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ELEANOR DÉBARQUE !

Page 4

by Lee Nicols


  — Qu’est-ce que le développement, exactement ?

  — Ça veut dire récolter de l’argent.

  — Et c’est difficile, ça ? Il suffit de demander. Je faisais ça tout le temps avec Louis. C'est payé quarante mille dollars par an. Et c’est en accord avec mes valeurs.

  — Dire que Louis n’a jamais su quel grand bienfaiteur de l’humanité il était à travers toi !

  — Hélas ! En plus, Un monde de biens offre une indemnité de logement.

  — Je suppose que c’est ce qui t’a attirée dans l’annonce ?

  — Un peu, je l’admets.

  — Ils offrent aussi une voiture de fonction ? Une carte de crédit de fonction, un petit copain de fonction ? Comme ça, tu pourrais rayer toute ta liste. Un conseil, oublie toutes les offres qui comportent le mot « directeur », Elle. Tu sais taper ?

  — Je sais que toutes les lettres se trouvent sur le clavier et qu’en tapant dessus, on compose des mots.

  — Comment as-tu obtenu ton diplôme à la fac ?

  — Recherches, flirts et exposés oraux.

  — Bon, le secrétariat et tous les emplois de bureau sont exclus. Qu’est-ce qui te plaît d’autre ?

  Ah, enfin, nous y voilà.

  — Il faudrait quelque chose qui utilise mon charme naturel et ma vivacité. Etre en contact avec le public, tu vois, dans une ambiance conviviale.

  — La prostitution ne te conviendra pas, Elle, tu détesterais la tenue requise.

  — Je ne sais pas, dis-je. J’ai prouvé mes aptitudes de femme entretenue.

  — Je ne veux même pas le savoir. Sérieusement. Qu’est-ce que tu aimes dans la vie ?

  Je juge plus sage de ne pas répondre « l’alcool » et choisis de dire la vérité.

  — J’aime les chaussures. Peut-être pourrais-je dessiner des chaussures ?

  Maya ne répond rien.

  — J’aime aussi les gens. Et les animaux. Tu sais combien j’aime les animaux. Peut-être devrais-je être vétérinaire ou un truc de ce genre ?

  — Tu sais qui est devenue vétérinaire ? dit-elle. Anna Van der Water.

  Beurk !

  Anna Van der Water. Cette fille nulle qui était avec nous au lycée. Elle portait des barrettes en plastique bon marché avant que Drew Barrymore n’en fasse un look branché — et ses mollets étaient plus gros que ses cuisses.

  — Anna Van der Water, vétérinaire ? Peut-être qu’elle était plus intelligente que moi, après tout.

  — Tu plaisantes ou quoi ? dit Maya, loyale jusqu’au bout. Deux fois plus intelligente.

  J’entends des verres tinter au bar et je me demande comment je pourrais l’amener à me demander quelque chose du genre : « Peut-être pourrais-tu travailler ici ? » Soudain, elle me dit :

  — Ecoute, pourquoi ne viendrais-tu pas au bar prendre un verre ? C'est moi qui invite.

  Vous voyez ? Un peu de patience et tout arrive. Mais je ne veux pas paraître désespérée.

  — Je suis assez occupée…

  — Elle !

  — O.K. Je suis là dans vingt minutes.

  Le bar est situé à un pâté de maisons de l’appart. Il n’y a pas de vitrine, juste une porte fermée avec le nom inscrit au néon : « Shika ».

  Cet endroit n’a jamais été très fréquenté et d’après moi, c’est en partie à cause du nom. Enfin, c’est l’une des nombreuses raisons. Shika signifie « ivre » en yiddish. Sûrement un petit clin d’œil de M. Goldman (Il m’a expliqué une fois qu’en fait c’était « shiker », pas « shika », mais qu’il avait tenté de le transcrire phonétiquement. J’aime bien M. Goldman). Le problème, c’est que Shika sonne japonais et que les clients qui s’attendent à du saké et des écrans de papier de riz sont déconcertés quand ils se retrouvent au milieu de photos de vieux juifs, enveloppés par l’odeur tenace du schnaps.

  Deux hommes sont perchés sur des tabourets au bar. L'un deux est M. Goldman, l’autre un homme d’une dizaine d’années plus âgé, avec un look d’enfer. A part eux, et Maya derrière le bar, l’endroit est vide.

  Maya m’offre un margarita tandis que j’embrasse M. Goldman. Il n’a pas l’air en forme — sa santé décline depuis la mort de la mère de Maya — mais ça fait tout de même du bien de le voir. Tandis que Maya prépare mon cocktail, nous discutons de mon retour à Santa Barbara, et de mes recherches d’appart et de boulot. J’attends que Maya intervienne pour expliquer que je vais travailler au bar, mais elle reste dans le vague.

  M. Goldman et moi discutons des différences de climat entre Santa Barbara et Washington jusqu’à ce que la conversation tourne court. Je m’adresse alors à Maya :

  — Je pensais à ma carrière. Je crois que ce qu’il me faut, c’est un job dans le secteur des services.

  Elle paraît sceptique.

  — Tu es plus apte à être servie que serveuse, Elle.

  Je proteste.

  — Je sais servir ! Le nom de Martha Washington ne te rappelle rien ?

  Maya explique ma précédente fonction à son père, incluant certains détails que je ne me souvenais pas lui avoir racontés. Je me rends compte que ce n’est peut-être pas le meilleur moment de postuler pour ce job de barmaid.

  — Que penses-tu de ça ? dis-je. Je vais créer mon propre magazine, comme Oprah. Je l’appellerai E.

  — Comme E !, la chaîne de variétés ?

  Zut ! Mais je ne peux quand même pas l’appeler Elle.

  Je reste perplexe. Ce qui me plaisait le plus dans cette idée de magazine, c’était de l’appeler E. J’aime la lettre E. Et puis elle a l’avantage supplémentaire de servir à désigner le mail et autres trucs électroniques. Très in.

  — Et si je l’appelais L — juste la lettre L ?

  Maya dessine le signe L de lamentable sur son front.

  Sans commentaire.

  — Un autre margarita ? me demande-t-elle.

  Je baisse les yeux sur mon verre. Par je ne sais quel mystère, il est vide. J’ai alors un éclair de génie.

  — Laisse-moi le faire ! Je suis le génie du mixer.

  — D’habitude, je me contente de touiller.

  — Ce en quoi tu as tort. Où est le mixer ?

  Je me glisse derrière le bar en un tournemain.

  Tout ce que je peux dire est ceci : je suis certaine que le couvercle était étroitement vissé quand j’ai enclenché la mise en marche. Il doit s’agir d’un dysfonctionnement quelconque. De toute façon, il ne s’agissait que d’un ou deux glaçons avec des fraises. Maya se tenait bien trop près, aussi. Ce qui est dommage, c’est qu’elle était en blanc, c’est tout.

  7

  Le lendemain, alors que je désespère de trouver un appart, Maya (qui semble avoir les nerfs à fleur de peau : elle a dû se disputer avec M. Perfection) me convainc de revoir mes prétentions et de visiter un appart à… Goleta. L'annonce promet un « deux pièces charmant, avec jardin paradisiaque et hauts plafonds » et le prix est trop beau pour qu’on l’ignore — six cent cinquante dollars par mois.

  — Mais c’est à Goleta ! je gémis. Une banlieue à un quart d’heure au nord de Santa Barbara, fourmillant de centres commerciaux en rang d’oignons et de magasins en forme de grosses boîtes.

  — Il y a des endroits sympas à Goleta, dit Maya.

  — Où ?

  — Les gens s’y plaisent, répond-elle d’un air vague.

  — Qui ?

  — Oh ! arrête de te montrer aussi snob, Elle, et va visiter cet appart !

  Bon, on parle de « jardin paradisiaque ». Je vais me transformer en hôtesse accomplie de réceptions champêtres. Les amis fabuleux, que je n’ai pas encore rencontrés, s’échapperont de la ville tard le vendredi soir pour rejoindre mon oasis de Goleta. Je leur servirai du bourbon et du Martini — tout sauf des margaritas — et leur préparerai des repas tout frais cuisinés dans ma cuisine rustique. Les oliviers et la lavande onduleront le long des collines, tout ça pour la somme dérisoire de six cent cinquante dollars par mois !

  Le temps du trajet, je me suis persuadée que je fais route
vers la Provence. Je vais me transformer en fée des jardins.

  Je m’engage dans l’allée crasseuse. La poussière s’engouffre dans la voiture et, sous mes paupières larmoyantes, je distingue la maison. Bleuâtre, des traces d’eau sous les fenêtres, elle a l’aspect d’une maison de dessin animé en larmes.

  J’enclenche la marche arrière, lorsqu’un homme frappe mon coffre en guise de salutation d’accueil.

  Il a les cheveux longs et une barbe encore plus longue, comme ZZTop. Un jean noir couvre ses jambes minces comme des allumettes, et au-dessus de la ceinture déborde un énorme estomac qu’un débardeur échoue à recouvrir.

  — Vous venez pour l’appartement, n’est-ce pas ? dit-il. C'est par-derrière.

  Je voudrais lui demander ce qui s’est passé, pourquoi sa maison pleure. Je voudrais savoir s’il a besoin d’aide, si je peux appeler quelqu’un. Mais au lieu de ça, je le suis docilement vers la cour arrière.

  ZZ s’arrête dans le jardin. Une moquette couleur bronze — une moumoute épaisse tachée d’huile — recouvre une partie du sol de béton. Les murs sont bruts, révélant les prises et des tuyaux et fils assortis.

  — Alors, dit-il. Des questions ?

  — Eh bien, une : où se trouve l’appartement ?

  — Vous vous y trouvez.

  Au moins, ZZ n’a pas menti dans l’annonce. Les plafonds font au moins quatre mètres de haut.

  Je décris mon expérience de garage à louer chez ZZ à Brad et à Maya, ne me vantant que modérément d’avoir eu raison à propos de Goleta, quand le téléphone sonne. Maya répond.

  — Pour toi, dit-elle, vaguement incrédule.

  Mon premier coup de téléphone à Santa Barbara ! Peut-être une offre d’emploi, bien que je n’aie en fait encore effectué aucune demande. Mais bon, des choses plus étranges me sont déjà arrivées.

  — Salut, Elle. C'est Bob. De chez Volkswagen.

  — Bob ! Salut ! Comment ça va ?

  Aïe, je ne dois pas me montrer trop familière. Penser à rester amis.

  — Voilà, j’ai transmis votre demande de crédit pour la Passat W8, et elle a été refusée.

  — Oh non !

  En fait, je ne suis pas si surprise que ça. J’ai quand même un certain sens des réalités.

  — Il faudra se faire à la GLX, alors ? Adoucir son image n’est pas une si mauvaise chose.

  — Pas la GLX.

  — Oh, la GLS ?

  — Vous êtes encore loin.

  — Euh… Une Jetta ?

  — Non.

  — Une coccinelle ? Elles sont mignonnes comme tout. Et puis je n’ai pas besoin de quatre portes. Après tout, je n’en utilise qu’une à la fois !

  J’éclate d’un rire léger et charmant, et remarque que Maya et Brad me regardent comme si j’étais un carambolage de sept véhicules.

  — Nan.

  — Et une, euh… une Focus ou l’autre là. Une Echo ?

  — Ce ne sont pas des Volkswagen.

  — C'est vrai. Volkswagen. Bon, une Golf ?

  — Même pas une Golf d’occasion.

  — Alors quoi… ?

  — Alors j’avais dit que je vous appellerai. J’ai appelé.

  — Je vois. Oui. Merci d’avoir appelé. Et y a-t-il, euh, quelque chose d’autre que vous vouliez demander ?

  Parce que je suis peut-être insolvable, mais je sais quand un homme s’intéresse à moi.

  — En fait, oui.

  Sa voix s’est faite un peu plus chaleureuse.

  Je souris et lance un coup d’œil à Maya. Un coup d’œil qui dit : « Nous y voilà une fois de plus, encore un qui a craqué. » Pour une raison inexplicable, Maya me répond en me tendant une boîte de Kleenex.

  — Ne soyez pas timide, dis-je. Demandez toujours.

  — Si vous avez des amis qui, eux, peuvent vraiment s’offrir une voiture, pourriez-vous leur donner mes coordonnées ?

  — Oh, bien sûr.

  J’attends, j’attends encore… Moi aussi je vous aime bien, Bob, mais je crois qu’il est préférable que nous soyons amis, pour commencer. Dîner où ? Chez Piatti ? A Montecito ? Bon, si vous insistez…

  — Bon, sympa de vous avoir eue au téléphone, dit-il en raccrochant.

  J’essaie de rester légère et charmante tandis que la tonalité résonne.

  — C'est très flatteur, dis-je. Et vous semblez vraiment être un charmant garçon. Mais je crois que non, merci.

  Je fais semblant d’écouter tandis que Maya donne à Brad le signal qu’il est temps de soustraire à ma vue la vision de leur couple ruisselant de bonheur. Elle me prend le téléphone des mains, raccroche, et me serre fort dans ses bras. J’attrape les Kleenex.

  8

  Je ne serai jamais Oprah si je ne contrôle pas les événements. Il faut que je cesse de me laisser aller et que je force le destin.

  Alors ce matin, je me réveille à 7 heures. Je roule hors du lit, prends une douche et me prépare. Choisis mes vêtements en un temps record. Fais le café. Achète le journal et m’assieds, stylo en main, décidée à trouver un job. Puisque trouver un appartement à Santa Barbara est de toute évidence impossible, et que nous, les personnes supérieurement efficaces, ne perdons pas notre temps avec des impossibilités évidentes.

  J’entoure une annonce recherchant une infirmière psy et une autre pour de l’alphabétisation bénévole, puis jette un œil à la pendule. Il est 11 h 45.

  Presque midi ! Je me suis réveillée il y a cinq heures. Je jure que je n’ai rien fait d’autre que ce que j’ai énuméré ci-dessus. Je n’ai même pas allumé la télé. Pas une fois. Et cinq heures ont passé ? Je souffre d’une déficience au niveau temporel. Un trouble du comportement chronologique ou un truc comme ça. Peut-être ai-je des trous noirs ? Est-ce que je reste assise, la bouche béante, à fixer les murs ? En cinq heures, Oprah aurait commencé dix livres qui se seraient retrouvés sur la liste des best-sellers. Moi, tout ce que j’ai fait, c’est prendre ma douche et m’habiller.

  Stop ! Je ne me laisse plus aller. Je prends les choses en main. Deux heures — normales cette fois — plus tard, je suis de retour. Je n’ai pas commencé un seul livre, mais j’ai dépensé trois cent quatre-vingt-neuf dollars pour un jeté de lit en cachemire et d’exquises petites écuelles pour chien.

  Je refuse d’en parler.

  Je cache les sacs derrière le canapé de Maya, afin qu’elle ne me dispute pas, et enfouis les écuelles au fin fond de mes bagages. Je fais une sieste prolongée, rêve que Louis m’engueule parce que j’ai trop affranchi le courrier, et me réveille d’une humeur de dogue. Pourquoi tout est-il soudainement si difficile ? Ce n’est pas comme si j’avais des aspirations démesurées. Je veux simplement un appartement qui ne soit pas en préfabriqué, un job où on ne me demande pas de faire pipi dans une tasse pour analyser mon urine, une voiture qui marche et enfin — bien que je commence à m’interroger sur le sujet — un homme qui me convienne. Et quelques babioles sublimes. Et une minicentrale thermonucléaire pour l’Iowa.

  Est-ce trop demander ? Je regarde la télé, je lis les magazines. Partout, des femmes vivent ma vie. Elles ont des jobs de « coordinatrice des relations publiques » ou de « rédactrice de mode ». Leurs appartements de l’Upper East Side sont munis d’immenses fenêtres qui surplombent Central Park, et elles cessent toutes de porter des étoles deux semaines avant qu’une personne de ma connaissance n’en achète finalement une.

  Je tire les couvertures sous mon menton et essaie de me plonger dans une dépression nerveuse clinique. Elle se transformerait en un truc impliquant la chimie du cerveau, que je combattrais courageusement — dans l’incapacité de quitter l’appartement, stoïque et admirée de tous. Le Santa Barbara News Press publierait certainement un article à mon sujet, et la chaîne locale reprendrait l’info.

  En deux minutes, mes rêveries éveillées s’évanouissent et je suis fatiguée de simuler une dépression. Peut-être est-ce plus amusant quand on a un public ? Mon problème c’est que je suis surfacielle. Pas superficielle, non, je n’ai pa
s dit ça. Je suis très profonde, en fait. C'est juste que j’aime la surface des choses. Les surfaces sont importantes pour moi. Et la dépression n’est pas franchement une maladie de surface. Il faut se creuser la tête en profondeur pour obtenir une bonne dépression.

  Je préférerais plutôt creuser le catalogue Neiman Marcus. Ce que je fais. Et une heure plus tard, comme par magie, je me sens mieux.

  Mon problème, c’est que je ne suis pas taillée pour être Sarah Jessica dans Sex and the City, bien que j’aie les mêmes cheveux, peut-être en plus foncés et plus longs. Je n’ai pas besoin d’un loft à Manhattan ni de copines branchées, faméliques et vêtues à la perfection. Je suis plus dans le genre Sandra Bullock, une fille de la province qui se débrouille. Je peux très bien travailler comme chauffeur de bus ou vendeuse de tickets dans le métro, ça me suffirait. Sauf que chauffeur de bus ou vendeuse de tickets, ce sont des carrières où on attrape un tas de maladies, mais vous avez compris l’idée générale.

  Réconfortée, je prends une douche chaude, enfile une tenue Sandra Bullock, très fille de province qui se débrouille, et vais chez Shika. C'est dans les bars que les choses se passent.

  Rien ne se passe chez Shika. Maya est derrière le comptoir, le vieux monsieur habillé très classe est perché sur un tabouret. Un couple d’âge mûr sort quand je rentre, et voilà.

  — Oh, Elle, dit Maya. Je suis contente que tu sois là.

  Cela fait plusieurs jours que Maya ne m’a pas dit autre chose que : « Où en est ta recherche d’appartement ? De boulot ? »

  Cet accueil fastueux me revigore et je lui dis combien je suis heureuse d’être là.

  — Rends-moi un service, dit-elle. Tu peux me garder le bar ? Je dois aller à la banque.

  — A la banque ?

  Je suis franchement déroutée. Cet endroit rapporte réellement de l’argent ?

  — Pour quoi faire ?

  — La banque est un endroit où tu places l’argent que tu ne dépenses pas, Elle. Je t’expliquerai plus tard.

  Je me fends d’un rire spirituel.

  — Alors, je garde le bar… et c’est tout ?

  — Ne t’approche pas du mixer.

  — Mais si quelqu’un demande une tétine glissante ou je ne sais quoi ?

 

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