COMMENT JE SUIS DEVENUE IRRESISTIBLE

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COMMENT JE SUIS DEVENUE IRRESISTIBLE Page 16

by KLASKY


  Ce brusque accès de colère me laisse une nouvelle fois perplexe. Après tout, moi aussi j’en veux à ma grand-mère. Pourquoi devrais-je la protéger ? C'est elle qui a gardé le secret, elle est aussi fautive que Clara. Elles se sont liguées contre moi depuis le jour de ma naissance.

  — Jeanette…

  — Je m’appelle Jane !

  — Jane, je suis désolée. Je ne voulais pas te contrarier.

  Je me rue sur mon sac.

  — Mais bien sûr. Ecoutez, je viens de me rappeler que j’ai une réunion importante, au boulot.

  — Un samedi?

  Je hoche la tête, en essayant de trouver un prétexte, n’importe lequel qui me permette de sortir de cette boutique.

  — Une grande réunion sur le référencement des livres. Nous devons parler des acquisitions de l’année prochaine, et tout le personnel y participe. Ça va durer toute la journée.

  Je me lève et j’incline ma chaise contre la table.

  — Je regrette que nous ne puissions pas passer plus de temps ensemble. Désolée…

  Je capte le regard inquiet de Melissa, mais je me force à sourire en lui faisant un petit signe de la main. Je lui fais comprendre par gestes que je la réglerai plus tard pour le thé et les gâteaux. Puis j’attrape mon châle et je l’enroule sur mes épaules avec panache (il bat haut la main les lunettes de Clara !).

  Clara se lève, mais je suis déjà à mi-chemin de la porte.

  — Jean… je veux dire Jane ! J’aimerais te revoir.

  — Oui, pourquoi pas? Mais je n’ai pas mon agenda sur moi. Appelez-moi, et nous conviendrons d’un jour. A très bientôt.

  Mes doigts cherchent le bouton de la porte, et je dois m’y reprendre à trois fois pour réussir à ouvrir la porte. J’entends Melissa m’appeler… Je me retourne à demi, et je lui fais un nouveau signe de la main en lui lançant :

  — Réunion du personnel !

  Après quoi je m’empresse de retrouver les pavés de la rue.

  Je m’interdis de penser aux yeux de Clara, ces yeux qui sont de la même couleur que les miens et qui se sont emplis de larmes au moment où je suis partie comme une voleuse pour retourner à mon cottage, à mes livres de sorcellerie, et à cette vie que je me suis construite sans ma mère auprès de moi pour me donner le prénom d’une autre.

  13

  Melissa pose son poing droit sur sa paume gauche.

  — Un, deux, trois.

  Ciseaux.

  Je tente de plier le « papier » de ma main tendue pour le transformer en pierre, mais Melissa referme ses doigts autour de ma main et simule un mouvement de scie comme le veut l’usage.

  — Les ciseaux coupent le papier.

  Je suis loin d’être ravie.

  — Oui, oui. Je sais ! Je te promets que je reverrai Clara ! Mais tu comprends, ça faisait beaucoup pour moi : son histoire d’église ou de secte, le cristal, et ces yeux qui sont exactement les mêmes que les miens.

  — C’est vrai que ça faisait un peu froid dans le dos.

  Et là, je comprends que Melissa me fichera la paix. Elle me laissera décider du moment où je reverrai Clara, en fonction de mon emploi du temps.

  Pour l’instant, nous avons d’autres chats à fouetter. Façon de parler.

  Jason Templeton devrait arriver d’ici quatre petites heures.

  J’ai pris mon après-midi, et Melissa a pris ses responsabilités en fermant sa boutique pour venir m’aider, fait sans précédent. Nous avons passé la plus grande partie de la semaine dernière à discuter du menu… quand nous n’étions pas en train de disséquer seconde par seconde ma rencontre foireuse avec Clara.

  Contre l’avis de Melissa, j’ai décidé de faire un dîner sur le thème colonial, avec des mets délicats du dix-huitième siècle. Ce qui prouvera que je suis une femme de tête et pas seulement une bibliothécaire entichée d’un mec.

  Le problème, c’est que depuis deux cents années et des poussières, les goûts ont un peu changé.

  J’ai trouvé sans difficulté des exemples de menu. La bibliothèque possède une énorme collection sur des sujets tels que la cuisine, le jardin et les habitudes alimentaires, sans compter les innombrables journaux intimes de maîtresses de maison, de maîtres d’hôtel et autres témoins de l’époque.

  J’ai passé la plus grande partie du lundi à me plonger dans ces documents, essayant vainement de passer ma main dans mes cheveux rebelles en oubliant que je portais une charlotte avec un ruban de satin. J’ai passé le mardi à sélectionner les meilleurs candidats, pour finir par ne retenir que six malheureux d’entre eux. J’ai ensuite passé le mercredi à dresser la liste des ingrédients et à trier les recettes pour organiser au mieux la préparation des plats, et créer des organigrammes détaillant les tâches à réaliser ainsi que le timing des opérations.

  J’ai passé le jeudi à stresser en me demandant si je n’étais pas en train de commettre la plus grosse erreur de toute ma vie de femme.

  Tout ça pour Jason Templeton, l’homme qui est censé s’asseoir à ma table, savourer mes petits plats en me regardant dans le blanc des yeux et prendre conscience que nous sommes faits l’un pour l’autre à jamais.

  L'homme avec qui je dois passer le restant de mes jours. Celui qui me fera oublier Scott Randall et sa façon de tout contrôler, de me manipuler, de me déstabiliser, de me rabaisser… tout en me trompant.

  Je jette un nouveau coup d’œil à mon menu. Je ne suis pas idiote, je n’ai aucune intention de servir douze plats comme on le faisait couramment au temps des colonies. Pas question de proposer une demi-douzaine de viandes comme s’il s’agissait d’un buffet de gala pour championnat de bûcherons. Moi, j’ai opté pour la simplicité.

  Une soupe aux cacahuètes (ne commencez pas à ricaner avant de l’avoir goûtée, c’est vraiment délicieux). Des côtelettes d’agneau (à la place du mouton dont la plupart des coloniaux étaient friands. Vous avez déjà essayé de trouver du mouton chez votre boucher, de nos jours ?). Des petits pois – le légume préféré de Thomas Jefferson (la saison tire à sa fin, il est difficile d’en trouver des frais, mais Dean & DeLuca, l’épicerie fine du centre-ville de Georgetown, a réussi à me dépanner… Evidemment, ce n’était pas donné !). J’ai prévu également des patates douces et des muffins à la noix de pécan que Melissa a déjà préparés. Et pour le dessert, une tarte aux poires.

  Voilà, ce n’est pas si compliqué. C'est à la portée de n’importe qui.

  Ma cuisine ressemble déjà à un champ de bataille. Il n’y a pas un coin de table qui ne soit colonisé par des épices et des fines herbes. Les ingrédients de la soupe sont tapis près du grille-pain, les épices destinées aux côtes d’agneau rassemblées en colonnes près de l’évier. Les petits pois frais dans leur cosse ont pris possession de la table en étain (incroyable ce que j’ai dû en acheter pour être sûre d’en avoir assez une fois écossés et réduits à la cuisson). La tarte exige que je lui accorde la plus grande attention. J’ai déjà saupoudré la table de travail de farine, et le sucre menace de descendre en piqué par terre.

  Avant que je puisse mettre en œuvre mon plan d’attaque principal, voilà que la porte s’ouvre. Neko entre d’un pas joyeux, avec à son bras le vêtement qu’il est allé retirer pour moi au pressing. Je me suis rappelé juste à temps que je voulais mettre ma jupe plissée.

  Neko s’arrête à l’entrée de la cuisine, sous le choc, et ouvre de grands yeux.

  — J’espère que vous avez pensé à l’alcool. Prévoyez large.

  Mon Dieu, le vin ! Je n’ai même pas pensé au vin ! Vous parlez d’une maîtresse de maison qui n’aurait pas de vin à proposer à son invité!

  Je me demande ce qui irait le mieux avec le repas. Je passe en revue la liste dans ma tête. Voyons un peu… Thomas Jefferson était francophile, il aurait certainement bu du vin français… un très bon bourgogne, j’imagine. Mais je ne connais rien des préférences de George Chesterton en matière de vin. Peut-être un bordeaux… Au fait, c’est quoi exactement ? Et est-ce que ça va avec l’agneau
?

  Je vais chercher mon portefeuille.

  — Neko, s’il vous plaît, allez m’acheter du vin. Prenez-en deux bouteilles. Il y a une boutique en bas de M Street, ils vous aideront à choisir quelque chose de bien. Je veux du vin français, quelque chose de corsé.

  Je lui donne un billet de vingt dollars. Il me regarde d’un air incrédule… Je sors un autre billet et je le fourre dans sa main.

  — Allez-y ! Il faut donner au vin le temps de respirer.

  Neko empoche les billets.

  — Je vais juste pendre votre jupe dans le placard.

  Je hurle : « Non ! » Melissa sursaute, étonnée de la violence de ma réponse. Neko, lui, n’est pas surpris.

  — Pas question d’entrer dans ma chambre et de vous approcher de mon Imbécile de Poisson !

  J’ai réussi à changer l’eau du tétra le week-end précédent, mais j’ai été obligée de donner une tape sur les mains de Neko à trois reprises…

  — Mettez la jupe sur le canapé. J’irai la ranger dès que j’en aurai fini dans la cuisine.

  Il hausse les épaules et pose le vêtement. Il est obligé de s’y reprendre à deux fois à cause de la housse en plastique qui menace de glisser par terre, et s’exclame :

  — Vous ne pourrez pas me reprocher d’avoir essayé!

  — Oh, que si !

  Ma patience est à bout. Je regarde la pendule : il reste quatre heures avant l’arrivée de Jason, quatre heures pour que tout soit parfait.

  — Neko, s’il vous plaît, allez-y tout de suite. Et surtout, pas d’arrêt chez Roger ! Le temps presse.

  Neko fait la moue, mais il s’exécute.

  Quatre heures, ce n’est vraiment pas assez pour que Neko aille rendre visite à Roger. Dimanche après-midi, je suis passée à son salon, dûment habilitée par mon démon familier, alors que j’essayais encore de me remettre du fiasco avec Clara. J’avais décidé de me faire faire les ongles. Roger m’a convaincue de jouer le grand jeu et de faire aussi un soin des pieds afin que mes orteils soient en harmonie avec mes mains. Il m’a séduite avec ses lotions parfumées et ses serviettes chaudes, et je me suis délectée, profitant pleinement de chaque seconde de ce traitement.

  J’ai été stupéfaite de constater que Neko et moi avions passé un après-midi entier à nous laisser aller dans ce temple du bien-être, tout de marbre et de chrome. Là-bas, vous perdez trop facilement la notion du temps. Vous oubliez peu à peu votre sens de la responsabilité et les détails de la vie quotidienne. Vous vous laissez emporter…

  — Alors, quand comptes-tu commencer la tarte?

  La question de Melissa me ramène brutalement à la réalité.

  — Tout de suite, j’arrive. Bon, on commence par la croûte, c’est bien ça ?

  — Oui.

  Melissa se poste à mes côtés. Quelle idée de génie j’ai eue de choisir pour meilleure amie une pâtissière ! Elle a l’œil et la réponse à tout. Tout devient facile.

  Nous avons décidé de faire le fond de la tarte avec un biscuit au gingembre. Ça m’évitera de risquer de rater une pâte à tarte classique en ajoutant trop de farine, ou en la pétrissant trop longtemps. En plus, l’odeur du gingembre va embaumer toute la maison, et le biscuit au gingembre était un des mets préférés de l’époque coloniale. Melissa m’accompagne en m’expliquant au fur et à mesure tout ce que je dois faire : mettre dans un sac en plastique les cookies que j’ai achetés (on a bien le droit de se faciliter la vie, non ?) et les écraser avec un rouleau à pâtisserie.

  Je mets un temps fou à les réduire en miettes parfaites. Je commence à me dire que j’aurais dû acheter une de ces pâtes à tarte toutes faites. Après tout, qui ferait la différence ?

  Moi, pour commencer ! Je reprends mes esprits en m’en voulant aussitôt d’avoir songé à cet expédient. Car Jason aussi ferait la différence. Il saurait que nos Pères Fondateurs (et nos Mères Fondatrices) n’avaient pas de pâte toute faite. Il verrait aussitôt que mon repas n’est pas un vrai repas colonial. Et tout le bénéfice que je comptais obtenir grâce à mon festin d’intello serait réduit à néant, pris en otage par de stupides lutins de cookie !

  Une fois que le biscuit est réduit en miettes, le reste est facile à faire. J’ajoute du sucre et de la matière grasse, et j’aplatis le mélange ainsi obtenu dans une poêle.

  Melissa s’exclame :

  — Et voilà! Maintenant, il faut faire une pré-cuisson de dix minutes.

  — Une pré-cuisson ?

  — Oui, sans les poires. Pour bien cuire la pâte.

  Exact. Ça, je le savais.

  J’enfourne la pâte, je règle le minuteur et je me retourne vers Melissa. Elle est en train de ramasser sur la table les dernières cosses de petits pois. Les petits pois, eux, sont tout brillants dans leur bol, tout frais et diablement tentants.

  — Comment as-tu fait ça ?

  — Quoi?

  — Comment as-tu eu le temps d'écosser ces petits pois? Je n’ai pas arrêté de bosser et tu m’as donné des conseils sans arrêt. Ma parole, tu fais de la magie, toi aussi!

  — C’est que… tu as mis pas mal de temps à préparer la pâte…

  Elle sourit pour atténuer l’impact de sa remarque.

  — … et à propos de magie, quand me laisseras-tu voir les grimoires ?

  — Mais tu les as vus. Neko en a monté un de la cave, l’autre soir.

  — Ce n’est pas assez. Je voudrais voir toute la collection.

  — Ne va pas t’imaginer que je la garde au secret.

  Nous traversons le salon et je tourne la clé qui ouvre la porte de la cave. J’ai remplacé l’ampoule électrique en haut de l’escalier, nous n’avons donc pas besoin de bougies pour nous éclairer.

  Dès que nous arrivons en bas, Melissa ne peut retenir une exclamation de surprise. Il faut dire que je n’ai pas encore trouvé le temps de remettre les livres en place. Pour être franche, ils me font un peu peur. J’ai pensé demander à Neko de s’en occuper, mais je ne suis pas sûre du résultat si je lui confie cette responsabilité. Et puis, l’histoire racontée par David me trotte derrière la tête. Ces livres font partie de la succession de Hannah Osgood, ils ne m’appartiennent pas vraiment. Je serai obligée, à un moment ou un autre, de les retourner à leurs vrais propriétaires.

  Melissa s’exclame :

  — Ces livres sont incroyables ! Tu sens cette odeur ?

  Elle a raison, ils ont une odeur très particulière. Un mélange de cuir et de parchemin avec un zeste de poussière d’époque. C’est d’ailleurs cette odeur qui m’a incitée à fréquenter les bibliothèques… la magie de l’écrit, qui n’a rien à voir avec les éventuels pouvoirs spéciaux des ouvrages.

  Melissa demande :

  — Je peux les toucher ?

  Je hausse les épaules.

  — Pourquoi pas ? Ils ont dû être manipulés plus d’une fois, dans le passé.

  Elle fait courir ses doigts sur le dos des livres de l’étagère la plus proche et finit par sortir l’un des plus gros volumes. Le titre est inscrit en lettres dorées sur la couverture, et je tends le cou pour le déchiffrer avec elle : La Magie des Eléments.

  Soutenant le livre de sa main gauche, elle l’ouvre à la première page en prenant bien soin de ne pas abîmer les pages, et commence à lire.

  — L'Eau. Comment l’invoquer ou la chasser…

  — Super ! Si jamais la cave est inondée, je saurai vers quoi me tourner.

  — C’est vrai que les bons plombiers se font rares, de nos jours.

  Nous éclatons de rire, mais nous sommes interrompues par le triple couinement de mon minuteur électronique là-haut, dans la cuisine.

  — La pâte est cuite.

  Melissa me précède dans l’escalier.

  Je m’empare du minuteur. Melissa ouvre le four et fait un pas en arrière.

  — Ce four est bien trop chaud.

  — Je l’ai réglé à 175°.

  — Je sais. Mais il a dû atteindre les 200°, peut-être même plus.

  — Tu veux dire qu
e c’est fichu pour la tarte ?

  — Non, on se débrouillera. Il suffit d’abaisser la température. Règle-la à 145°, et jette un œil à la cuisson au bout de trois quarts d’heure.

  Voilà le genre de détails précieux que j’ignorais sur la cuisson des gâteaux.

  Le reste de l’après-midi défile à toute allure. Sous le contrôle de Melissa, je coupe les poires en tranches et je les dispose artistiquement dans le moule. Je passe dessus une très fine couche de miel pour qu’elles ne s’oxydent pas, puis je mets le tout à cuire dans mon four qui chauffe trop. Comme Melissa m’a conseillé de le faire, je vérifie la cuisson, et je retire ma tarte dès qu’un peu de caramel apparaît sur le dessus.

  Si je puis me permettre, voilà une tarte qui a fière allure !

  Melissa range les ingrédients dans leurs placards respectifs, et je passe à la soupe aux cacahuètes. Je fais sauter du céleri et des oignons dans une cocotte, ravie que ma cuisine – ma cuisine – sente bon, comme dans toute maison qui se respecte. Je verse du lait et de la farine dans un bol pour confectionner une mixture destinée à épaissir la soupe une fois cuite. J’ajoute du bouillon de poulet et je porte le tout à faible ébullition. Je prends dans le pot de beurre de cacahuète l’équivalent d’une tasse. Lorsque je réussis enfin à ôter l’excès de beurre en me brossant les doigts, je laisse le tout provisoirement de côté. Je finirai à la dernière minute.

  J’ai si bien accompli ma tâche que Melissa me laisse mélanger les épices pour l’agneau toute seule comme une grande. Je lis la recette à trois reprises avant de peser les ingrédients. Du sel, bien sûr, et du poivre noir fraîchement moulu. Du fenouil. Une pincée de cannelle, ce qui aurait été considéré comme un véritable luxe à l’époque coloniale.

  Je sors les côtelettes du frigo et j’y incorpore le mélange d’épices. Je suis un peu distraite dans ma tâche par la couleur bordeaux de mon vernis à ongles. Un vernis bordeaux, sur mes ongles. On me prendrait presque pour une adulte.

  Pendant que je m’occupe des côtelettes d’agneau, Melissa n’arrête pas de lire le grimoire de sorcellerie qu’elle a remonté de la cave, et fait des commentaires.

  — Tu sais que tu peux utiliser ce truc pour enlever la poussière ?

 

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