Collected Poetical Works of Charles Baudelaire
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Au surplus, ce fouet, M. Baudelaire ne l’a pas toujours à la main ; il n’est pas toujours ironique ou satirique ; on l’a pu voir par les extraits que j’ai donnés plus haut ; on l’a pu voir par les pièces insérées il y a trois mois dans la Revue française.
Comme transition à des idées moins noires et comme conclusion, je citerai le sonnet suivant qui est à lui seul la clef et la moralité du livre. Il a pour titre l’Ennemi :
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé ça et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
Ô douleur ! ô douleur ! le temps mange la vie,
Et l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !
Je n’ai que peu de chose à dire de la plastique de M. Charles Baudelaire. Elle est souvent parfaite ; parfois aussi il se permet des audaces, des négligences, des violences qu’explique la nature toute spontanée de son inspiration.
Sa phrase poétique n’est pas, comme celle de M. Théodore de Banville, par exemple, le développement large et calme d’une pensée maîtresse d’elle-même. Ce qui chez l’un découle d’un amour savant et puissant de la forme est produit chez l’autre par l’intensité et par la spontanéité de la passion. Et puisque j’ai nommé M. Théodore de Banville, je rappellerai ce que je disais il y a un an, ici même, à propos de ses Odelettes : « Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue poétique, M. de Banville a retenu le second… » Dans ma pensée, je retenais le premier pour M. Charles Baudelaire.
L’un et l’autre représentent hautement les deux tendances de la poésie contemporaine. Ils pourront servir de bornes lumineuses à une nouvelle génération de coureurs poétiques.
Charles Asselineau.
LETTRE DE M. SAINTE-BEUVE
CE 20… 1857.
Mon cher ami,
J’ai reçu votre beau volume, et j’ai à vous remercier d’abord des mots aimables dont vous l’avez accompagné ; vous m’avez depuis longtemps accoutumé à vos bons et fidèles sentiments à mon égard. — Je connaissais quelques-uns de vos vers pour les avoir lus dans divers recueils ; réunis, ils font un tout autre effet. Vous dire que cet effet général est triste ne saurait vous étonner ; c’est ce que vous avez voulu. Vous dire que vous n’avez reculé, en rassemblant vos Fleurs, devant aucune sorte d’image et de couleur, si effrayante et affligeante qu’elle fût, vous le savez mieux que moi ; c’est ce que vous avez voulu encore. Vous êtes bien un poëte de l’école de l’art, et il y aurait, à l’occasion de ce livre, si l’on parlait entre soi, beaucoup de remarques à faire. Vous êtes vous aussi, de ceux qui cherchent de la poésie partout ; et comme, avant vous, d’autres l’avaient cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes différentes ; comme on vous avait laissé peu d’espace ; comme les champs terrestres et célestes étaient à peu près tous moissonnés, et que, depuis trente ans et plus, les lyriques, sous toutes les formes, sont à l’œuvre, — venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, — j’imagine : « Eh bien, j’en trouverai encore de la poésie, et j’en trouverai là où nul ne s’était avisé de la cueillir et de l’exprimer. » Et vous avez pris l’enfer, vous vous êtes fait diable. Vous avez voulu arracher leurs secrets aux démons de la nuit. En faisant cela avec subtilité, avec raffinement, avec un talent curieux et un abandon quasi précieux d’expression, en perlant le détail, en pétrarquisant sur l’horrible, vous avez l’air de vous être joué ; vous avez pourtant souffert, vous vous êtes rongé à promener vos ennuis, vos cauchemars, vos tortures morales ; vous avez dû beaucoup souffrir, mon cher enfant. Cette tristesse particulière qui ressort de vos pages et où je reconnais le dernier symptôme d’une génération malade, dont les aînés nous sont très connus, est aussi ce qui vous sera compté.
Vous dites quelque part, en marquant le réveil spirituel qui se fait le matin près les nuits mal passées, que, lorsque l’aube blanche et vermeille, se montrant tout à coup, apparaît en compagnie de l’Idéal rongeur, à ce moment, par une sorte d’expiation vengeresse,
Dans la brute assoupie un ange se réveille !
C’est cet ange que j’invoque en vous et qu’il faut cultiver. Que si vous l’eussiez fait intervenir un peu plus souvent, en
deux ou trois endroits bien distincts, cela eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et tous ces bizarres entrelacements où s’est lassée votre fantaisie, parussent dans leur vrai cur, c’est-à-dire à demi dispersés, déjà et prêts à s’enfuir levant la lumière. Votre livre alors eût offert comme une Tentation de saint Antoine, au moment où l’aube approche et où l’on sent qu’elle va cesser.
C’est ainsi que je me le figure et que je le comprends. Il faut, le moins qu’on peut, se citer en exemple. Mais nous aussi, il y a trente ans, nous avons cherché de la poésie là où nous avons pu. Bien des champs aussi étaient déjà moissonnés, et les plus beaux lauriers étaient coupés. Je me rappelle dans quelle situation douloureuse d’esprit et d’âme j’ai fait Joseph Delorme, et je suis encore étonné, quand il m’arrive (ce qui m’arrive rarement) de rouvrir ce petit volume, de ce que j’ai osé y dire, y exprimer. Mais en obéissant à l’impulsion et au progrès naturel de mes sentiments, j’ai écrit l’année suivante un recueil, bien imparfait encore, mais animé d’une inspiration douce et plus pure, Les Consolations, et grâce à ce simple développement en mieux, on m’a à peu près pardonné. Laissez-moi vous donner un conseil qui surprendrait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous défiez trop de la passion, c’est chez vous une théorie. Vous accordez trop à l’esprit, à la combinaison. Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres, n’ayez jamais peur d’être trop commun ; vous aurez toujours assez, dans votre finesse d’expression, de quoi vous distinguer.
Je ne veux pas non plus paraître plus prude à vos yeux que je ne suis. J’aime plus d’une pièce de votre volume, ces Tristesses de la lune, par exemple, délicieux sonnet qui semble de quelque poëte anglais contemporain de la jeunesse de Shakspeare. Il n’est pas jusqu’à ces stances, À celle qui est trop gaie, qui ne me semblent exquises d’exécution. Pourquoi cette pièce n’est-elle pas en latin, ou plutôt en grec, et comprise dans la section des Erotica de l’Anthologie ? Le savant Brunck l’aurait recueillie dans les Analecta veterum poetarum ; le président Bouhier et La Monnoye, c’est-à-dire des hommes d’autorité et de mœurs graves, castissimæ vitæ morumque integerrimorum, l’auraient commentée sans honte, et nous y mettrions le signet pour les amateurs. Tange Chloen semel arrogantem…
Mais encore une fois, il ne s’agit pas de cela ni de compliments. J’ai plutôt envie de gronder, et si je me promenais avec vous au bord de la mer, le long d’une falaise, sans prétendre à faire le mentor, je tâcherais de vous donner un croc-en-jambe, mon cher ami, et de vous jeter brusquement à l’eau, pour que vous, qui savez nager, vous alliez désormais sous le soleil et en plein courant.
Tout à vous,
Sainte-Beuve.
LETTRE DE M. LE MARQUIS DE CUSTINE.
SI JE NE vous ai pas remercié plus tôt, monsieur, du présent que vous avez bien voulu me faire, c’est que je voulais commencer par en savoir le prix. Un poëte ne se lit pas comme on écrit de la prose légère, au courant de la plume, surtout un poète qui déteste le mensonge et sabre tout ce qui est de convention. Vous réfléchissez comme u
n miroir fidèle l’esprit d’un temps et d’un pays malades ; et la force de vos expressions me fait souvent reculer d’épouvante devant les objets que vous vous plaisez à peindre. Vous me direz que vous chicaner sur le choix de vos sujets, ce serait reprocher au miroir de refléter ce qui se présente devant lui ; mais un poète est un miroir qui choisit. On plaint l’époque où un esprit et un talent d’un ordre si élevé en sont réduits à se complaire dans la contemplation de choses qu’il vaudrait mieux oublier qu’immortaliser. Vous voyez, monsieur, que je ne suis point un réaliste, et que je ne comprends le créateur dans l’art que comme un éclectique dans la nature.
Ces réserves faites, je vous rends sincèrement grâce de l’honneur que vous m’avez fait de penser à moi, et du plaisir que m’a causé la lecture d’un recueil plein d’originalité qui nous annonce un poëte de plus. Vous êtes neuf dans une littérature vieille. Vous aurez des ennemis en foule ; si l’admiration de quelques amis qui voient le fond de l’homme à travers vos peintures peut vous dédommager de la méchanceté des taupes, je vous prie de penser à moi et de me croire sincère comme vous-même dans l’expression des sentiments que vous m’avez inspirés. Nos amis des livres valent bien ceux du monde.
A. de Custine.
Paris, ce 16 août 1857.
LETTRE DE M. ÉMILE DESCHAMPS
VERSAILLES, 14 JUILLET 1857.
Monsieur et très éminent confrère,
Après une atroce maladie de plus d’un an, j’avais charmé ma convalescence avec votre exquise traduction des contes fantastiques de l’Hoffmann américain, œuvre d’une double originalité et d’un double mérite littéraire, puisque vous en êtes le révélateur envers notre ignorance. Et voilà que je dois à votre sympathique et trop aimable souvenir ces Fleurs du mal, dont je pensais déjà tant de bien sur échantillons.
Je viens d’aspirer tous leurs poisons enivrants, tous leurs parfums terribles. Vous seul pouviez faire cette poésie, dont l’explication est dans l’épigraphe d’Agrippa d’Aubigné, pour le fond des choses ; dont le secret, pour la forme savante et ciselée est dans la dédicace au parfait magicien ès lettres françaises, notre grand et cher Théophile Gautier.
Pour ne m’en tenir qu’à ce qui concerne l’art, — le poëte restant le maître de son idée, comme a dit magistralement Victor Hugo, — je ne puis me taire sur les prodiges de poésie et de versification qui sont manifestés par votre œuvre.
Don Juan aux Enfers, les Spleen, Les Femmes damnées, Les Métamorphoses du Vampire, Les Litanies de Satan, Le Vin de l’assassin, Confession, etc., sont des poésies sans modèle et sans imitateurs pour longtemps. Votre verve, votre coloris, votre harmonie à part, ont pu seuls en venir à bout ; et que de secrets de forme comme de cœur s’en échappent ! Que de vers trempés d’une vigueur étonnante ou d’un enchantement inaccoutumé ! que de tours elliptiques et nouveaux, que de rhythmes dociles et fiers !
Enfin, je ne puis vous dire qu’une chose : soyez toujours ce que vous êtes si souvent ! — Voilà, en une ligne, ma critique et mon éloge sincères.
Ma gratitude ne l’est pas moins, ni mon sympathique dévouement.
Émile Deschamps.
SUR LES FLEURS DU MAL
À QUELQUES CENSEURS
Ces bouquets effrayants de Charles Baudelaire
S’en iraient, déchirés au vent de la colère !…
Non, messieurs ! — le Réel est ici le sujet.
En brisant le miroir détruirait-on l’objet ?
Sa peinture, après tout, n’est pas l’apologie.
Le danger radical, c’est une sale orgie
Masquée en beau gala ; c’est l’onduleux serpent
Qui caresse et qui bave, et s’élève, en rampant ;
Le danger radical, c’est la page hypocrite,
Pensée avec le fiel, avec le musc écrite ;
C’est l’ongle venimeux qui sortira d’un gant ;
C’est l’ulcère, que couvre un satin élégant ;
C’est, au théâtre impur, une mielleuse enseigne.
Voilà ce dont tout cœur et se révolte et saigne,
S’il est encor trempé du sacre baptismal.
Mais le livre, qui grave à son front : Fleurs du mal,
Ne dit-il pas d’abord tout ce qu’il porte au ventre ?
Aux couvents, aux salons son nom défend qu’il entre ;
Et, — sombre exception, — comme certain traité
Des docteurs de l’Église ou de la Faculté,
Il proclame très haut, par sa seule cocarde,
Que le monde avec lui doit se tenir en garde,
Et qu’enfin, sa légende horrible, il ne la dit
Qu’au philosophe artiste, au penseur érudit.
Les livres ont leur cercle assigné. — L’Évangile
Est pour tous les humains ; pour bon nombre, Virgile ;
Juvénal, pour plusieurs ; d’autres, pour quelques-uns.
Tous remèdes à tous ne sont pas opportuns.
Et faut-il, pour cela, supprimer les dictâmes
Qui ne s’adresseraient qu’à vingt corps ou vingt âmes ?
Et puis, Les Fleurs du mal, quel mal en craindrait-on ?
Leur langage est le vers… qui donne peu le ton :
C’est un préservatif… un mur inaccessible,
Et la contagion, en vers, n’est pas possible.
À moins qu’on ne les chante, — et ce n’est point le cas,
Ou que des imprudents et des trop délicats
Ne dénoncent la chose aux sots qu’ils électrisent,
Et, voulant la punir, ne la popularisent.
D’ailleurs, l’art est un voile, et c’est un fait connu
Que toute poésie est chaste dans son nu.
Bien plus, il est des temps, à traîner sur la claie,
Dont aucun baume, hélas ! ne peut sécher la plaie ;
Il faut donc la sonder à toute profondeur,
Et, pour seul antidote, étaler sa hideur.
— Vous connaissez ce père, à bout de remontrance !
Auprès d’un jeune fils, froid et sourd à ses transes,
Qu’appelait la débauche en son gouffre béant.
Las de voir ses conseils, son exemple à néant,
Le père, à l’hôpital des impudiques femmes,
Un jour, mena son fils, et sur les lits infâmes
Lui montrant la torture et l’horreur de la chair :
« Crois-tu que leurs plaisirs soient payés assez cher ? »
Et de là, sous le toit des hommes, leurs complices,
Épouvanta ses yeux par les mêmes supplices,
Et, — ce que n’avaient fait prières ni sermons, —
Le spectacle du mal, qu’en tremblant nous nommons,
Rappela vers le bien le jeune homme en délire.
Cette cure terrible est le droit de la lyre.
Le droit pour chaque vice… et le poëte aussi,
Tuteur honni d’un siècle à mal faire endurci,
Doit pétrir hardiment, comme un remède étrange,
— Cynique par vertu, — le sang avec la fange,
Sûr d’effrayer du moins ceux qu’il ne touche plus.
— Tel est cet empirisme auquel tu te complus,
Baudelaire, héroïque et sauvage système,
Qu’un monde inattentif peut frapper d’anathème,
Car il le faut creuser en toute liberté,
Pour en bien concevoir l’âpre nécessité.
Tu mis un grand talent au bout d’un grand courage,
Et traversas ainsi le formidable orage.
On le reconnaîtra, poëte ; on ne peut pas
Condamner le chemin pour quelques mauvais pas…
L’âme est un noir mystère, et peut-être la tienne
Cache-t-elle en ses plis toute la loi chrétienne.
Seulement, tu devras, crois-moi, la dégager,
Et, dans le champ du mal rapide passager,
Loin de ce sombre enfer t’en aller, sur ton aile,
Ouvrant les
régions de splendeur éternelle,
Pour aborder enfin, cœur absous et guéri,
Au Paradis profond de Dante Alighieri !
Émile Deschamps.
Versailles, 12 août 1857.
Selected Poems of Charles Baudelaire Done into English Verse (1915)
Translated by Guy Thorne
CONTENTS
Selected Poems
EXOTIC PERFUME
THE MURDERER’S WINE
MUSIC
THE GAME
THE FALSE MONK
AN IDEAL OF LOVE
THE SOUL OF WINE
THE INVOCATION
THE CAT
THE GHOST
LES LITANIES DE SATAN
ILL-STARRED!
LINES WRITTEN ON THE FLY-LEAF OF AN EXECRATED BOOK
THE END OF THE DAY
Little Poems in Prose
VENUS AND THE FOOL
THE DESIRE TO PAINT
EACH MAN HIS OWN CHIMÆRA
INTOXICATION
THE MARKSMAN
Selected Poems
EXOTIC PERFUME
(Parfum exotique)
With eve and Autumn in mine eyes confest,
I breathe an incense from thy heart of fire,
And happy hill-sides tired men desire
Unfold their glory in the weary West.
O lazy Isle! where each exotic tree
Is hung with delicate fruits, and slender boys
Mingle with maidens in a dance of joys
That knows not shame, where all are young and free.
Yes I thy most fragrant breasts have led me home
To this thronged harbour; and at last I know