai un regard impatient vers les fenêtres de mon appartement, puis je me tournai de nouveau vers elle. Elle serrait si fort mes poignets que j’en avais des fourmis dans les mains.

  — Viens, on sera mieux là-haut pour parler.

  Une fois chez moi, je versai quelques croquettes dans le bol de M. Katz et m’effondrai sur le canapé, pendant que Mary Ann esquissait un pas de danse au milieu du salon. Quel scoop avait-elle déniché ?

  — Eh bien, accouche ! grommelai-je.

  — Voilà. Est-ce que tu savais que trois semaines avant que J.J. Money ait été assassiné, sa voiture a été vandalisée
dans un parking aérien ?

  — Ils ont des parkings aériens à New York ?

  — Quelqu’un avait bombé l’insigne d’un gang sur la portière côté conducteur. Tu as déjà vu le clip de On top ?

  — Seulement le passage qu’ils diffusent aux infos, celui où on voit le type blessé dans une allée, exactement comme on a retrouvé le corps de J.J. Money.

  — Mais un peu plus tôt dans la vidéo, quelqu’un peint à la bombe l’insigne d’un gang sur la portière côté conducteur.

  Je me redressai, soudain réveillée. Mary Ann, le visage radieux, les mains sagement jointes, attendait ma réponse. J’ouvris la bouche, puis la refermai, incapable de trouver les mots qui traduiraient mes sentiments.

  — Merde, dis-je finalement.

  Mary Ann ne parut pas se satisfaire de cette réponse.

  — Tu m’écoutes ? Je dis que…

  — Oui, j’ai entendu. Il n’y a plus de doute, à présent ; les deux meurtres sont liés. Le type s’y prend chaque fois de la même façon. Il commence par vandaliser la voiture de sa victime. Ensuite, il la tue.

  — Ça s’est passé comme ça aussi dans le cas de Tolsky ?

  — Je ne sais pas mais je vais me renseigner.

  L’enthousiasme de Mary Ann avait quelque chose d’agaçant. Avait-elle conscience que j’étais directement concernée, dans cette affaire ?

  — Je suis sûre que la réponse sera positive.

  Elle laissa échapper un soupir de bien-être.

  — Dire que c’est moi qui ai deviné que ces meurtres étaient liés à ce qui t’arrive… Pas mal, non ?

  — Félicitations. Quel dommage que je doive être assassinée pour prouver ton génie de détective amateur !

  A ces mots, je vis son sourire s’évanouir.

  — Excuse-moi. J’étais tellement heureuse d’avoir trouvé la solution, pour une fois ! Ça m’a donné l’impression d’être presque… intelligente.

  Il y avait tant de regrets dans sa voix que j’en eus le cœur serré.

  — C’est moi qui suis désolée, je suis à cran. Et tu as raison : sans toi, je n’aurais sans doute jamais établi le lien entre le meurtre de Tolsky, celui de J.J. Money et les menaces qui pèsent sur moi.

  Son visage recouvra ses couleurs.

  — Merci, dit-elle en me rejoignant sur le canapé. Si tu savais comme c’est important pour moi qu’on reconnaisse que je peux être douée ! C’est comme pour le maquillage, j’ai un talent inné. Je vois tout de suite si une femme est printemps, ou hiver, ou…

  — Dis-moi, as-tu pu établir une connexion entre Anatoly Darinsky et J.J. Money ?

  — Non, si ce n’est qu’ils ont tous les deux vécu à New York, dit Mary Ann en se penchant pour caresser M. Katz qui s’en prenait à ses bas. En revanche, j’ai trouvé un lien entre J.J. Money et Mark Baccon.

  — Quoi ? ? ?

  — Je dis que…

  — J’ai entendu. Qu’est-ce que tu as trouvé ?

  — Qu’on peut prouver une relation entre l’ex de Barbie et…

  Je me levai et fis quelques pas pour contenir une furieuse envie de la secouer comme un prunier.

  — Je te demande, dis-je en articulant exagérément, en quoi Baccon et J.J. Money sont liés !

  — Oh, pardon. J’examinais des clichés de J.J. Money pris dans un club à l’occasion d’une fête à Las Vegas, et en observant l’arrière-plan, j’ai identifié formellement Mark Baccon. Je ne l’aurais peut-être pas reconnu si je n’avais pas vu une photo de lui ce matin en lisant le journal. Il a l’air tellement méchant ! Tu crois qu’on choisit volontairement des portraits où les criminels ont une expression menaçante, ou que les vilains ont toujours une sale tête ? Je me suis toujours posé la question de savoir si avec un peu de maquillage…

  — Mary Ann, tu sais ce que ça signifie ?

  Elle se mordit les lèvres, comme chaque fois qu’elle était perdue.

  — Ça veut dire que Baccon pourrait être l’assassin, après tout.

  — Mais… tu disais que la police s’était trompée de bout en bout dans cette histoire ?

  — C’est peut-être l’exception qui confirme la règle.

  Mentalement, j’adressai une prière. Seigneur, faites que ce soit l’exception qui confirme la règle ! Mary Ann prit M. Katz sur ses genoux et entreprit de le gratter entre les oreilles.

  — Ce serait bien si ni toi ni Dena ne sortiez avec un tueur en série.

  — Si c’est possible, oui, je préférerais.

  Je jetai un regard en direction du chat, qui ronronnait à plein régime. C’était bien la première fois que je le voyais réagir avec une telle intensité à cette caresse que je lui prodiguais pourtant tous les jours.

  — Ce qui serait encore mieux, poursuivis-je, ce serait que le type qui rôde autour de moi soit derrière les barreaux.

  — Mais il pourrait en sortir ?

  — On en parlerait aux informations.

  — Ah oui ? Souviens-toi, dans Copycat, quand Harry Connick Junior s’évade de prison, tue deux gardes et manque de peu d’assassiner Sigourney Weather. Les actualités n’en parlent pas, sinon, elle se méfierait. Et dans Bandits, le passage où Bruce Willis saute dans un camion, quitte la maison d’arrêt et…

  — Mary Ann ?

  — Oui ?

  — Arrête de dire des idioties. Ce sont des films !

  Elle me jeta un regard surpris, sans doute déconcertée par mon éclat de voix. Puis elle recommença à caresser M. Katz d’un air désolé.

  — Tu as raison, dit-elle d’une petite voix.

  Je posai les coudes sur mes cuisses et m’appuyai le front entre mes mains pour masser mes tempes douloureuses.

  — Excuse-moi, je suis épuisée. J’ai l’impression que je suis au bord de la crise de nerfs.

  Mary Ann ôta l’animal infidèle de ses genoux et passa un bras autour de mes épaules.

  — Ça va aller, Sophie. Je suis sûre que le cauchemar sera bientôt terminé. On va trouver la solution et tout sera de nouveau comme avant. En attendant, dis-toi que ça pourrait être pire.

  Je me redressai et la regardai sans comprendre.

  — Pardon ? Un tueur en série rôde autour de moi, selon toute probabilité dans le but de m’assassiner, et tu trouves que ça pourrait être pire ! Tu peux m’expliquer en quoi ?

  Elle fronça les sourcils en tirant sur une de ses mèches d’un air de concentration extrême.

  — Eh bien… Tu pourrais ne pas m’avoir à tes côtés ?

  15

  Ce qui est une contrariété pour l’un représente la fin du monde pour un autre.

  Sex, Drugs & Murder

  Je me réveillai après une bonne nuit de sommeil, encore secouée, mais dans de meilleures dispositions que la veille. Malgré ma rudesse envers elle, Mary Ann avait accepté de rester dormir chez moi. Aussi naïf que cela puisse paraître, je me sentais plus en sécurité avec elle. Si le tueur s’introduisait dans mon appartement, elle pourrait engager la conversation avec lui, et nous aurions tout le temps de nous sauver pendant qu’il tenterait de s’arracher à son bavardage incessant.

  Je passai un peignoir, traversai le couloir sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Mary Ann, et descendis chercher le journal.

  En m’installant à la table de la salle à manger, je déroulai la liasse… et eus un mouvement de recul en reconnaissant le visage de Mark Baccon, en quadrichromie sur cinq colonnes à la une.

  J’aurais dû me douter que cette affaire serait largement relayée par les médias ! En dépit des fantasmes que nourrissent bien des gens à propos des grandes villes, on ne s’y fait pas hacher menu tous les jours sur les bancs des jardins publics. Certes, il y a des vagabonds qui décèdent dans les rues, des membres de gangs qui s’entretuent, à l’occasion une épouse trompée qui opte pour le revolver plutôt que pour l’avocat, mais dans l’ensemble, on n’y poursuit pas son prochain armé d’une hache.

  Je fis un bond sur ma chaise en entendant le téléphone sonner. M. Katz me décocha un regard surpris
en me voyant poser une main sur mon cœur qui battait sourdement dans ma poitrine. Le moment était-il venu de me mettre au cannabis ? D’une façon ou d’une autre, je commençais à ressentir le besoin d’un calmant efficace…

  Incapable de décrocher, j’attendis que le répondeur se mette en marche. Une voix masculine résonna dans la pièce.

  — Sophie, tu es là mon chou ?

  Marcus. Je décrochai le combiné, partagée entre le soulagement et la méfiance.

  — Je te préviens, si tu m’appelles pour me reprocher de ne pas t’avoir téléphoné après la découverte du corps de Barbie, je…

  — Je t’appelle pour te demander de m’excuser. J’ai été stupide. Je mériterais que tu me plaques pour aller chez Brushair, même si je sais que ce serait une erreur, parce que je suis le seul sur terre à pouvoir faire quelque chose de ta crinière. Enfin, quoi qu’il en soit, j’étais complètement à côté de la plaque.

  — On peut savoir de quoi tu parles ?

  — Quand tu m’as appelé à l’aide, je t’ai dit que tu te faisais des idées et que tu ferais mieux de te détendre un peu. Et regarde ce qui est arrivé ! Tu aurais pu être tuée !

  Je laissai échapper un soupir de soulagement et ouvris le placard de la cuisine pour en sortir un paquet de céréales.

  — D’abord, je ne t’ai pas appelé à mon secours. Je t’ai demandé un shampoing-soin-brushing, et tu en as profité pour me dire ce que tu pensais de toute cette histoire. Tu n’es pas personnellement chargé de ma sécurité.

  — Vas-y, descends-moi en flammes, je l’ai bien mérité !

  — Ne me parle pas de descendre qui que ce soit, Marcus. De plus, tu n’as rien à te reprocher.

  M. Katz bondit sur le plan de travail et me toisa de son regard jaune. Je posai le paquet de céréales et cherchai celui de croquettes.

  — C’est tout de même moi qui t’ai suggéré d’appeler Dena.

  — Je l’aurais fait de toute façon. Tôt ou tard, on se serait téléphoné et on aurait décidé de se retrouver au parc. Rien n’aurait été différent si je n’étais pas passée au salon, sauf que tu te sentirais moins coupable aujourd’hui et que j’aurais besoin d’un bon brushing.

  — Pourtant…

 

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